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Mandela: les femmes de sa vie

À la fois époux et grand séducteur, Nelson Mandela a aussi toujours été un grand féministe.

Photo: Jon Hursa/EPA/Corbis

Photo: Jon Hursa/EPA/Corbis

Nelson Mandela a toujours aimé les femmes, il ne s’en est jamais caché. De ses années à la tête de l’Afrique du Sud (1994 à 1999) à son retrait complet de la vie publique en 2004, il n’a jamais raté une occasion de se faire photographier avec des célébrités, des top-modèles. Il les tenait par la taille, flirtait ouvertement, gentiment. « Je suis honoré d’être avec une si belle femme », disait-il.

L’homme a toujours eu de la prestance et du panache. Il dégageait un puissant charisme et une dignité princière. Il était de sang royal, d’ailleurs. On l’a même préparé, pendant 10 ans, à succéder au chef du peuple thembu. Mais avec le trône venait l’épouse. Et lorsqu’il a vu la jeune fille qu’on avait choisie pour lui, il a pris ses jambes à son cou !

En 1940, quand, à 22 ans, il arrive dans la jungle urbaine de Johannesburg, Madiba, comme on le surnomme affectueusement, ne possède qu’un seul costume. Mais il est beau, grand, séduisant. Son look nickel, ses cheveux toujours impeccables, sa raie sur le côté font tourner les têtes. Il aime bien.

Mais ce grand séducteur est aussi un militant des droits des femmes. Elles sont déterminées, pacifiques, astucieuses, « capitales pour le sain développement des sociétés », estime-t-il. Il aime rappeler ce proverbe africain : « Si vous instruisez un homme, vous instruisez un individu. Si vous instruisez une femme, vous instruisez une société. »

Il a changé le slogan du Congrès national africain (ANC) « Un homme, un vote » pour « Une personne, un vote » ; il a poussé son parti à réserver le tiers des sièges de député… à des députées. Affirmant que seule la femme avait le droit de disposer de son corps, il a hâté la légalisation de l’avortement. Selon lui, deux femmes (ou deux hommes) avaient autant le droit de se marier et d’avoir des enfants que les hétérosexuels. « Ces gens sont pleins d’amour, soutenait-il. On a besoin de gens pleins d’amour. » Dès le début de son mandat, il a mis en place un système d’accès gratuit aux soins de santé pour les femmes enceintes et les enfants ; il a conseillé aux femmes du Zimbabwe de faire la grève du sexe pour stopper les ravages du sida dans leur pays.

Nelson Mandela s’est aussi férocement prononcé contre la polygamie. Il n’approuvait pas les quatre femmes du président actuel, Jacob Zuma. Pourtant, sa propre mère était la troisième des quatre femmes de son père, qu’il appelait toutes « maman ».

Son père a donc eu quatre épouses en même temps. Mandela, lui, en a eu trois, successivement.

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Nelson and Winnie Mandela

Le jour de sa libération après 27 ans de prison,
Mandela retrouve enfin sa femme Winnie.
Photo: David Turnley/Corbis

Evelyn, l’amour de jeunesse

Quatre ans après son arrivée à Johannesburg (plus précisément à Soweto, le township avoisinant la grande ville blanche), il épouse Evelyn Ntoko Mase, une infirmière venue du même coin de pays que lui, le Transkei, aujourd’hui le Cap-Oriental. Ils auront quatre enfants, deux garçons et deux filles dont une seule, Makaziwe Mandela, vit toujours. Docteure en anthropologie, elle est fort active.

À cette époque, dans les années 1940 et 1950, Madiba est déjà très impliqué dans la lutte contre l’apartheid au sein de la puissante Ligue de la jeunesse de l’ANC, qu’il a formée avec deux camarades, Oliver Tambo et Walter Sisulu. Il est parfois en voyage, parfois en fuite ou dans une planque, mais presque jamais à la maison. Evelyn s’en plaint. Elle trouve du soutien chez les témoins de Jéhovah et tentera même de convertir son mari ! Les diffé­rences sont irréconciliables. Après 14 ans de mariage, l’épouse prend ses enfants et quitte son mari. Quand Evelyn mourra, en 2004, Mandela assistera aux funérailles de cette première épouse dont il est divorcé depuis 46 ans.

 

 

Winnie, la compagne des années dures

Winnie Mandela

Winnie en 1985, derrière les barreaux de la maison
où elle est assignée à résidence.
Photo: David Turnley/Corbis

Peu après, Mandela rencontre une étudiante en travail social, Nomzano Winifred Madikizela, qu’il avait déjà remarquée à un arrêt d’autobus. Lorsqu’il la revoit, il en tombe amoureux fou. Quand ils se marient en 1958, il a 40 ans et elle, 22.

