Reportages

L’avortement au Chili: le combat d’une présidente

Le Vatican, Malte, le Salvador, le Nicaragua et le Chili. Cinq États, un point commun: l’interruption volontaire de grossesse (IVG) y demeure strictement interdite. Au Chili, les choses pourraient changer grâce au retour au pouvoir de la présidente Michelle Bachelet. La bataille s’annonce toutefois corsée.

Photo: Getty Images

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L’IVG a été interdite au Chili en 1989, dans les derniers moments du gouvernement militaire, sinistre cadeau d’adieu du dictateur Pinochet. Quelque 25 ans plus tard, Michelle Bachelet se démène pour rouvrir le débat afin que l’avortement thérapeutique soit de nouveau autorisé. Problème : les résistances sont si fortes que la présidente a décidé de repousser la réforme, en catimini, au printemps.

Ce n’est pas la première fois que le Chili trébuche sur le chemin de la légalisation. Chaque fois, le même mécanisme d’opposition s’enclenche. Élites et institutions religieuses en tête bloquent tout espoir de changement. Un poids non négligeable dans un pays où près des trois quarts des gens se disent catholiques. Mais, cette fois, la chef de l’État peut compter sur une solide majorité parlementaire et le soutien de la population. Officiellement,
la loi stipule à l’heure actuelle qu’« aucune action ne pourra s’effectuer dont le but est de provoquer l’avortement ». Il est tout de même pratiqué en cas d’extrême nécessité, quand la vie de la mère se trouve en danger.

Photo: Gregor Fischer/Demotix/Corbis

La présidente du Chili, Michelle Bachelet, a promis de s’attaquer à la légalisation de l’avortement. Les Chiliennes attendent toujours. Photo: Gregor Fischer/Demotix/Corbis

 

200 000 avortements clandestins

Dans les faits, environ 200 000 avortements clandestins sont effectués chaque année au Chili, soit plus du tiers de l’ensemble des naissances, selon Human Rights Watch. Dans un rapport de 2014 qui n’a pas été rendu public, l’ONU exhorte les autorités à légiférer en raison des risques sanitaires encourus par les femmes qui subissent un avortement illégal. Mais, depuis, c’est silence radio.

Plusieurs faits divers sordides ont contribué à renverser l’opinion publique, notamment le cas de Belen, prénom fictif d’une fillette de 11 ans. Violée à plusieurs reprises par son beau-père, elle est tombée enceinte et a déclaré vouloir garder l’enfant. Le drame ultra-médiatisé a provoqué au pays un débat sans précédent. L’accumulation de cas comme celui de Belen a achevé de ranger la majorité de la population derrière la présidente Bachelet.

Les Chiliens soutiennent majoritairement la légalisation de l’avortement, selon Marcela Rios, politologue, spécialiste de la place des femmes dans la société au Programme des Nations unies pour le développement. « L’axe idéologique s’est déplacé. Les élites, les politiques et la population ont évolué. Malgré cela, l’avortement reste tabou. Paradoxalement, il se pratique beaucoup, mais le sujet demeure presque indicible », dit-elle.

Photo: Alan Loquet

« La présidente repousse l’adoption de la loi de façon très pragmatique afin de ne pas se mettre encore plus les Chiliens à dos », analyse la politologue Marcela Rios. Photo: Alan Loquet

Où sont les féministes ?

En matière familiale, le pays dispose d’une des législations les plus conservatrices du continent. Pour preuve, le divorce n’y a été légalisé qu’en 2004. Autre caillou dans la chaussure des défenseurs de l’avortement, les associations féministes peinent à occuper l’espace public. Rares sont les organisations à battre le pavé de Santiago pour faire pression sur le gouvernement et accélérer
l’adoption de la loi.

La société civile a du mal à mobiliser l’opinion publique, juge Gloria Leal, de la fondation Instituto de la mujer, organisation chilienne consacrée à la défense des droits des femmes. « Le gouvernement nous avait dit que tout commencerait à la fin de 2014. Depuis, plus rien. Aucun débat n’a été lancé. Pire, les discussions ne sortent pas du cénacle des parlementaires », déplore, amère, la militante au regard noir.

Selon des sources proches du gouvernement, le dossier ne sera pas ouvert avant mars ou avril. Contacté à de nombreuses reprises, le ministère de la Femme, responsable du projet de loi, n’a pas donné suite à nos sollicitations. Tout un symbole pour cette mesure phare du second mandat de Michelle Bachelet.

Les conservateurs ripostent

Pendant ce temps, les opposants tirent profit du mutisme du gouvernement. L’Église catholique soutient financièrement les associations antiavortement et dispose d’entrées au Parlement avec les partis de la droite traditionnelle. Sans oublier les relations profondes liant l’Opus Dei et la Légion du Christ – un mouvement catholique de droite et une congrégation influente de prêtres catholiques – à certains sénateurs et députés. Le réseau des collèges promet même, si le projet de loi passe, de mobiliser ses jeunes pour qu’ils descendent dans la rue et offrent une opposition spectaculaire.

C’est surtout depuis que le Conseil de l’ordre des médecins s’est prononcé qu’une riposte sérieuse s’organise. Si l’adoption de l’avortement thérapeutique semble à terme ne faire aucun doute, les médecins pro-vie entendent bien vider la loi de son contenu. Incompatibilité de la grossesse avec la santé de la femme portant l’enfant, impossibilité de survie du fœtus et viol de la mère : sur les trois piliers de la réforme de l’avortement thérapeutique, ils en‑
tendent lutter ferme pour obtenir la suppression pure et simple du dernier volet. C’est l’avis de Mauricio Besio, gynécologue et ancien directeur du Centre de bioéthique de l’Université catholique du Chili. « Le viol est quelque chose de terrible, avance-t-il avec prudence. Mais, intellectuellement, le plus innocent de tous, c’est l’embryon ou le fœtus dans l’histoire. » Il l’a annoncé : aucun avortement thérapeutique ne sera effectué dans ses centres de santé. « Je préfère aller en prison plutôt que de me voir imposer de réaliser un tel acte ! » s’exclame-t-il. Loin d’apparaître comme un récalcitrant isolé, il pourrait bien être imité par de nombreux professionnels de la santé.

Les féministes, elles, jugent que plus le temps tourne, plus le risque de détricotage de la mesure s’accroît. « On a fait confiance à Michelle Bachelet et à son gouvernement… jusqu’à maintenant, prévient l’activiste Gloria Leal. À eux de montrer désormais que le Chili est prêt à donner aux femmes le droit de décider de leur corps. »

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