Mode

Des designers québécoises qui aiment le froid

Ces créatrices et entrepreneures nous vendent leur mode d’hiver avec conviction et réussissent à nous faire apprécier un -20 ºC!

Mariouche Gagné (Photo: Maude Chauvin)

Mariouche Gagné
HARRICANA PAR MARIOUCHE

Le sens de l’éthique
Il n’y a pas assez de jours d’hiver pour combler la designer Mariouche Gagné. «La poudreuse me rend heureuse!» s’exclame cette amoureuse du froid qui pratique à peu près tous les sports qui existent au nord du 45e parallèle: ski alpin et nordique, planche à neige, raquette, hockey, parapente, luge… et batailles de boules de neige! L’adolescente qui a planté 200 000 arbres dans un projet environnemental a eu envie très tôt de protéger la planète, avant que la vague écolo ne devienne tendance. Ses valeurs éthiques germent pendant qu’elle enchaîne les études en design de mode au cégep Marie-Victorin, au Collège LaSalle, à la prestigieuse école milanaise de design Domus Academy et au Saga Fur Design Centre, à Copenhague. Pour payer les cours exorbitants en Italie, Mariouche participe à un concours du Conseil canadien de la fourrure. Elle crée un vêtement de ski réversible, doublé de fourrure taillée dans… les vieux manteaux de sa mère! Elle remporte le deuxième prix et retourne à Milan, le portefeuille renfloué et des idées plein la tête. «Mon concept de recyclage a tellement séduit mes professeurs que j’ai fait mon mémoire de maîtrise sur le sujet. Je voulais offrir une mode chaude, durable, biodégradable et le plus recyclable possible. Et éviter les produits dérivés du pétrole.» Les bases de Harricana par Mariouche sont jetées.

Peaux reliftées
En 1994, à 23 ans, Mariouche démarre en affaires et choisit comme nom Harricana (dérivé de l’algonquin Nanikana, un fleuve emprunté pour les traites de fourrure à l’époque de la Nouvelle-France). Elle est fascinée par tout ce qui touche à l’art des Premières Nations. Pour dégoter la matière première, elle écume les garde-robes de sa famille, les marchés aux puces, les ventes-débarras et rend visite à des fournisseurs qui récupèrent des antiquités, entre autres. Les manteaux trapèzes en vison qui sentent les boules à mites sont retaillés en silhouettes modernes ou se métamorphosent en chapeaux, sacs, mitaines… Les magasins Simons adorent et lui passent subito trois commandes. Le chapeau rétro d’aviateur doublé de fourrure devient culte. La magie opère, la planète est sous le charme: l’Europe, le Japon et même l’Australie achètent. Mariouche ouvre des boutiques et des points de vente au Québec.

Ski jet-set, déco et cie
L’année 2013 est particulièrement faste pour Harricana. Mariouche ajoute des pièces en maille. Elle a l’honneur de collaborer avec le créateur Jean-Charles de Castelbajac pour la prestigieuse marque sportive française Rossignol. Une boutique éphémère Harricana ouvre sur les Champs-Élysées. Avec Mobilia, elle conçoit des coussins, des jetés et des poufs. Et un parfum avec la maison québécoise Monsillage! Le glacier Bilboquet et le joaillier Birks accueillent aussi une boutique éphémère fin 2015. Des nuages passent: «Deux mauvaises années de ventes en exportation m’ont obligée à me départir des actifs de l’entreprise ainsi que de ma superbe bâtisse [rue Saint-Antoine].» Mariouche se réinstalle rue McGill, dans un quartier stratégique où les touristes croisent les gens d’affaires. En 2017, Harricana vit une fusion-acquisition avec la marque centenaire Canadian Hat, propriété de Diane Lanctôt, «une femme d’affaires formidable et agréable». Les nimbostratus sont chassés. On repère plus que jamais les créations d’Harricana dans les décors hygge* d’hôtels ou de spas de chez nous. Et, bien sûr, dans la garde-robe de ceux qui ont voulu remettre du sens dans leur consommation. Comme rien n’arrête l’infatigable Mariouche, un immense atelier-boutique a vu le jour depuis l’automne 2020 dans l’arrondissement de Verdun.

*Mot danois qui désigne le bien-être et l’art de vivre réconfortant

Doux cocooning

• Chez Harricana, on travaille le raton laveur, le coyote, le renard, le vison, le lynx et le rat musqué, des fourrures très chaudes et ultrarésistantes (elles peuvent durer jusqu'à 100 ans !). • Les froides soirées d'hiver, Mariouche adore siroter du saké chaud devant un feu de foyer, sous une couverture en fourrure recyclée.

