Ma parole!

Le grand méchant troll

Des trolls, il y en a plein sur Internet. Ils sévissent dans les commentaires au bas des articles. Ils écrivent des horreurs aux chroniqueurs. Geneviève Pettersen reçoit d’ailleurs régulièrement leurs menaces. Quand les prendra-t-on au sérieux?

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J’avais décidé de ne rien écrire sur le sujet. Je n’avais pas envie d’ajouter ma voix à celles de 102 chroniqueurs qui allaient s’étendre sur la question, certains de façon pertinente, d’autres moins. Puis j’ai lu cet article de La Presse, où l’on apprend qu’Alexandre Bissonnette, auteur du sauvage attentat au Centre culturel islamique de Québec, était un troll. Un troll qui s’attaquait régulièrement à certains groupes communautaires de la Vieille Capitale, ainsi qu’aux féministes. Je ne pouvais plus me taire.

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Photo: iStock

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Oui, Alexandre Bissonnette faisait du harcèlement en ligne. François Deschamps, qui gère la page Internet du groupe Bienvenue aux réfugiés, le voyait aller depuis un an. « Selon lui, l’homme s’en prenait surtout aux groupes féministes, qu’il qualifiait de “féminazis”. À sa connaissance, il n’était pas proche des groupes ouvertement racistes. »[1] Non, je ne suis pas tombée en bas de ma chaise en lisant ça. Je me suis plutôt dit que c’était prévisible. En ce moment même, des centaines d’Alexandre Bissonnette font gonfler leur haine de l’autre les yeux rivés à l’écran bleu de leur ordinateur. Ils s’appellent Jean-Philippe, Francis, Jean-François, Michel, Anne, Luc et Hri. Tapis dans leur sous-sol de banlieue ou au fond de leur deux et demie, ils profitent de l’anonymat – et de la distance, surtout – que leur confèrent les médias sociaux pour attaquer. « Tu ne mérites pas de vivre. » « Je peux pas croire que t’as le droit d’élever des enfants, salope. » « Je vais trouver ton adresse et venir te cracher dans face. » « Tes deux enfants doivent être le fruit d’un viol. » « Ton mari devrait te la fermer. » « Je vais venir te la fermer. » Ce n’est là qu’un maigre échantillonnage de ce que Jean-Philippe, Francis, Jean-François, Michel, Anne, Luc et Hri m’envoient régulièrement.

J’avoue m’être inquiétée quelques fois pour ma sécurité. Mais je suis vite revenue à la raison, convaincue que ce n’était que des mots, que ça n’irait jamais plus loin. Des mots qui font peur, certes, qui agacent et qui blessent, aussi, mais des mots. Pas un fusil, pas un couteau ou une main sur ma gorge. Ça, c’était avant le 29 janvier. C’était avant que le troll passe à l’acte. Comment Alexandre Bissonnette est-il passé des paroles aux actes ? Comment en est-il venu à commettre un attentat et à assassiner six personnes ? Je n’ai pas la réponse. Mais mon petit doigt me dit qu’elle se cache quelque part dans les méandres de son ordinateur ou de son téléphone intelligent.

Il est clair qu’il y a des facteurs sociologiques derrière toute la haine que ce jeune homme cultivait pas si secrètement que ça. Je ne m’y attarderai pas, puisque ce sujet a été amplement débattu dans plusieurs médias. Par contre, je demeure persuadée que ce drame, on l’a vu venir, pis de loin à part de ça. Si l’on prenait le harcèlement en ligne au sérieux, si quelqu’un, un policier par exemple, s’était pointé chez Alexandre et qu’il avait dû répondre de ses écrits sur les médias sociaux, il y aurait peut-être six morts de moins. Six hommes qui auraient pu étreindre leurs enfants et embrasser leur femme en revenant de la mosquée, ce soir-là. Si, au moins, on avait levé le petit doigt. Si. Mais on n’a rien fait. Comme d’habitude.

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Pour écrire à Geneviève Pettersen: genevieve.pettersen@rci.rogers.com
Pour réagir sur Twitter: @genpettersen
Geneviève Pettersen est l’auteure de La déesse des mouches à feu (Le Quartanier)

[1] http://www.lapresse.ca/actualites/dossiers/attentat-a-quebec/201701/31/01-5064754-alexandre-bissonnette-amateur-darmes-et-islamophobe.php

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