Ils ne courent pas les rues, mais ils existent. En novembre dernier, l’arrestation de 28 cyberprédateurs – de Sherbrooke à Dolbeau en passant par Gatineau et Saint-Jérôme – nous l’a rappelé. « Ce sont tous des prédateurs sexuels, potentiels ou réels, agissant contre les enfants », a déclaré le porte-parole de la Sûreté du Québec. Beaucoup de parents ont alors ressenti un frisson d’effroi…
La pédophilie ne date pas du 21e siècle. Pourtant, les sociétés se demandent encore quoi faire avec ces criminels. L’imaginaire collectif voudrait les voir pendus par les couilles au-dessus d’une rivière infestée de crocodiles. Selon un sondage Léger Marketing réalisé en 2007, 7 Québécois sur 10 souhaitent qu’on leur impose la castration, des condamnations à vie et qu’on affiche leur photo sur tous les poteaux.
On n’en est pas là, mais les peines se durcissent. En 2000, le viol et le meurtre d’Alexandre Livernoche, 13 ans, par Mario Bastien, alors en liberté sous condition, ont entraîné une importante réforme des dispositions pénales concernant les agressions sexuelles sur les enfants.
En vigueur depuis juin 2012, la Loi sur la sécurité des rues et des communautés – tant décriée au Québec – prévoit pour la première fois des peines minimales pour les pédophiles et alourdit celles qui existent en plus de créer des infractions tenant compte des nouvelles réalités technologiques.
Au Canada, on remet en question la réhabilitation des criminels. À entendre les partisans de la ligne dure, tous les enfants du pays seraient menacés par des pervers remis en circulation par une justice bête et aveugle. Pourtant, moins de 10 petits Canadiens sont kidnappés chaque année, selon le psychologue Karl Hanson, expert mondial des agressions sexuelles sur les enfants et scientifique principal à Service correctionnel Canada.
Le sénateur Pierre-Hugues Boisvenu, ardent défenseur des droits des victimes, juge que des changements s’imposaient. « Autrefois, les tribunaux infligeaient des peines légères… On a mis un terme aux pardons, aux amendes, aux peines avec sursis et aux travaux communautaires dans les cas d’agression sexuelle sur des enfants », fait-il valoir.
Punir plutôt que réhabiliter ? Le psychiatre Jocelyn Aubut n’y croit pas. « On nous dit que c’est pour notre sécurité. C’est faux. On marche sur les traces des Américains avec leurs idées des années 1970. Ça ne fonctionne pas, c’est prouvé », laisse tomber celui qui a dirigé pendant huit ans l’Institut Philippe-Pinel, hôpital psychiatrique à haute sécurité qui soigne notamment les délinquants sexuels.
Son collègue Benoît Dassylva, expert dans l’évaluation et le traitement d’agresseurs sexuels, renchérit : « Après qu’on a dit “gros sale”, on fait quoi ? Enfermer le pédophile et jeter la clé dans le Saint-Laurent ne constituent pas une option. Il faut de la prison et de la thérapie. »
Dans notre système, aucune peine de prison n’est éternelle, sauf pour les contrevenants déclarés délinquants dangereux, comme l’Ontarien Paul Bernardo (ex-conjoint de Karla Homolka), enfermé à perpétuité en 1995 pour le viol et le meurtre de trois adolescentes et soupçonné de dizaines d’autres agressions sexuelles.
Un pédophile condamné à une peine de moins de deux ans (dans les cas de crimes moins graves, par exemple la possession de matériel pornographique) sera incarcéré dans une prison provinciale, comme le nouveau centre de Percé, le nec plus ultra en matière de réhabilitation des agresseurs sexuels. Si sa peine est plus longue, il prendra le chemin d’un pénitencier fédéral – c’est à l’intérieur des murs qu’il suivra une thérapie. S’il décline cette aide, il risque de se voir refuser toute libération conditionnelle ou tout autre privilège accordé en milieu correctionnel.
