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Entrevue: Mélanie Joly, la fonceuse

Il y a trois ans, on la vilipendait pour son amateurisme alors qu’elle s’était portée candidate à la mairie de Montréal. Un fort joli visage sur une pancarte, certes. Mais, à part ça, qu’avait Mélanie Joly à offrir ? Entretien avec l’actuelle ministre du Patrimoine canadien.

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Photo: Julie Artacho

À 37 ans, la voilà pourtant ministre du Patrimoine canadien – la plus influente au Québec avec Stéphane Dion, dit-on. Les langues officielles, la radio, la télé, les bibliothèques, les musées, les festivals, les industries du film, des jeux vidéo et du livre, tout cela et plus encore se trouve désormais sous son aile. Budget total à gérer : 1,26 milliard de dollars. Et 630 000 emplois à protéger.

Étonnée d’avoir été admise si vite dans le clan des « honorables » ? « Je suis très fière, j’ai l’impression d’être au bon endroit au bon moment », répond-elle, l’air serein. La blonde aux yeux d’opaline a les traits détendus et le rire facile d’une fille qui rentre de trois semaines de vacances avec son chum. Elle goûte avec volupté le biscuit marbré que son attaché de presse vient de poser sur la table du café montréalais où l’on s’est donné ­rendez-vous.

Mélanie Joly ne met pas de sourdine à sa trompette. Bien sûr qu’elle a soif de se réaliser ; ça crève les yeux depuis la petite école, alors qu’elle briguait déjà la présidence de sa classe. Le regard tendre, elle évoque sa « superwoman » de mère, une directrice de commission scolaire qui l’a beaucoup encouragée à croire en elle et à explorer tous les possibles, au même titre que ses deux frères. Pour la politicienne, l’ambition est d’abord un puissant moteur qui pousse à s’améliorer soi-même et à lancer des projets qui serviront la collectivité.

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Apprendre à la dure

Va pour le côté noble de l’affaire. Mais la quête des hauteurs comporte aussi des périls. Quand elle a été nommée ministre, en novembre dernier, elle s’est fait une sérieuse mise en garde un matin qu’elle joggait le long du canal Rideau : « Tout est en place pour que ça te monte à la tête. Pour que tu te valorises par ton poste plutôt que par ce que tu es. Reste humble et connectée. »

La diplômée en droit comparé de l’Université d’Oxford se l’est déjà jouée, elle l’admet sans peine. Toutefois, la course à la mairie aux commandes du parti qu’elle avait fondé, Vrai changement pour Montréal, a été pour elle une spectaculaire leçon d’humilité.

On est d’accord, son lancement de campagne n’était pas une pièce d’anthologie. Mais de se voir accoler le stéréotype de la nunuche blonde l’a sidérée, elle qui avait toujours misé sur son développement intellectuel. « Plus jeune, je ne me sentais pas jolie, j’ai fait beaucoup d’acné, j’avais des troubles alimentaires… Les bonnes notes et l’implication sociale étaient ma manière de me valoriser. Ça a donc été très difficile de me trouver tout à coup perçue comme sans jugement, pas pertinente et pas intelligente », confie celle qui était alors l’un des souffre-douleurs préférés d’Infoman.

Sans compter que pour se lancer dans cette joute municipale, Mélanie Joly avait plaqué son poste d’associée directrice au sein d’une firme de relations publiques renommée – et le train de vie opulent qui l’accompagne. En digne relève de ses deux grands-pères, maires de leurs municipalités respectives des Laurentides dans les années 1940. Un projet emballant sur papier, mais dont elle avait sous-évalué la charge psychologique. « Je ne dormais plus, j’étais hyper anxieuse, je tenais ma famille pour acquise, je n’étais pas fine avec mon entourage… Vraiment, j’étais effrayante ! »

