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Les enfants et l’argent de poche

Est-ce une bonne idée de verser de l’argent de poche à ses enfants? Devrait-on les rémunérer pour les tâches domestiques? Des experts répondent à nos questions.

On souhaite que nos rejetons sachent épargner, contourner les pièges de la sur-consommation et éviter l’endettement. Mais comment leur apprendre tout cela ? Trois spécialistes nous donnent leur avis : Alexis Gagné, économiste, père de deux enfants et chroniqueur à Format familial ; Francine Ferland, ergothérapeute et auteure de plusieurs livres sur l’éducation ; et Marie Lachance, professeure de sciences de la consommation à l’Université Laval et auteure d’études sur les jeunes et l’argent.

À LIRE: Doit-on parler d’argent avec ses enfants?

Doit-on donner de l’argent de poche ?

Oui, estiment les experts. « C’est la meilleure façon d’apprendre à épargner, à dépenser et à donner, répond Alexis Gagné. Parler de la chose ne suffit pas : il faut en faire l’expérience. »

À l’occasion de ses recherches, Marie Lachance a constaté que les enfants qui avaient reçu une allocation hebdomadaire à un jeune âge étaient plus susceptibles d’économiser une fois adultes. « Il faut non seulement leur en donner, mais aussi leur montrer quoi faire avec cet argent-là. »

À quel âge on débute ?

Pour Alexis Gagné, un bon repère est la perte de la première dent. « Souvent, le premier contact avec l’argent se produit avec la Fée des dents, autour de cinq ou six ans, lorsque l’enfant trouve une pièce de un dollar sous son oreiller. »

La meilleure façon de procéder ? On verse toujours la même somme le même jour de la semaine, pour que les enfants puissent apprendre à planifier leurs dépenses. « Pour que ce soit plus concret, on utilise deux ou trois pots transparents, qui permettent de voir l’argent et d’y toucher, suggère Alexis Gagné. Un pot pour les sous à dépenser, un autre pour l’épargne et un autre pour les dons (cadeaux ou charité). »

Et combien on donne ?

Voilà la question à cent piastres ! Certains parents se basent sur le niveau scolaire : un dollar en première année, deux en -deuxième, etc. D’autres experts suggèrent un dollar par année d’âge. « Mais après réflexion, ma femme et moi avons conclu que six dollars par semaine à six ans, c’était trop ; par contre, un dollar n’était pas suffisant, relate Alexis Gagné. On s’est donc entendus sur un montant de trois dollars, car il est plus facile d’augmenter une allocation que de la diminuer. » L’important, selon les spécialistes, c’est de se mettre d’accord sur les règles et d’éviter de les changer en cours de route. « Il faut aussi tenir compte de sa situation financière », ajoute Francine Ferland.

Le budget est serré et on a plusieurs marmots. Que faire ?

Si on n’a pas le budget nécessaire pour verser une allocation, on pourra initier l’enfant aux questions d’argent en le faisant participer aux emplettes et en lui faisant prendre des décisions. Cela peut être aussi simple que de dire : « Nous avons trois dollars à dépenser aujourd’hui. Qu’est-ce que tu choisis ? Une crème glacée ou un petit jouet chez Dollarama ? »

Ouvrir un compte d’épargne, est-ce une bonne idée ?

Oui. « Vers l’âge de neuf ans, l’enfant pourra suivre ses dépôts et ses retraits dans son carnet ou sur Internet, explique Francine Ferland. C’est l’âge où il commence à faire des calculs, à peser le pour et le contre avant d’acheter et à faire des choix en fonction du montant dont il dispose. » Un compte d’épargne lui permet aussi d’établir une relation avec une institution financière.

Est-ce qu’on rémunère les enfants pour les tâches domestiques ?