 

Élise et Sophie Boyer (Photo: Maude Chauvin)

Sophie Boyer
AUDVIK

Les parkas à toute épreuve
Amenez-en des pistes enneigées, des glissades grisantes et des bourrasques glaciales. La Sherbrookoise Sophie Boyer est immunisée contre l’hibernite aigüe! L’énergique trentenaire a déjà été membre de l’équipe nationale de ski de fond, avec camps d’entraînement intenses en Finlande et compétitions de haut niveau. Sophie accumule un précieux bagage d’informations à travers les épreuves de skating, les études universitaires en administration des affaires et marketing et plusieurs années d’expérience en ventes chez Sports Experts. Un jour, elle a vent qu’une entreprise montérégienne de manteaux, Audvik, est à vendre. Les proprios sont essoufflés après 33 ans d’activités et veulent relever d’autres défis.

La côte à remonter
«Quand j’ai découvert Audvik, la marque n’était pas exploitée à son plein potentiel. J’y ai vu une occasion en or qui me permettait de combiner mes passions et mon expertise tout en faisant renaître une griffe de ses cendres», se souvient Sophie. Les planètes semblent alignées à ce moment-là. Sa famille la soutient financièrement et sa mère Élise, qui dessine des vêtements de sport depuis trois décennies, se joint au projet sans hésiter. En 2012, à 24 ans seulement, Sophie se retrouve propriétaire, gestionnaire de la production, du marketing et du service à la clientèle. Ouf! Il y a du pain sur la planche. D’abord, rapatrier Audvik du village de Saint-Clet, en Montérégie, à l’atelier de la rue Chabanel, à Montréal, pour centraliser les activités, accroître la capacité de production et se rapprocher des sous-traitants. Puis, rafraîchir les styles et les coupes, en tandem avec maman. Plutôt que de proposer un large vestiaire, Sophie et Élise se concentrent sur un produit phare: la parka. La plus courte est adaptée aux sports de glisse et les deux autres (mi-cuisse et longueur genoux) s’acclimatent aussi bien à la ville qu’à la campagne. Leur zone de confort varie de -20 ºC à -30 ºC selon le modèle.

Une relance bien de son temps
Parmi les enjeux qui touchent Sophie, on note les responsabilités environnementales et sociales. La production centralisée sur la rue Chabanel a été faite dans le but de réduire l’empreinte écologique. Audvik encourage l’économie québécoise en s’approvisionnant auprès de fournisseurs d’ici et en confiant la confection des manteaux à une main d’œuvre locale. Un autre signe de modernisation d’Audvik: l’utilisation des réseaux sociaux pour diffuser la marque. Sophie fait appel à des influenceurs sportifs, des athlètes et des photographes qui cultivent la même passion pour la nature et les activités de plein air. Le compte Instagram de la griffe (@audvik) est alimenté par ces amoureux de forêts majestueuses et de paysages enneigés. Des splendeurs qui ont commencé à séduire une clientèle hors frontières, car Audvik reçoit de plus en plus de commandes de France sur sa boutique en ligne!

Pour le nord neigeux

• Aujourd'hui, Sophie est toujours passionnée de plein air nordique: «Rien de mieux qu'une promenade au froid quand on est bien habillées, ça fait du bien au corps et à l'esprit. Une bonne dose d'endorphine gratuite!» s'enthousiame-t-elle. • Le secret antigel chez Audvik? Une structure multicouche qui procure une grande chaleur et un isolant synthétique ultraléger de plus en plus en demande: l'ExKin Air qui emmagasine de l'air comme un duvet. • Nos mères nous le disaient, Sophie nous le répète: «On enfile toujours une tuque et des mitaines pour ne pas geler! C'est par la tête qu'on perd le plus de chaleur.» Évidemment, en complément d'une parka Audvik.

 

Sarah Beaudoin (Photo: Maude Chauvin)

Sarah Beaudoin
GIBOU

Effet boule de neige
Sarah Beaudoin était loin de se douter pendant ses études universitaires que son passe-temps favori – le tricot – allait devenir le fil conducteur de sa carrière. La jeune fondatrice de la marque d’accessoires Gibou en a enfilés, des rangs de mailles, pour créer ses fameuses tuques à gros brins de laine, réclamées d’abord par sa famille et ses amis. L’épiphanie se manifeste en 2013, quand elle décide de ponctuer un de ses bonnets d’un pompon taillé dans un vieux manteau de fourrure. «La tuque a fait fureur dans mon entourage. L’idée d’en vendre sur un site transactionnel s’est concrétisée. En septembre 2014, l’entreprise était fondée, juste à temps pour la saison froide», raconte cette bachelière en architecture et détentrice d’une maîtrise en gestion des affaires. Sarah abrège le surnom Gibourine que son père lui donnait quand elle était petite: Gibou devient la dénomination sociale de l’entreprise. Elle tient à s’approvisionner localement: toute sa matière première est achetée au pays. Les commandes fusent. Et Sarah se retrouve vite avec de la broue dans le toupet et les balles de laine.

