Société

Julie Snyder: le grand retour de la p’tite démone

C’est l’événement télévisuel de l’année: Julie Snyder reprend les commandes d’un talk-show quotidien à V, La semaine des quatre Julie. Vingt ans après la fin du Poing J, l’animatrice et productrice n’a rien perdu de sa pertinence et de sa frénésie.

Julie Snyder

Robe Fendi, Collier pendentif coeur Saint Laurent. (Photo: Jean-Claude Lussier)

Julie m’a fixé rendez-vous un dimanche de novembre, à 16 heures, chez Stéphane Laporte. C’est exceptionnel: d’habitude, les entrevues avec elle se font dans les bureaux des Productions J, logés dans un immeuble près du pont Jacques-Cartier. Cette fois-ci, la patronne désirait un cadre intimiste – mais pas chez elle – pour se confier en toute liberté sans être dérangée. Et il n’y avait que ce jour-là, à cette heure-là, où cela était (à peu près) possible. La maison outremontaise de son complice de toujours s’avérait donc le lieu parfait. De plus, elle habite à un jet de pierre de là.

«Julie va être en retard de quelques minutes», m’annonce Stéphane, pas surpris le moins du monde. La voilà bientôt qui entre, habillée en mou, pas maquillée. Elle s’excuse de ne pas être plus glamour. Son week-end a été pénible. Des arbres tombés sur les fils électriques à cause des forts vents l’ont obligée à fuir sa résidence en catastrophe et à s’installer à l’hôtel. «Stéphane répète toujours qu’on devrait me greffer une caméra pour filmer tout ce qui m’arrive. On pourrait en faire une téléréalité qui ne coûterait pas cher», dit-elle avec un demi-sourire résigné.

Trois semaines plus tôt, un accident d’auto aurait donné un épisode-choc. Elle était passagère, et c’est la conductrice de l’autre véhicule qui a effectué une fausse manœuvre. «Avant l’impact, à 90 km/h, j’ai eu le temps de me dire, c’est aujourd’hui que je meurs. J’ai eu un flash en noir et blanc de mes deux enfants, j’ai perdu connaissance, je me suis réveillée avec un ballon gonflable dans la face. J’étais sûre d’être morte ou handicapée.» Elle s’en est plutôt bien tirée: deux vertèbres fracturées et les côtes esquintées.

Un véritable miracle à célébrer. Heureux hasard, j’ai avec moi une bouteille de blanc, son préféré.

Julie Snyder

Bustier Paolina Russo, Jupe Fendi, Collier chaîne or rose Emanuele Bicocchi, Collier long et chaussures collection personnelle de Julie. (Photo: Jean-Claude Lussier)

L’enfer, c’est…

Nous nous installons au salon pour une conversation de trois heures. Julie vient souvent ici. Bécaud, le matou de notre hôte, passera quêter des caresses. Les deux années de gestation du talk-show qui a pris son envol début janvier sur V ont eu lieu entre ces murs. «Stéphane et moi, on choisit de travailler ensemble. On additionne nos talents, on les multiplie, et on n’est jamais aussi forts qu’à deux.»

Au début des années 1990, quand ils formaient un couple, ils ont donné naissance à une quotidienne culturelle survoltée baptisée L’enfer, c’est nous autres. Devant la caméra, une pétillante brunette frisée de 24 ans prête à tout pour le show: interviewer «la plus belle femme du monde», Catherine Deneuve, avec un sac en papier sur la tête, sauter tout habillée dans le Saint-Laurent (et ça, ce n’était que pour la première émission, le 1er juin 1992, à la télé de Radio-Canada). Derrière, un jeune trentenaire très zen au cerveau bouillonnant d’idées et de concepts, à l’origine de la percée internationale de l’imitateur André-Philippe Gagnon.

En 1996, après leur séparation «douloureuse, pour lui comme pour moi», précise Julie, chacun a suivi sa route, elle à TVA à la barre du Poing J, lui avec Marc Labrèche et Jean-René Dufort. Le duo de feu ne s’est reformé qu’en 2003 lors de la première cuvée de Star Académie. Une fois encore, Julie devant, Stéphane derrière. «À cause de sa personnalité, son intelligence, sa culture, son audace, sa folie, elle est la plus grande animatrice qu’on ait eue au Québec, m’avait dit Stéphane plus tôt. C’est là où tout son talent peut rayonner. Je la talonne pour qu’elle revienne au talk-show depuis longtemps.»

