Blogue La course et la vie

Apprendre des meilleurs

La vérité, c’est qu’on ne devrait pas se tenir loin des gens qui sont meilleurs que nous, dans tous les domaines d’ailleurs, pas juste à la course… Au contraire, on devrait s’en approcher le plus près possible, histoire d’absorber tout ce qu’ils ont à nous enseigner.

Genevieve-profl

L’auteure, Geneviève Lefebvre

Souvent, surtout quand on commence à courir, on est intimidé par les coureurs d’expérience. On est gêné, impressionné et parfois, juste complexé à l’os.

Ils sont si bons, on est si … (j’allais dire « poche », mais c’est vrai, on n’a pas le droit de s’injurier, zut).

Ils sont si bons donc, si rapides, et si beaux à voir courir avec leur foulée de fauve en liberté…

Résultat, on se tient loin, en les admirant en douce et/ou en faisant semblant que « bof, moi je m’en fous du chrono, y’a pas juste ça dans la vie la performance ».

Et on croit, presque, à notre mensonge.

La vérité, c’est qu’on ne devrait pas se tenir loin des gens qui sont meilleurs que nous, dans tous les domaines d’ailleurs, pas juste à la course.

Au contraire, on devrait s’en approcher le plus près possible, histoire d’absorber tout ce qu’ils ont à nous enseigner.

Car si c’est vrai que si « y’a pas juste ça dans la vie, la performance », nos complexes et notre ego ne devraient jamais être un handicap à notre progression et à notre désir d’apprendre et de faire mieux.

Il n’appartient qu’à nous d’aller chercher ce qu’ils ont à nous offrir.

Tenez, pas plus tard que cet été… C’était au demi-marathon de Sainte-Anne-de-Bellevue. Un parcours tout en ondulations et autres variations de terrain, exigeantes pour les jambes, le souffle, alouette.

J’arrive au dernier kilomètre de l’épreuve. Ça s’est plutôt bien passé, mais l’interminable montée du dernier viaduc m’a fatigué les jambes et j’ai hâte d’arriver.

Parmi le flot des coureurs, un visage familier qui vient vers moi à contresens.

C’est Michel Cusson.

Impossible de le rater. D’abord, il doit bien mesurer 7 pieds (j’exagère à peine) dont 6 pieds de jambes nerveuses et musclées. Et au-dessus de la masse des visages crispés par l’effort, le sien dépasse, illuminé d’un sourire à fendre le pire cœur de pierre de la planète.

Michel Cusson est une légende dans le monde de la course au Québec. D’abord, parce que c’est un formidable coureur (il a terminé le mythique marathon de Boston sous la barre des trois heures. À 48 ans). Mais surtout parce qu’en plus, c’est un cœur d’or dans un homme exquis.

Modeste, généreux de ses conseils judicieux, toujours en train de rire, d’encourager les autres, bref, adorable dans la vie autant que dans la course.

Et le voilà qui court vers moi, gambadant sur ses grandes jambes de guépard, le sourire fendu jusqu’aux oreilles. Il a terminé sa course. Sa présence ne peut signifier qu’une seule chose : il s’en vient me chercher.

Pour me pousser jusqu’au fil d’arrivée.

C’est ici que je vous dis la vérité.

Oui, je suis émue de le voir venir à ma rencontre, quel beau geste, quelle gentillesse. Et en même temps, et c’est torrieux, me voilà terrorisée.

C’est que voyez-vous, maudite affaire, il est maintenant hors de question que je termine cette course en mémère, bien à l’abri de ma certitude d’avoir « assez donné ».

Non, m’sieurs, dames. Quand Michel Cusson vient te chercher – toi, la fille qui est à des années-lumière de sa vitesse à lui – pour te pousser dans le derrière et t’obliger par son beau grand sourire à donner ton 199%, t’as pas le droit de te défiler.

T’as juste pas le droit.

Tu vas en baver ma fille.

J’en ai bavé.
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Le kilomètre le plus long de ma vie. Les poumons collés au thorax, le cœur en mode « delirium turbo », les jambes en métal hurlant et le cerveau dans le Jello. J’ai donné tout ce que j’avais en me demandant à chaque seconde comment j’allais faire pour ne pas vomir et/ou péter au fret.

Sortir de sa zone de confort, vous dites?

Ma zone de confort était en orbite, quelque part entre Mars et Pluton. Michel, lui, était mort de rire, même pas essoufflé (le maudit).

– Il reste juste cent mètres, m’encourageait ce démon blond (pire que l’autre, mille fois pire).

J’ai franchi la ligne d’arrivée dans un état proche de l’Ohio, mais sans vomir, et sans péter au fret. J’étais euphorique. Le piton collé dans le plafond.

Ce jour-là, à la fin d’une course pourtant longue et ardue, je venais de courir le kilomètre le plus rapide de ma vie.

Incroyable!

C’est ça qu’ils ont à nous apprendre, les meilleurs…  Que le meilleur est possible. 

Qu’on a le droit, et même le devoir de se dépasser.  Pas pour « battre les autres ».  Mais pour faire taire la petite voix qui répète, lancinante : « tu n’y arriveras pas ».

Mais oui, on va y arriver, mais oui. 

J’ai peu de certitudes dans la vie, mais je peux vous assurer d’une chose : faire taire la voix de la défaite, ça n’a pas de prix.

Merci Michel.

MichelCusson

À lire : tous les billets de blogue de Geneviève Lefebvre.

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