Le cœur à l’ouvrage
Sarah reçoit du renfort de sa mère et sa tante, toutes deux à la retraite. Elles mettent la main à la pâte… ou plutôt au crochet et aux aiguilles. La créatrice milite pour l’engagement social, inspirée par Patagonia, la bannière écoresponsable de vêtements de plein air californienne. Elle fait appel à d’autres tricoteuses, également retraitées, pour lui prêter main-forte. «Elles sont aujourd’hui une quinzaine à travailler pour Gibou, 12 mois par année. De chez elles, dans le confort de leur maison», précise la jeune femme de 31 ans. Il faut visiter le site (gibou.ca) et voir l’amour et le respect accordés à Denise, Lorraine, Merilda, Hélène et les autres artisanes. Elles parlent toutes de fierté et du bonheur de contribuer au succès d’une entreprise locale. Sarah a de quoi les occuper tout le temps: l’été 2018, elle a lancé une collection de serre-têtes pour la saison chaude, question de diversifier la marque. Une initiative qui est allée bien au-delà de ses espérances: les objectifs de ventes ont été dépassés de 500%!

Confessions hivernales

• Sarah Beaudoin est amatrice de ski alpin et dévale les pentes presque tous les week-ends d'hiver. Si le mercure chute sous -15 ºC, elle troque les planches contre les grosses bottes de randonnée. • Le pire froid enduré? Un redoutable -35 ºC au sommet du mont Tremblant. • Sarah préfère les mitaines aux gants, tout simplement parce les doigts regroupés génèrent plus de chaleur. Chez Gibou, on produit aussi des mitaines tricotées, avec ou sans fourrure recyclée, et doublées de polar.

 

Isabelle Deslauriers (Photo: Maude Chauvin)

Isabelle Deslauriers
DESLOUPS

Le chic pure laine
Dès qu’elle a eu la permission d’actionner la machine à coudre maternelle, à l’âge de 10 ans, l’hyperactive Isabelle Deslauriers n’a pas tardé à apprendre les rudiments du design de mode. Après avoir suivi une formation spécialisée, cette native de Québec et Montréalaise d’adoption a exploré toutes les facettes du métier – création, production, ventes – au fil de ses emplois dans diverses sociétés. Un jour, on lui propose de plancher sur un projet de manteaux pour La Baie d’Hudson. «Un défi parfait pour l’éternelle frileuse que je suis, se remémore Isabelle. Je me suis retrouvée confrontée au dilemne de concilier les épithètes « chic » et « chaud ».» Cette expérience lui sert de tremplin pour fonder Desloups, sa propre griffe de manteaux.

Le Melton, source de chaleur
Le manteau de ses rêves, Isabelle l’a cherché comme le Graal. Rien n’y fait pour stopper les frissons: les fibres synthétiques ne passent pas le test. Les doudounes en duvet? Pas assez élégantes à son goût. Quand Isabelle découvre le Melton, ce tissu en laine d’aspect feutré, c’est la révélation, «parce que l’étoffe respire, isole et ne devient pas détrempée après une petite pluie d’hiver», explique-t-elle. Pour la doublure matelassée, elle utilise du nylon et du Thermolite, un isolant qu’on trouve dans les vêtements de ski et dont l’indice de confort atteint les -25 ºC. Les cocons de chaleur Desloups sont équipés de poches réchauffe-mains, les poignets sont doublés de flanelle et le col est assez grand pour qu’on y love un foulard.

Inspiration militaire
Le Melton était utilisé pour les uniformes militaires et Isabelle en a pris bonne note pour ses premières créations. Les manteaux du début ont la prestance des pardessus portés par les généraux des deux Grandes Guerres. Récemment, la créatrice a ajouté des paletots droits et amples. Elle intègre toujours des couleurs «plus fashion» à ses collections (cette année, un rouge vif, un bleu nordique et un jaune moutarde), même si 90% des achats se font en noir. Faute de temps, Isabelle ne confectionne pas tous les manteaux elle-même. Elle donne en sous-traitance locale le dessin des patrons, la gradation, la coupe et la couture (réalisée dans une manufacture spécialisée en manteaux). Mais elle se réserve la gestion de son atelier montréalais, rue Saint-Denis, ainsi que l’ajustement, un service à la clientèle qu’elle tient à assurer personnellement.

Le froid apprivoisé

• Isabelle Deslauriers a déjà visité Iqaluit, au Nunavut, où le froid est sec et le vent, constant. Elle y a appris que le sous-pull (la couche de base en contact avec la peau) ne devrait jamais être en coton, parce qu'il absorbe l'humidité et met des heures à sécher. Il faut plutôt opter pour la laine mérinos ou une matière technique. • Elle ne se sépare jamais de ses mitaines en peau de phoque, achetées dans le Grand Nord: «Ça donne un look funky sur les trottoirs du Plateau!»

 

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