Féministe tout compris

Et si on arrêtait de s’oublier en 2017?

Les femmes auraient-elles encore et toujours tendance à s’oublier, et à passer en dernier sur la liste de leurs priorités?

Le 9 janvier, c’est le jour de la naissance de Simone de Beauvoir, née en 1908. On lui doit une œuvre colossale qui a marqué le 20e siècle et le mouvement féministe. Quelques médias ont souligné sa naissance en partageant des citations marquantes et des vidéos synthétisant sa pensée et son legs.

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J’ai bien aimé celle-ci (en anglais), produite par BBC Radio 4. Elle illustre l’une des phrases les plus célèbres de Simone de Beauvoir : « On ne naît pas femme, on le devient. » Tirée de son essai Le deuxième sexe, paru en 1949, elle exprime la thèse d’une construction sociale du genre féminin, d’un processus qui nous différencie et nous façonne dès l’enfance. Notre « vocation » de femme nous est « impérieusement insufflée » par nos « éducateurs et la société ». On attend des femmes qu’elles soient passives, coquettes et maternelles. C’est une judicieuse stratégie : si les femmes s’échinent à se plier aux diktats de beauté et à élever la marmaille sans lever le ton, la culture dominante masculine peut continuer à prospérer sans crainte. Cré patriarcat!

J’ai repensé à Simone cette semaine. En manque d’inspiration pour mes résolutions, j’ai publié cette question avec une tournure militante sur mon profil Facebook.

Combat Marianne Praire

Je ne m’y attendais pas du tout, mais j’ai reçu une avalanche de réponses. À ma grande surprise, presque toutes les réponses évoquaient un combat intérieur, avec et pour soi. Arrêter de fumer, s’aimer plus, lâcher prise… À travers la diversité apparente des témoignages, j’ai toutefois dénoté une tendance lourde chez mes amies :

 

Me mettre no 1 sur la liste des priorités

Me faire passer en premier des fois

Penser à moi avant tous les autres et tout le reste

Accepter des fois que je sois une priorité

Penser à moi, à mon bonheur, pu celui des autres

 

Ces femmes sont dans la vingtaine et la trentaine, certaines sont mères, d’autres pas. Elles ont pris la décision consciente de ne plus s’oublier, s’effacer, se plier devant les besoins et les attentes des autres. Elles sont insatisfaites, débordées et confuses, souvent après des années à s’adapter aux exigences et aux normes de la vie familiale, amoureuse, professionnelle ou sociale.  Elles souhaitent, de façon tout à fait raisonnable et modérée (notons le réaliste « des fois »), gagner en indépendance et en importance.

Photo: iStock

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J’ai eu moi-même cette réflexion plusieurs fois depuis l’adolescence. De façon cyclique, je craque et je dois me rappeler que je n’ai pas à vivre en fonction des autres, mais avec les autres. Avec le temps, je me débarrasse tranquillement de l’inconfort qui vient avec l’affirmation de mes besoins et je les cerne mieux. Je comprends aussi qu’il y a une différence entre égoïsme et prendre soin de soi, s’écouter et se prioriser.

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Tout ça, je l’ai appris sur le tas. Ou peut-être devrais-je dire que je l’ai désappris sur le tas. Je dois démontrer des efforts soutenus et faire preuve de vigilance pour ne pas glisser dans mon rôle de soutien sous le poids de ma charge mentale. Car comme mes amies, je sens que c’est un combat. Une lutte perpétuelle contre un adversaire si bien intégré qu’on le croit en soi. Ma collègue Aurélie Lanctôt écrivait justement ceci avant les fêtes : « On nous bassine sans arrêt avec des conseils « santé-bien-être », remettant sur nos épaules la responsabilité de notre épuisement physique et moral, mais jamais on ne critique ce qui le conditionne. »

Elle est là Simone. Dans cette idée de conditionnement, dans ce sexe toujours bon deuxième même si l’écart avec la position de tête a beaucoup rétréci depuis 1949. C’est encore et toujours de cette inégalité et de ce rôle aliénant que naît la réflexion des femmes dont il est question ici. « Je dois me faire passer en premier » est une revendication au même titre que l’égalité salariale et le droit de vote, à la différence qu’il s’agit d’un combat invisible et intime.

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Pour écrire à Marianne Prairie: chatelaine@marianneprairie.com

Pour réagir sur Twitter: @marianneprairie

Marianne Prairie est la co-directrice de l’ouvrage collectif Je suis féministe, le livre (les éditions du remue-ménage

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