Gros débat en perspective. Certains parents associent l’argent de poche à des tâches ou à des résultats : mettre le linge sale dans le panier, ranger sa chambre ou obtenir de bonnes notes à l’école. « Mais la majorité des experts pensent qu’on ne devrait pas relier les deux, dit Alexis Gagné. Les parents ne sont pas payés pour les tâches domestiques. Les enfants doivent aider à débarrasser la table et faire leur lit parce qu’ils font partie de la famille. » Et puis c’est compliqué à gérer : il n’a pas fait son lit à deux reprises, cette semaine. Je lui enlève combien ?

Illustration par Gabrielle Laïla Tittley.

Illustration par Gabrielle Laïla Tittley.

Est-ce qu’on supervise leurs achats ?

Voilà un autre sujet controversé ! « Certains parents interdisent à leurs enfants de s’acheter des bonbons avec leur argent de poche, observe Alexis Gagné. Pour ma part, je pense que nos marmots doivent faire des erreurs pour apprendre. S’ils achètent un jouet de mauvaise qualité qui casse deux semaines plus tard, ils auront appris une leçon. » Si tous leurs sous sont dépensés en deux jours et qu’il ne leur reste plus rien jusqu’à la prochaine allocation, ils vont également s’en souvenir.

Marie Lachance voit les choses sous un autre angle. « Même lorsque le jeune commence à gagner son propre argent, il a besoin de supervision, soutient-elle. S’il dépense plus qu’il ne gagne, s’il emprunte de l’argent à ses amis, il faut intervenir. » Et s’il nous quête des sous ? « On peut lui en avancer, à condition que ce montant soit retranché de sa prochaine allocation, dit-elle. Ça semble dur mais, dans la réalité, c’est ainsi que ça fonctionne. »

Comment inciter un ado à épargner ?

Le mieux, c’est de commencer bien avant l’adolescence. « On doit lui apprendre la différence entre les désirs et les besoins, précise Francine Ferland : “Tu as besoin de vêtements pour aller à l’école, mais pas d’un nouveau jeu vidéo. Mais, si tu épargnes, tu pourras plus tard te le procurer.” » Il doit saisir que, pour les désirs, il faut savoir attendre.

Alexis Gagné est tout à fait d’accord. « Un bon truc, c’est de leur ouvrir deux comptes : un pour l’épargne, l’autre pour les dépenses », indique-t-il. L’enfant peut avoir occasionnellement le droit de piger dans son compte d’épargne, au moment de son anniversaire, par exemple. « Dans la vraie vie, il y a aussi des comptes d’épargne ou des placements qu’on ne peut toucher qu’à certains moments. Les parents peuvent aussi ajouter une prime si l’enfant décide d’épargner. »

Le fait est que les comptes d’épargne ne rapportent pas grand-chose…

« C’est vrai, mais il faut épargner quand même, dit Marie Lachance. Pas seulement pour se payer des petits plaisirs, mais aussi en cas d’imprévu. » Se constituer un coussin de sécurité fait partie d’une bonne gestion financière. « C’est moins excitant comme objectif et, malheureusement, beaucoup d’adultes n’ont jamais développé ce réflexe-là ! » constate la chercheuse.

À quel âge devrait-on couper l’argent de poche ? 

« Vers 15-16 ans, quand un jeune commence à décrocher des emplois d’été, on peut diminuer ou suspendre son allocation durant cette période », dit Alexis Gagné. Si le jeune ne semble pas pressé de travailler, une allocation réduite pourrait d’ailleurs le motiver à se lancer.

Apprendre à gagner des sous, c’est un pas vers l’autonomie. « Lors de nos enquêtes auprès de jeunes du secondaire, on a découvert que les ados sont plus vigilants en matière de consommation quand ils dépensent l’argent qu’ils ont gagné par leur travail, note Marie Lachance. Ils surveillent les soldes, comparent les prix… alors que ceux qui n’ont qu’à demander pour recevoir ne se renseignent pas. »

À LIRE: Argent de poche: que faut-il donner et à quel âge?

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