Un fait demeure : un jour ou l’autre, le pédophile sortira de prison. S’il a purgé toute sa peine, on ne pourra le forcer à continuer une thérapie. Celle-ci devient volontaire. Si l’individu est plutôt sous libération conditionnelle parce qu’il s’est bien comporté en prison, a manifesté du remords ou a suivi une thérapie, la Cour peut lui imposer des conditions, dont celle de se faire traiter. Ce qui protégerait mieux le public. La beauté de la libération conditionnelle, c’est le mot conditionnelle…
« On les traite ou on les laisse à eux-mêmes. Libérons-les avant la fin et intervenons », martèle la criminologue Josée Rioux, directrice du Regroupement des intervenants en matière d’agression sexuelle (RIMAS). « Même si on n’aime pas ça, c’est le seul moyen de protéger la société. »
Beaucoup de pédophiles ressentent de la honte. Ils ont aussi peur de retourner en prison. « La plupart d’entre eux veulent sincèrement changer, dit Benoît Dassylva. Mais c’est comme arrêter de fumer. On peut vouloir très fort et échouer. »
Comme un alcoolique, un pédophile peut demeurer abstinent. Mais sans thérapie ni soutien dans la communauté, il risque de recommencer. « Il faut toujours penser à l’après-prison. Le but du traitement, c’est de protéger la société, ensuite d’aider le pédophile, explique Josée Rioux. Et ça fonctionne. Quoi qu’en pense le gouvernement fédéral. »
Malgré l’opinion populaire, une telle approche évite souvent que les délinquants recommencent, selon le psychologue Karl Hanson, de Service correctionnel Canada. « Quand on demande aux gens d’estimer combien de pédophiles récidivent après inculpation et traitement, on se fait dire 60 % ou 70 %. La réalité est plutôt d’environ 35 % sur 20 ans. Et le risque émane d’abord de ceux qui ne se sont pas encore fait prendre. »
Un délinquant sexuel parle dans l’espoir de prévenir des drames. À lire ici.
La méthode québécoise
Le Québec fait figure de leader dans le traitement des agresseurs sexuels. À leur sortie de prison, la majorité d’entre eux sont pris en charge par un des 11 organismes communautaires professionnels qui leur proposent (ainsi qu’à leurs victimes) des traitements de pointe et de l’accompagnement. En 2011, ces centres ont suivi 356 victimes ainsi que 1 102 agresseurs dont plusieurs, craignant de passer à l’acte de nouveau, étaient volontaires. Malheureusement, le réseau souffre de sous-financement public chronique.
Une autre arme dans la guerre contre les agressions sexuelles sur les enfants : les Cercles de soutien et de responsabilité, des groupes de bénévoles qui parrainent un agresseur à sa sortie de prison. Cette initiative de citoyens ontariens préoccupés par la remise en liberté d’agresseurs sexuels s’est implantée au Québec. Appuyés par les services correctionnels canadiens, ces cercles fonctionnent un peu comme les Alcooliques anonymes, avec des rencontres hebdomadaires et du soutien ponctuel au besoin. Le parrainé doit signer une alliance pour un an. « Nous créons un lien amical avec ces hommes pour les aider à réintégrer la société et à ne pas récidiver », explique le coordonnateur Jean-Jacques Goulet.
Les bénévoles vont en prison rencontrer les détenus avant leur libération pour leur parler du programme. Au moins 90 % d’entre eux acceptent d’en faire partie. « Un gars seul est un gars plus dangereux qu’un gars accompagné », affirme-t-il.
Ça fonctionne ou non ?
La castration physique Contrairement à la croyance populaire, cette méthode n’est pas sûre à 100 %. Il existe un cas célèbre dans les annales scientifiques d’un homme qui, après avoir subi l’ablation des testicules à la suite d’un cancer, s’est mis à agresser des enfants pour la première fois de sa vie, parce qu’il ne se sentait plus viril. « Encore plus qu’une affaire de sexe, la pédophilie en est une de pouvoir », dit le psychiatre Jocelyn Aubut. Et la castration ne règle pas ce besoin. » Josée Rioux, directrice du Regroupement des intervenants en matière d’agression sexuelle (RIMAS), abonde dans son sens : « Il lui restera des mains, une bouche. Et des fantasmes. » Les experts s’entendent : entretenir un niveau élevé de stress chez un pédophile le rend encore plus dangereux, car l’agression sexuelle d’enfants représente pour lui une façon d’échapper à ses tourments.
