Chaque saison voit la publication d’un article qui analyse l’influence des médias sociaux sur les mères. On tente toujours d’y cerner un peu mieux le phénomène des mamans vedettes de l’internet. La semaine dernière, Le Monde publiait un texte s’inquiétant de ses impacts insidieux dans « Le retour de la mère parfaite ». L’automne dernier, c’était « Le retour de la fée du logis » dans La Presse. Il y a un an, j’ai lu tout un essai sur la question du « retour des femmes éduquées à la maison » intitulé Homeward bound.
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Dans chacun de ces articles, on est mystifié par le retour d’un modèle de femme qu’on croyait reléguée aux oubliettes : la mère de famille qui s’épanouit dans sa vie familiale et domestique. Sur Instagram, Pinterest ou leur blogue, ces mamans semblent tout faire avec bonheur et style, leurs magnifiques enfants à leurs côtés : des crêpes, un tissage décoratif, une sieste, un roadtrip, une fête d’anniversaire, une marche sur le trottoir, une classe à la maison, un souper de semaine.
Ces supermères de l’Internet font tout avec bonheur, style et surtout un talent certain pour la photographie. Avec la bonne lumière, le bon cadre et le bon filtre, n’importe quoi peut avoir l’air inspirant et magnifique. On ajoute ensuite les bons mots-clics, qui traduisent à la fois l’émerveillement constant et un brin d’humour, et hop! C’est la recette de la famille parfaite. #réseauxsociaux101
Dans ces mêmes articles de La Presse ou du Monde, on critique d’ailleurs cette mise en scène de soi, de ses enfants et des produits offerts gracieusement par des compagnies en quête de publicité. On dénonce la maternité léchée, d’apparence parfaite, standardisée, performante. On s’inquiète de l’impact de ces images sur la mère moyenne qui culpabilise de ne pas avoir le temps ou l’énergie ou les ressources (ou tout cela à la fois) pour faire un capteur de rêves ou un potager. Mais derrière ces façades idylliques, des témoignages de femmes dévastées par cette pression et des confessions de blogueuses qui avouent que leur vie n’est pas si idéale qu’elle n’en parait.
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Les coups de gueule et autres mouvements de résistance à cette glorification de l’art ménager reviennent aussi à intervalles réguliers. Il y a quelques mois, ma collègue Geneviève Pettersen a fait jaser sur les médias sociaux et le site de Châtelaine avec son ménage et ses images de #lavraievie. En 2013, j’adhérais à #realmamalife en expliquant qu’en ne voyant que des photos avantageuses sur le web, « J’en perds le sens du réel. » Le magazine Real Simple a aussi lancé #womenIRL (femmes de la vraie vie) sur Instagram.
Il me semble qu’on est pris dans un genre de vortex, là. On réécrit les mêmes choses, on se repasse les mêmes réflexions, on ressasse les mêmes questions. Pendant ce temps, des femmes se rendent malades en regardant des « photoromans » de vedettes virtuelles. J’aimerais amener ça un peu plus loin, depuis le temps que ce sujet spin dans ma tête.
D’abord, la mère parfaite est-elle déjà partie? En était-on vraiment venues à bout? J’ai l’impression qu’elle a seulement trouvé de nouvelles plateformes où s’incarner et que la multiplication des espaces pour se comparer entre femmes ne fait qu’exacerber le tout.
Les mères ont toujours cherché une façon de briser leur isolement et valider si leur expérience de la maternité est « normale ». On peut combler ces besoins autant sur le perron de l’église, que sur les réseaux sociaux, que dans une activité de zumba maman-bébé. Dans tous les cas, on peut y trouver des amies ou être super complexée par la présence d’une mère qui semble parfaite. Sauf que dans le web, il y a encore plus de moyens de contrôler son image et son message. Le « normal » est plus facile à altérer, la perfection plus facile à suggérer.
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Et qu’on se le dise : le « normal » des vedettes, qu’elles soient des stars d’Hollywood ou des supermères de l’Internet n’a aucune commune mesure avec le nôtre. Demandez-vous comment elles peuvent gagner grassement leur vie sur Internet. Souvent, c’est en respectant les paramètres stéréotypés de la féminité, une triade parfaitement équilibrée de mère aimante, de magasineuse compulsive et de chum de fille. Le contre-discours qui présente la réalité des mères sans filtre devient souvent viral, mais il est moins payant.
Ces mères sont des modèles. Des mannequins de la maternité. Pourquoi persister à se comparer alors? C’est une vraie question. Pourquoi le fait-on si on n’y trouve rien d’inspirant ou de distrayant?!
Le pire, c’est qu’on se compare aussi à leurs millions d’émules qui s’affichent aussi comme des mères parfaites et des ménagères comblées. À mon avis, c’est aussi dévastateur pour l’estime de soi. Si on peut se distancier un peu mieux du lifestyle des mères riches et célèbres du web en se disant que tout ça est inaccessible, c’est plus difficile de le faire avec des femmes qui ont le même code postal que nous. Trippent-elles vraiment ou suivent-elles la mode? Se sentent-elles enfin valorisées dans leur rôle rêvé de mère à la maison ou sont-elles complètement aliénées par la pression sociale? Difficile à dire en regardant uniquement leurs photos de pain maison. J’en connais personnellement dans les deux camps.
Je reconnais la détresse et l’anxiété que subissent les femmes exposées à répétition à ces modèles magnifiés car je l’ai vécu moi-même. Ce qui m’inspirait dans les premiers temps de ma maternité est devenu un cauchemar. Je me réconcilie avec Pinterest après l’avoir évité pendant des années. J’ai arrêté de lire certains blogues que j’adorais. Vendre du rêve, ça peut distraire, inspirer, motiver. Ça peut aussi avoir l’effet contraire. D’où l’importance de continuer d’y réfléchir collectivement, mais aussi d’avoir cette réflexion avec soi. Ces supermères, je les like ou pas?
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