Julie aussi souhaitait revenir à cette formule qui lui va comme un gant, mais à l’époque elle avait d’autres ambitions. «J’ai mis ma carrière d’animatrice de talk-show en veilleuse, le temps d’avoir des enfants, et pour leur donner le meilleur de moi-même.» À l’écouter détailler son ingénieux modus operandi dans le but de nourrir ses bébés au lait maternel sans interruption jusqu’à l’âge d’un an, on se dit qu’il y a en elle une humoriste qui sommeille.

«Star Académie, c’était très intense, poursuit Julie sur sa lancée, mais ça ne durait que 10 semaines. Comme animatrice, tu dois être en forme pour l’émission du dimanche soir. Le reste de la semaine, tu peux faire ton travail de productrice même si t’es maganée parce que tu as passé la nuit à l’urgence avec l’un ou l’autre – Romy a fait un nombre incalculable d’otites et Thomas a eu des pneumonies. Souvent, les gens m’ont demandé: “tu ne t’ennuies pas d’avoir un talk-show?” Non, parce que je ne pouvais pas en avoir un et de jeunes enfants en même temps.Peut-être que d’autres auraient pu, pas moi.»

Ses enfants ont grandi: Romy a 11 ans, et Thomas, 14. Et ils sont très heureux que maman reprenne, quatre soirs par semaine, dont deux en direct, le flambeau là où elle l’avait laissé. «En 2014, les quatre émissions de L’été indien coanimées avec Michel Drucker ont été un gros succès, et cela a rafraîchi la mémoire de tout le monde», dit Stéphane. Julie n’a rien perdu de son exigence légendaire, autant envers elle-même qu’envers les autres. Le fleuve est gelé en janvier? Pfft! Les deux compères sauront bien imaginer d’autres entourloupettes qu’un plongeon dans le Saint-Laurent pour nous épater.

Le concept de sa nouvelle émission s’inspire de la dernière génération de talk-shows américains, avec des segments relayés sur les réseaux sociaux. «On se situe entre ce que font Ellen DeGeneres et Jimmy Fallon: des invités, des performances, des topos préenregistrés», précise-t-elle. Le tout bien sûr assaisonné à la sauce Snyder. «Je vois toujours une entrevue comme un défi. Il faut réussir à intéresser à la fois ceux qui connaissent bien l’invité et ceux qui le connaissent peu. Prends Ellen DeGeneres, que j’ai rencontrée à Los Angeles. Toi, tu sais qui c’est, ce qu’elle représente, mais ta mère, peut-être pas. Le public a besoin d’une amorce. Je suis obsédée par ça. Obsédée. Donc, on tourne des bios avant, avec des extraits, et ça coûte cher.» C’est la productrice qui parle. Et l’animatrice ne pourrait être plus d’accord.

Julie Snyder et Ellen DeGeneres

Julie a rencontré Ellen DeGeneres l’automne dernier, à Los Angeles.

Julie Snyder et Lady Gaga

Avec Lady Gaga, à Star Académie, en 2009.

Julie Snyder et Maurice Richard

Portant une robe «coupe Stanley», avec Maurice Richard, en 1999. (Photo: La Presse canadienne/Jonathan Hayward)

Julie, une Germaine?

Impossible de résister au charisme de Julie, cet improbable alliage de porcelaine fine et de béton armé, de doute abyssal et de front de beû. Difficile aussi de placer deux mots avant une bonne heure. C’est elle qui mène le bal, décide du rythme. Un trait de caractère dont aurait hérité Romy. «Thomas, pris entre sa sœur et moi, nous appelle les Power Germaine Corporation of Canada!»

Intervieweuse hors pair, Germaine sénior est aussi l’interviewée idéale, car généreuse. Dans le jargon du métier, elle donne du bon stock.

J’apprends tout à coup qu’elle a un amoureux, une information qui n’avait pas encore fuité. D’ailleurs, l’heureux élu passera lui faire un petit coucou: beau bonhomme, yeux bleu piscine. «Il est calme, discret, et il court des marathons.» C’est tout ce qu’elle m’en dira.

Et si, au détour d’une phrase, elle mentionne sa descente de vessie – un legs de son premier accouchement –, c’est qu’il y a une raison. «Ça se peut que j’aille souvent aux toilettes. Quand je fais la route Montréal-Québec, je dois m’arrêter avant Drummondville. Faut bien que j’explique pourquoi…»

Julie Snyder

Pull Lanvin, Pantalon Atelier New Regime. (Photo: Jean-Claude Lussier)

Passages difficiles

Notre dernière rencontre remonte à plus de cinq ans, à l’été 2014, pendant le tournage du Banquier. Le temps semble ne pas avoir d’emprise sur elle. Toutefois, quelque chose a changé chez mademoiselle Julie: son regard. S’y loge désormais une certaine gravité, sans doute héritée des dernières années. Nul ne s’en étonnera.