La castration chimique Les professionnels parlent plutôt d’hormonothérapie. Elle doit nécessairement s’accompagner de psychothérapie, de surveillance et de la prise d’antidépresseurs et d’antipsychotiques. Employé seul, le traitement ne donne pas grand-chose : il est très facile d’en contrer les effets. Avec des stéroïdes anabolisants, par exemple.
Le bracelet GPS Pas besoin de sortir de chez soi pour agresser un enfant. Le pédophile récidiviste québécois François Daragon invitait des jeunes à regarder des films pornos chez lui. Un bracelet électronique conçu pour surveiller ses allées et venues n’aurait servi à rien. De plus, le bracelet s’enlève assez facilement.
Les registres Au Canada, les pédophiles sont fichés dans trois registres différents, dont un consacré aux délinquants sexuels. Mais seules les autorités peuvent les consulter. Il existe des registres publics, entre autres en Angleterre et aux États-Unis, mais on n’a aucune preuve solide de leur efficacité. Et ils comportent des dangers. Comme la tentation de s’improviser justicier (c’est arrivé dans le Maine). Et les erreurs, toujours possibles, avec leurs conséquences catastrophiques tant pour les gens visés que pour leurs proches.
La dénonciation publique Placarder la photo d’un agresseur sur les poteaux (ce qu’on appelle Name and Shame en anglais) est inutile. D’autant que 80 % des victimes connaissent leur agresseur. Et inefficace : un crâne rasé, une moustache et le tour est joué. Afficher l’identité d’une personne sur la place publique équivaut à soumettre toute sa famille (dont ses enfants) à la vindicte populaire.
Comment protéger son enfant ?
Le risque zéro n’existera jamais, mais la famille et les enseignants peuvent jouer un rôle de premier plan dans la prévention. Voici quelques pistes.
Surveiller Les pédophiles ne se promènent plus dans les parcs ou aux abords des écoles : ils sévissent sur Internet. Beaucoup de parents sortent l’ordi de la chambre de l’enfant ou du sous-sol pour le placer dans un lieu passant de la maison.
Écouter Les victimes sont souvent des jeunes carencés affectivement, vulnérables. Certains d’entre eux vivent dans un milieu où ils n’ont pas droit de parole parce que l’adulte a toujours raison. Les pédophiles savent les repérer.
Écouter encore Les enfants n’inventent pas les histoires d’abus et savent d’instinct quand on leur veut du mal. Il faut prendre au sérieux le garçon ou la fille qui ne veut pas embrasser son oncle Machin. Au cas où. Ne jamais oublier que 80 % des gestes condamnables sont le fait de proches qui ne manifestent aucune agressivité. Au contraire, ils séduisent petit à petit.
Enseigner Une éducation sexuelle adaptée selon l’âge est l’une des meilleures protections contre les abus. Le petit doit apprendre à connaître et à respecter son propre corps, et les parents et les éducateurs doivent préserver la pudeur naturelle des plus jeunes.
Répéter Les bons vieux conseils de nos mères sont toujours de mise : « Ne suis jamais un étranger ; Ne monte pas dans l’auto de quelqu’un que tu ne connais pas ; Si tu te sens menacé dans la rue, frappe à une porte ; Ne te laisse pas toucher ; N’aide pas le gentil monsieur à chercher son chien. » L’enfant doit être conscient du danger, mais pas en venir à croire que tout le monde est dangereux.
Être attentif à certains signes Bobos inexplicables, surtout au ventre ; langage sexuel inapproprié – un jeune enfant ne parle pas de « queue » ou de « plotte » ; problèmes à l’école ; dessins à caractère sexuel ; cauchemars ; dépression ; troubles alimentaires ; pudeur excessive ou exhibitionnisme soudain.
Apprendre à l’enfant son adresse et son numéro de téléphone Qu’il doit garder pour lui pour toute urgence. Lui faire comprendre qu’il ne doit pas les révéler à qui que ce soit, en particulier sur Internet.
Une lecture essentielle : Te laisse pas faire ! Par la sexologue Jocelyne Robert 16,95 $, aux Éditions de l’Homme.
Un délinquant sexuel parle dans l’espoir de prévenir des drames. À lire ici.
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