Elle a tenu bon, contre l’avis de ses proches qui la priaient de passer à un autre appel, finissant même deuxième derrière Denis Coderre. « J’ai une tête de mule ! » Il faut dire aussi que la politique, elle en mange depuis l’adolescence, dévorant les ouvrages consacrés à Martin Luther King, John F. Kennedy, René Lévesque… Un peu plus tard, elle a cofondé Génération d’idées, un OSBL toujours actif qui encourage les Y à nourrir le débat public de leurs réflexions. « J’étais frustrée que nos voix soient si peu entendues. Et puis, je voulais recréer l’ébullition des années 1960, permettre des rencontres, le foisonnement d’idées susceptibles de mener à une action politique. »

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Les 12 travaux de Mélanie

La jeune femme ne s’en cache pas : elle a toujours rêvé de réaliser de grandes choses. De laisser sa marque. « Pour donner un sens à ma vie, à mon passage sur terre. Quand je le dis, j’ai l’impression que c’est un peu égocentrique. Pourtant, je ne crois pas que ça s’inscrit dans une volonté narcissique. C’est plus de l’ordre du legs à ma société. »

Cette enthousiaste engagée, qui use abondamment du mot « changement » et de ses synonymes, s’est donné des objectifs assez culottés, au dire de plusieurs commentateurs politiques : créer une stratégie pour exporter notre art à travers la planète, revoir en profondeur la manière dont le gouvernement distribue nos sous aux artistes et organismes, repenser la Loi sur la radiodiffusion, aider les médias à prendre le virage numérique… « Mon sous-ministre dit qu’il va devoir s’acheter des running shoes pour me suivre ! J’ai une idée par dossier et je ne lâche jamais le morceau. » De 7 h le matin à 10 h le soir, au moins cinq jours sur sept.

À placer la barre aussi haut, on se met une pression lourde comme un camion-remorque sur les épaules. Bonjour l’anxiété de performance. Elle en souffre depuis longtemps. « J’ai confiance en moi, mais j’ai des doutes, beaucoup d’insécurités et de peurs », raconte-t-elle, pas gênée le moins du monde de révéler sa ­vulnérabilité.

Cette ouverture émotionnelle inusitée chez un politicien s’inscrit aussi dans les projets de réforme Joly. « Un de mes combats, comme femme dans un milieu d’hommes, sera de faire respecter ma féminité, la vision du monde qui nous est propre. J’aimerais transformer le stéréotype du leader. » Elle cite en exemple le fait d’afficher sa sensibilité, de chercher le consensus, de se montrer empathique et de reconnaître ses torts ­publiquement.

« Quand je me suis présentée à la mairie de Montréal, j’avais comme référence un Martin Luther King et son “I have a dream”. Sauf que ce n’est pas moi, je ne peux pas être lui. Je n’ai ni cette éloquence ni cette approche. Il faut que je développe mon propre modèle. Et c’est une merveilleuse opportunité. »

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Son prochain grand chantier

Une proche de Mélanie Joly, Stéphanie Raymond-Bougie, a confié récemment au magazine Maclean’s que son amie aspire à diriger un jour le Parti libéral du Canada. C’est vrai, ça ? « Ahhh… J’adore Stéphanie. J’adore Stéphanie ! » Elle rit.

Et sert une réponse usinée. « Je suis très fière de mon premier ministre, je pense qu’il fait un boulot extraordinaire. » Oui, oui, mais à long terme ? On jase, là… Peine perdue. Cette fervente admiratrice de Hillary Clinton dit travailler surtout à devenir une « excellente ministre », pour que l’image de la fille pas-pertinente-et-pas-intelligente soit à jamais balayée. « Les perceptions changent, il faut être résilient ! » Sinon, elle souhaite aussi avoir un enfant. Tout en assumant ses responsabilités au sein du gouvernement… Un immense défi qui l’effraie. « Il y a une construction sociale derrière ce que doit être une bonne mère, et ce que doit être une ministre… Il va falloir redéfinir tout ça. » Combien d’heures dans une journée, déjà ?

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