Après quelque 14 années de vie commune avec le père de ses enfants, elle l’épouse à l’été 2015. Doit-on revenir sur ce mariage princier suivi cinq mois plus tard d’une séparation-surprise? Peu avant de convoler, pour une raison complexe de crédits d’impôt auxquels elle n’avait plus droit comme productrice, Julie avait dû céder à son vice-président aux affaires juridiques et commerciales le volet télévision des Productions J. Fondée en 1997, cette entreprise florissante a été derrière des succès monstres: Star Académie, La voix, Occupation double, DVD des spectacles de Céline, même une émission pour le Oprah Winfrey Network, aux États-Unis… Bref, en 2015, c’est une débâcle suivie de trois vagues consécutives de restructuration.

«Mon entreprise ne valait plus rien », dit-elle, encore sous le choc. Malgré les autres volets restés actifs (spectacles, management, disques), les Productions J étaient au bord du précipice. «Le nombre d’employés est passé de 60 à moins de 15. On coupait partout, même sur le café. Au moins, je gagnais ma vie, j’avais ma job d’animatrice au Banquier

Oui, mais plus pour très longtemps. Elle l’a su en juin 2017, en même temps que tout le Québec, en ouvrant le Journal de Montréal: TVA tirait la plogue du Banquier après 10 ans. Julie Snyder, reine du réseau privé depuis 20 ans, perdait sa couronne. Elle quittera son ancien royaume pour se reconstruire un nid à V. L’automne dernier, avec Occupation double Afrique du Sud, elle vient d’y connaître son premier véritable hit post-TVA.

Sur cette avalanche de tuiles, sur d’autres sujets aussi, Julie ne veut pas s’étendre davantage. Ni ce soir ni demain. «Ma seule réponse possible, c’est: je ne ferai aucun commentaire.» Le jour où ses mémoires seront publiées, et elle y songe sérieusement, elle promet de tout dire. Ça sent le best-seller.

En attendant, Julie consent à parler de sa chute. Et elle a été vertigineuse. «J’ai touché le fond, je ne pouvais pas aller plus bas. Tu connais l’histoire des deux souris qui tombent dans un pot de crème? L’une se noie, l’autre se débat tellement qu’elle transforme le liquide en beurre et réussi à sortir du pot. J’ai été la souris qui se laisse couler, puis celle qui s’est donné des coups de pied au derrière pour remonter.»

Cela n’a pas été facile. Surtout qu’un autre coup dur l’attendait: le décès de sa mère, à l’hiver 2018.

«Je lui en ai fait voir de toutes les couleurs, à ma maman! J’étais une ado première de classe, mais assez rebelle. J’espère que Romy sera moins en révolte que je l’ai été.» Ses enfants suivront-ils ses traces? Elle l’ignore, mais s’est assurée de leur montrer par l’exemple que les voies du destin sont impénétrables et que la bonté est toujours récompensée.

«Je leur ai expliqué que je dois ma carrière au fait de ne pas avoir intimidé quelqu’un. Quand j’étudiais à Brébeuf [NDLR: collège privé de Montréal], Jean-Philippe, un gars brillant, super beau et que tout le monde supposait gai, se faisait écœurer. Les autres jetaient son cartable par terre. J’étais la seule qui l’aidait à le ramasser.» Un jour, une productrice télé appelle le directeur du collège: elle cherche un gars et une fille pour une émission jeunesse à TVJQ, l’ancêtre de Canal Famille. «Le directeur a choisi son chouchou, Jean-Philippe. Et lui m’a choisie.» L’audition passée, Julie a été retenue. Elle avait 16 ans.

Elle en a aujourd’hui 52. À cette télé qui carbure à la jeunesse, Julie, née l’année de l’Expo, entend bien prouver qu’elle reste toujours d’actualité. La veille, elle avait enregistré un topo avec les rappeurs français Bigflo et Oli avant leur spectacle au Centre Bell, et parlait d’eux comme une fan. Et qui d’autre aurait eu le cran, ou la folie, d’entrer dans une cage placée au milieu de lions en liberté pour interviewer le zoologiste autodidacte sud-africain Kevin Richardson[, connu sous le nom de The Lion Whisperer]? «Kevin me disait: ne sois pas tendue, ils vont le sentir. Trop tard, chose, j’étais hyper stressée!»

Manifestement, elle s’en est sortie vivante. Même le roi de la jungle s’incline devant une reine de la télé.

Julie Snyder

Robe Balmain, Collier Martyre. (Photo: Jean-Claude Lussier)

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