Photo : Bénédicte Brocard
Les photos de finissants exposées dans les couloirs de Polytechnique Montréal ne mentent pas : depuis le 19e siècle, les hommes y sont largement majoritaires. Pas étonnant, donc, que l’université d’ingénierie n’ait jamais été dirigée par une femme avant l’arrivée de Maud Cohen, en 2022. « Pour notre 150e anniversaire, il était temps », reconnaît-elle. La situation évolue lentement : Poly compte aujourd’hui 30 % d’étudiantes, contre 20 % en 1996, lorsque la nouvelle DG y a obtenu son diplôme en génie industriel.
Coupe au carré, tailleur sage et poignée de main solide, elle me reçoit à son bureau, dans le bâtiment principal, sur le flanc nord du mont Royal. Un décor vieillot – portes capitonnées, briques sombres – où trône le portrait d’Urgel-Eugène Archambault, fondateur en 1873 de l’École des sciences appliquées aux arts et à l’industrie, qui a été rebaptisée École polytechnique de Montréal trois ans plus tard. En attendant la rénovation des lieux, Maud Cohen a ajouté un élément décoratif inimaginable à l’époque de son prédécesseur à la barbe blanche : quelques paires de chaussures à talons hauts, bien alignées dans un cube de rangement.
Le parcours de cette battante, mère d’un adolescent et adepte de la boxe grâce à lui, confirme que le génie mène à tout. Dans le domaine pharmaceutique, elle a piloté des projets en Europe, aux États-Unis et au Canada. À la présidence de l’Ordre des ingénieurs du Québec, de 2009 à 2012, elle s’est employée à redorer l’image de la profession, minée par les scandales au tournant des années 2010.
Même la politique lui a fait de l’œil. Candidate battue de la Coalition Avenir Québec en 2012, elle est ensuite devenue présidente du parti, succédant à Dominique Anglade, son amie et condisciple à Polytechnique.
Malgré cette carrière cinq étoiles en génie, c’est pourtant à la médecine que cette première de classe se destinait. Or, au cégep, les cours de biologie – et la dissection d’une souris – l’ont fait déchanter. Elle était en pleine réflexion sur son avenir lorsqu’est survenue la tuerie du 6 décembre 1989, à Polytechnique, qui a coûté la vie à 14 étudiantes. « Je n’avais jamais imaginé devenir ingénieure, j’ai décidé de me lancer. »
Sa mission aujourd’hui : mener une réflexion collective sur le rôle de l’ingénieur de demain. « Crise climatique, santé, cybersécurité, intelligence artificielle… le génie est au cœur des grandes problématiques de notre société, observe-t-elle. Mais il faudra exercer autrement, avec plus d’écoute et d’échanges avec la communauté. » Bref, apporter un peu plus d’humanité à la technologie. « Cela devrait nous permettre d’attirer davantage de femmes qui veulent changer le monde. »
D’ici quelques années, les photos de finissants pourraient avoir une tout autre allure.
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