J’ai subi une soixantaine d’opérations pendant mon enfance, mais ça ne m’a jamais empêchée de réussir à l’école et d’adorer les sports. Je savais que j’étais malade [elle], mais je n’y voyais pas un obstacle. À 18 ans, je suis même partie dans l’Ouest canadien pour m’entraîner et devenir planchiste professionnelle. C’est là que j’ai rencontré mon conjoint, Sébastien. Je participais à des compétitions un peu partout en Amérique du Nord… jusqu’à ce que mon unique rein flanche, à 22 ans.
J’ai dû revenir au Québec, puisque je passais une quinzaine d’heures par semaine à l’hôpital, en dialyse. J’en ai profité pour terminer mon baccalauréat en soins infirmiers. Je continuais à faire de la planche à neige, mais je ne pouvais plus m’éloigner pour des compétitions. Et puis, j’étais toujours fatiguée. Ça fait partie des symptômes de l’insuffisance rénale avancée, on se sent constamment un peu comme un lendemain de veille.
Le 29 octobre 2008, j’ai reçu un appel de l’hôpital en pleine nuit. On avait un rein pour moi et je devais m’y rendre sur-le-champ. En sortant de la maison, mon conjoint et moi avons aperçu un chevreuil, juste dans l’entrée. Il a suivi notre auto jusqu’à la route principale. J’ai eu l’impression que c’était un signe, comme si ma donneuse voulait m’accompagner. C’est devenu mon animal fétiche.
Les animaux et la nature. Je peux pleurer pendant des heures en regardant une montagne. Ça me touche de voir cette grande force tranquille qui traverse les siècles. Même quand je me sens moins bien, je vais toujours marcher avec mon chien dans la forêt près de chez moi, à Saint-Sauveur. Ça vaut tous les antidépresseurs du monde.
Extrêmement difficile. J’ai fait deux rejets. Le rôle des traitements antirejets est d’affaiblir le système immunitaire autant que possible. J’attrapais tout, j’étais sans cesse à l’hôpital, au point que je souhaitais presque qu’on m’enlève le rein. Mais au bout d’environ deux ans, mon corps s’est habitué à son nouvel organe. Ma vie a pu reprendre son cours.
J’ai repris l’entraînement et j’ai même remporté quatre médailles d’or aux Jeux mondiaux des transplantés, en 2012, 2014 et 2018. J’ai aussi commencé à faire du vélo de montagne et j’enseigne les soins infirmiers à temps plein au Collège de Bois-de-Boulogne à Montréal. J’ai tellement d’énergie que les jours où je vais vraiment bien, personne n’arrive à me suivre.
À lâcher prise. Étant infirmière de formation, j’ai un bon bagage de connaissances médicales, mais c’est quand j’ai été capable de faire entièrement confiance à mes médecins que j’ai commencé à aller vraiment bien. Je ne suis pas l’experte… et c’est bien correct.
Craintive, peut-être? J’ai l’impression d’avoir une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Mon rein a une durée de vie limitée, on ignore quand il arrêtera de fonctionner. Et maintenant que je sais ce que c’est d’avoir de l’énergie et d’être libre de voyager, j’ai peur de perdre tout ça. D’un autre côté, ce sentiment me rend plus reconnaissante. Je profite de chaque moment.
Tous les 29 octobre, je célèbre l’anniversaire de monsieur Duclos. C’est comme ça que j’ai nommé mon rein, en l’honneur du médecin qui a fait la transplantation. En 2018, je suis allée en Alaska avec ma mère pour fêter ses 10 ans. Au début, c’était plutôt festif. Mais, plus les années passent, plus ce jour est teinté de tristesse, car c’est un rappel que monsieur Duclos vieillit.
Qu’est-ce qu’on peut dire à quelqu’un qui nous sauve la vie? Un merci est bien loin d’être suffisant. Je lui dois tout. J’essaie de la remercier par mes actions, de la rendre fière de moi. Chaque fois que j’accomplis quelque chose ou que je fais un voyage, je me dis qu’on le vit ensemble.
Je lis Le Petit Prince, d’Antoine de Saint-Exupéry, au moins une fois par année. Ma mère me le lisait déjà quand elle était enceinte de moi. Pour moi, apprivoiser le renard, c’est apprivoiser la maladie.
Je veux faire les Jeux mondiaux de 2020. Ce seront probablement mes derniers. J’aimerais aussi retourner en Alaska pour y faire de la planche, et terminer ma maîtrise en sciences infirmières.
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Après des études en chant classique au Conservatoire de musique de Québec, Andréanne Moreau a complété son baccalauréat en journalisme à l'Université du Québec à Montréal (UQÀM) et est devenue journaliste dans les hebdos locaux de TC Média, sur l'île de Montréal. C'est là qu'elle s'est fait remarquer pour ses portraits et ses reportages près du style du magazine et a été recrutée par Châtelaine. Pendant trois ans, elle y a couvert l'actualité féministe mondiale dans la section Planète Femmes, la santé et l'activité physique. Elle a également réalisé quelques longs reportages, notamment au sujet de la grossophobie médicale, de la libido et de l'anatomie féminine. Andréanne met maintenant sa plume au service de l'Orchestre Métropolitain et de son chef d'orchestre Yannick Nézet-Séguin, pour qui elle est conseillère en communications et relations publiques.
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