Tête à chapeaux

Connaissez-vous vos amis Facebook? Moi, un peu plus

«Vous vous êtes fait 30 nouveaux amis ce mois-ci», m’annonçait récemment mon gourou virtuel. En réalité, je n’avais jamais eu de contact physique (pas dans ce sens-là, franchement) avec la plupart de mes nouveaux «amis».

Photo: geralt / pixabay.com

Je suis de celles qui «existent» en ligne depuis les balbutiements des réseaux sociaux. Du temps où l’on voyait d’un mauvais œil le fait de mettre son nom et sa photo en ligne. À présent, c’est normal de pouvoir monter un dossier sur quelqu’un en le googlant… et que Steve Bannon lise nos messages privés. En plein scandale de Cambridge-Analytica, le moment est malvenu de faire la promotion de Facebook et consorts. Il est pourtant évident que plus rien ne suffit pour nous faire «tirer la plogue». On coche tous «J’ai lu et j’accepte les conditions» avec une négligence assumée.

Même sans qu’il y ait de piratage, on fournit une quantité effarante d’informations sur nous, nos habitudes et nos préférences à des intérêts privés. On contribue bénévolement à une mine d’or pour tous ceux qui ont quelque chose à nous vendre, au sens large du terme. On apprenait même en 2014 que Facebook avait mené des expériences psychologiques sur 700 000 utilisateurs. C’est terrible. J’y suis pourtant toujours inscrite. Et vous? Si l’on répare continuellement nos œillères avec du duct tape, c’est que l’on tire aussi quelque chose de notre présence en ligne. Quelque chose que la mauvaise foi se plaît à réduire à un vulgaire mélange d’exhibitionnisme et de voyeurisme…

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Pour ma part, ce fut et ça demeure un tremplin professionnel puissant, un fil de partage de nouvelles, une façon de garder le contact avec mes proches et moins proches, mais aussi une issue à mon isolement. L’isolement est paradoxalement le mal du siècle, à tel point qu’au Royaume-Uni, on a nommé un ministre de la Solitude. D’un simple coup de pouce vers le haut, on soumet au test de notre intérêt une quantité phénoménale de contenu sans cesse renouvelé. Soudain, attendre l’autobus en regardant distraitement les passants devient intenable. Et, sournoisement, notre lien le plus soutenu avec le monde devient un catalyseur de solitude.

Sans diminuer l’importance des questions de protection de la vie privée en ligne, sans nier non plus les effets pervers des réseaux sociaux, j’ai l’impression qu’on s’écarte lentement de leur pouvoir grandiose de créer et de nourrir des contacts humains.«Vous vous êtes fait 30 nouveaux amis ce mois-ci», m’annonçait récemment mon gourou virtuel. En réalité, je n’avais jamais eu de contact physique (pas dans ce sens-là, franchement) avec la plupart de mes nouveaux «amis». En parcourant la liste entière de plus de 700 noms, je réalisais que la très vaste majorité de ces «relations» n’existaient pas dans le «réel». J’ai donc lancé une bouteille à la mer:

Dans le dernier mois, seulement dans le cadre de ce «projet personnel», j’ai physiquement passé du temps avec une vingtaine d’amis virtuels. Un souper avec des amis d’amis, un brunch avec un gars rencontré sur Réseau Contact en 2007 et sa blonde actuelle, un thé avec une connaissance professionnelle, un café avec mon prof de sciences du primaire, et j’en passe. J’en sors avec l’étrange mais ferme impression d’avoir réinventé la roue, alors que d’autres ont mené cette expérience bien avant moi. J’ai envie de crier sur tous les toits qu’on est en train de passer à côté de l’essentiel: l’aspect social des réseaux… sociaux. On me dira gossante avec ma tendance à tout ramener au contact humain, à la curiosité face à l’autre, en bonne hippie des sciences humaines que je suis, mais c’est de nouveau à la mode, être hippie, je l’ai vu sur Instagram.

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On se prend si facilement les doigts dans la mise en marché de soi et la consommation d’autrui. En plus d’être en compétition avec une version maquillée de la réalité de nos «amis», on se fait aussi duper par la nôtre, à force de souligner l’anniversaire de tout ce qu’on a bien voulu publier il y a un, deux, six, huit ans, oubliant ainsi tout ce qu’on a préféré omettre. Face à face, même sous un bon éclairage, impossible de n’apparaître que sous son meilleur jour. Face à face, on s’offre également une liberté qu’on se permet de moins en moins en ligne, pour des raisons évidentes. Je continuerai donc d’amarrer mon réseau virtuel au port USB du réel, une rencontre à la fois, entre les contrats et les aléas du quotidien, avec l’impression un peu folle de réinventer le monde. Tout à coup que ça donnerait un sens à notre drôle d’époque…

Êtes-vous game?


Manal est chroniqueuse, conférencière, procrastinatrice et aime se dire «ironiste» de profession. Elle nous livre chaque mois des réflexions tout en humour et en humeurs sur les aléas de la vie d’une femme moderne.

Les opinions émises dans cet article n’engagent que l’auteure et ne reflètent pas nécessairement celles de Châtelaine.

 

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