Winnie donne naissance à deux filles coup sur coup. Son mari est rarement à la maison, mais comme elle est aussi impliquée dans la lutte antiapartheid, elle comprend et accepte.

Au début des années 1960, la situation politique sud-africaine se corse et Nelson Mandela, au cœur de la lutte, est activement recherché. Jugé et reconnu coupable d’incitation à la grève (entre autres), il est d’abord incarcéré pour cinq ans en 1962, puis condamné à la détention à vie deux ans plus tard.

À la prison de Robben Island, Mandela n’a droit qu’à une lettre tous les six mois et à une visite par année. Sans l’amour de Winnie, a-t-il souvent dit, il aurait craqué.

Mais Winnie connaît elle aussi une vie difficile. En plus de la lourde responsabilité de porter le nom de Mandela, elle subit le harcèlement constant du régime de l’apartheid, qui l’emprisonne à répétition, la plupart du temps en isolement, et la confine à domicile pendant des années.

Elle finit par flancher, se radicalise, cautionne la violence contre les Blancs, est accusée d’agression contre un jeune Noir supposément traître à la cause des siens. Très affecté par les nouvelles qu’on lui transmet en prison au sujet de son épouse, Nelson Mandela conserve tout de même un doute : l’amour de sa vie peut-il vraiment être impliqué dans tous ces crimes ? Mais les tribulations de Winnie ont raison de leur union. Lorsqu’il est libéré, le 11 février 1990, la vie conjugale à laquelle il rêve depuis 27 ans ne peut reprendre.

Une fois président, Mandela nomme pourtant Winnie vice-ministre dans son premier gouvernement. Peu après, la femme est reconnue coupable de complicité de séquestration et de coups et blessures ayant causé la mort, de fraude et de vol. Le couple se sépare en 1992 et divorce en 1996. En 38 ans de mariage, Nelson et Winnie n’auront vécu que trois ans ensemble.

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Lettre de prison

« Le 15 avril 1976. Ma chère Winnie, Ta merveilleuse photo est à environ deux pieds au-dessus de mon épaule gauche alors que j’écris cette lettre. Je l’époussette soigneusement tous les matins, car cela me donne l’impression que je te caresse comme dans les bons vieux jours. Je pose même mon nez sur le tien afin de retrouver ce courant électrique qui traversait mon corps lorsque je le faisais. […] Je n’ai reçu qu’une lettre de toi depuis que tu as été détenue, celle datée du 22 août. Je ne connais rien aux affaires de la famille, telles que le loyer, les comptes de téléphone, le soin des enfants et leurs dépenses. […] Aussi longtemps que je n’aurai pas de tes nouvelles, je resterai inquiet et sec comme un désert. Tes lettres sont comme l’arrivée des pluies d’été et du printemps qui égaie ma vie et la rend joyeuse. Lorsque je t’écris, je sens cette chaleur à l’intérieur de moi qui me fait oublier tous mes problèmes. Je deviens rempli d’amour. »

 

 

Former South Africa President Mandela and wife Machel celebrate Mandela's 87th bithday in Johannesburg

Le 18 juillet 2005, Nelson Mandela fête ses 87 ans avec sa chère Graça.
Photo: Mike Hutchings/Reuters/Corbis

Graça, la lumière des vieux jours

En 1993, Nelson Mandela perd son grand ami et camarade de lutte Oliver Tambo, l’une des têtes dirigeantes de l’ANC pendant près de 50 ans (dont 30 en exil). Oliver était le parrain des enfants du président du Mozambique, tué en 1986 dans un crash provoqué par le gouvernement de l’apartheid. Et il avait fait promettre à Mandela de veiller sur ses filleuls après son décès.

Mandela tient sa promesse et se rend à Maputo, au Mozambique, pour rencontrer Graça, la mère des enfants. Il connaît bien cette passionnée de justice sociale qui a radicalement transformé le système d’éducation de son pays. Et qui, deux mois après avoir été nommée ministre de l’Éducation, avait épousé le président, Samora Machel, déjà père de cinq enfants. Pour Mandela, c’est le coup de foudre. Mais pas pour elle !

Alors, Madiba ressort l’arsenal de séduction de ses 22 ans. Il n’a visiblement pas perdu la main : les photographes s’amusent bientôt à croquer les amoureux se tenant par la main et se bécotant comme deux adolescents. Mais leur concubinage agace l’archevêque Desmond Tutu, qui les prie de se marier. Ce qu’ils font le 18 juillet 1998, le jour des 80 ans de Nelson Mandela. « Je ne croyais pas pouvoir encore tomber amoureux ainsi, a-t-il dit. Je me sens comme un petit garçon. » La différence d’âge entre les deux est la même que le nombre de ses années d’incarcération : 27 ans. Graça est la seule femme au monde à avoir été Première dame de deux pays. Et la dernière dans la longue vie de ce grand homme.

 

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