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Stéphanie Boulay: la sérénité absolue n’existe pas

On nous dit: «Le jour où tu vas t’aimer et t’accepter, tu seras heureux et les tracas de la vie ne t’atteindront plus.» Combien de fois, en parlant de mes doutes, de mes déséquilibres et de mes vagues d’humeurs changeantes, me suis-je butée à une personne autoproclamée qui, avec condescendance, prétendait avoir atteint quelque chose qui m’échappait?

Photo: iStock / BahadirTanriover

Au moment où on a dévoilé la séance photo que j’avais faite avec le Womanhood Project, je n’ai pas été tellement étonnée que certains médias reprennent la nouvelle avec, quelque part dans le titre ou l’en-tête, cette idée que j’avais affirmé avoir «fait la paix» avec mon corps. Ça m’a fait sourire, mais ça m’a aussi un peu dérangée. Il y a beaucoup de choses qui m’irritent, dans la vie, mais une qui se démarque particulièrement est cette tendance qu’ont les gens – surtout les blogueurs, vedettes et autres auteurs de livres sur la croissance personnelle de ce monde – à s’autoproclamer. À déclarer qu’eux sont engagés, écolos, qu’eux ont trouvé l’équilibre, ou encore mieux, le bonheur. (On a probablement tous surpris un autoproclamé «bien dans sa peau» à publier 38 selfie-stories Instagram par jour, mais je ne peux pas plaider non coupable ici.)

Je suis fâchée par cette tendance populaire qui décrit le bonheur comme le sommet d’une montagne à gravir et sur lequel, une fois arrivé, on peut passer le reste de sa vie, sans jamais se déplacer pour aller chercher de la nourriture, des amis, ou simplement explorer des sommets moins élevés.

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On nous dit: «Le jour où tu vas t’aimer et t’accepter, tu seras heureux et les tracas de la vie ne t’atteindront plus.» Combien de fois, en parlant de mes doutes, de mes déséquilibres et de mes vagues d’humeurs changeantes, me suis-je butée à une personne autoproclamée qui, avec condescendance, prétendait avoir atteint quelque chose qui m’échappait? Ne pourrais-je jamais vivre mon plein potentiel tant que je n’aurais pas la tranquillité d’esprit et la solidité d’un moine bouddhiste? Comme si la vie n’était pas remplie de chutes, d’épisodes de découragement total, d’échecs retentissants, de regrets et de remords, d’angoisses. De jours où on se dit: «Je pense que ça y est! J’y suis! J’ai fait la paix avec mes parents!» pour se retrouver, 24 heures plus tard, à vouloir hurler à sa mère: «JE TE DÉTESTEEEEEEEE!» De jours où on pense qu’on est finalement arrivé à apprécier le célibat et où on finit par écrire à un ex toxique qu’on s’ennuie, juste parce qu’on ne peut pas supporter de s’endormir sans se sentir désiré quelque part dans le monde.

C’est une idée rassurante que celle d’un plateau infini de confort et de pleine satisfaction pointant à l’horizon et à notre portée, si on y travaille suffisamment fort et si on le mérite assez. Ça fait vendre beaucoup de livres à des gens qui, désespérés de ne pas être capables de rester sur ledit plateau – alors que d’autres semblent y parvenir à grands coups de statuts Facebook et de photos sereines #gratitude – se disent qu’ils doivent avoir raté une étape, ou qu’ils ne sont tout simplement pas assez doués pour y arriver. Mais je me demande comment réagira l’autoproclamé le jour où la peau va ramollir, où le sexe ne s’excitera plus, où la carrière va sombrer, où il va falloir se recycler, le moment où le couple se dissoudra, où la solitude se fera étouffante, où il n’y aura plus d’argent dans le compte…

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Nous tombons tous, un jour ou l’autre. Certains plus bas, certains moins. À ceux qui ont lu ce gros titre qui dit que j’ai «fait la paix»: non, je ne l’ai pas faite. Certains jours oui, mais certains jours non, pas du tout. Et c’est MERVEILLEUX. Parce que ça me donne de l’empathie. Parce que, à travers les variations d’altitude de mon cœur, j’arrive, je crois, à mieux comprendre l’âme humaine, en la jugeant moins. Annie Ernaux le décrit magnifiquement bien, dans Passion simple, quand elle raconte les bas-fonds de son obsession pour un homme: «J’ai découvert de quoi on peut être capable, autant dire de tout. Désirs sublimes ou mortels, absence de dignité, croyances et conduites que je trouvais insensées chez les autres tant que je n’y avais pas moi-même recours. À son insu, il m’a reliée davantage au monde.»

Je pense sincèrement que, plutôt que de rechercher la stabilité immuable, l’infinie sérénité, on devrait essayer de faire la paix avec l’idée que cette sérénité n’existe pas et n’existera probablement jamais. Si monsieur X affirme qu’il a trouvé le bonheur aujourd’hui, c’est qu’il se sent heureux aujourd’hui. Et peut-être le sera-t-il aussi demain, mais encore là, personne ne le sait.


Photo: Bianca Cloutier-Lamoureux

Auteure-compositrice-interprète au sein du duo Les Sœurs Boulay, Stéphanie Boulay est également l’auteure du roman À l’abri des hommes et des choses (Québec Amérique).

Les opinions émises dans cet article n’engagent que l’auteure et ne reflètent pas nécessairement celles de Châtelaine.

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