/
1x
PUBLICITÉ
Société

Ma première fois

Premiers french, boulot ou bébé : 9 personnalités nous parlent de leurs premières fois.
Par Caroline Fortin, Marie-Hélène Proulx, Marie-Ève Bédard et Mariana Mazza

Ma première fois

Ma première foisPhoto: Philippe-Olivier Contant / Agence QMI

Ricardo Trogi: Comme dans 1987, ou presque…

Le père de Ricardo Trogi lui a acheté une Lada pour qu’il passe son permis de conduire au plus pronto – oui! ou! comme dans le film 1987. Il a ainsi pu décrocher son premier boulot officiel à 16 ans: voiturier au chic resto Parmesan de Québec, à quelques jets de pierre du Château Frontenac. Dans le cadre duquel il a eu deux accidents plutôt qu’un. «Premier accrochage: j’avais emmené un copain dans la Peugeot d’un client et j’ai démoli le dessous en roulant trop vite sur une plaque de chaussée qui était inclinée. J’ai pu garder ma job parce que le boss était un ami de mon père. La deuxième fois, j’ai été con. Je voulais impressionner des touristes américaines en passant devant elles avec une décapotable que j’allais garer. J’ai glissé sur la glace et ça m’a conduit tout droit dans un mur.» Durée du premier emploi de Ricardo Trogi: un mois et demi.

Ma première foisPhoto: Julie Artacho

Catherine Trudeau: Entrée inoubliable à la maternelle

L’Assomption, 1980, un matin d’automne. Catherine Trudeau, cinq ans, attend l’autobus scolaire qui va l’amener à sa nouvelle école. «Je me revois, toute craintive, timide, dans ma petite veste en laine blanche. On a attendu, attendu. Le bus n’est jamais passé. Mon père a fini par nous reconduire, le voisin et moi. J’ai fait mon entrée à la maternelle en retard, devant tous ces amis que je ne connaissais pas. Je me souviens que j’étais très mal en dedans, puis après, c’est flou.» [rires]

Si ce moment s’est imprimé si fortement dans le cerveau de Catherine, c’est surtout à cause de la photo que sa mère avait prise d’elle devant la maison.

«Est-ce un retard fondateur, qui a fait qu’aujourd’hui, quand j’entends la cloche et que mes deux garçons et moi nous ne sommes pas arrivés à la porte de l’école, je capote? Devrais-je consulter?» [rires]

PUBLICITÉ

Ma première foisPhoto: Crila

Brigitte Boisjoli: Ma première course

La pétulante Brigitte Boisjoli court depuis toujours, ou presque. «Mes parents ont divorcé quand j’avais 12 ans, et courir a été ma thérapie. Au fil du temps, je me suis lancé des défis. À 19 ans, j’ai voulu savoir si j’étais capable de faire un marathon: je me suis testée en partant toute seule près de chez moi et j’ai tenu 37 kilomètres. J’ai trouvé ça très dur.»

En 2015, «pour voir», la chanteuse s’inscrit à un demi-marathon officiel (21,1 km), à Drummondville. Après s’être tapé 28 km « sans [s’]en rendre compte » deux jours avant la course, elle se présente au fil de départ «raquée et nerveuse». En chemin, elle se fait un ami, Martin, avec qui elle jasera tout le long. «Moi qui ne cours qu’avec des gars parce que les filles, je trouve que ça parle trop!» rigole-t-elle.

Au 19e kilomètre, elle lui lâche: «Je te laisse, je vais sprinter!» Devant un Martin interloqué, elle «ouvre la machine» et termine 10e sur 109 femmes, en 1:44:31, ce qui lui vaut une médaille d’argent dans sa catégorie! « C’est là que j’ai découvert que j’avais l’esprit de compétition. Je dépassais des coureurs et je me sentais comme Rocky au dernier round, une warrior!»

Ma première foisPhoto: Pierre-Paul Poulin/Le Journal de Montréal/Agence QMI

Édith Cochrane: Leçon de maman

«Je savais que ce serait exigeant, dit d’entrée de jeu la comédienne, animatrice et metteure en scène Édith Cochrane. Mais à ce point? Avant d’accoucher, j’imaginais une bulle confortable, une sorte d’idylle avec mon bébé, faite de tendresse et de petits pyjamas qui sentent bon. Sauf que mon premier garçon, qui aura bientôt huit ans, pleurait tout le temps. Nuit et jour. Et je ne comprenais pas ce qu’il avait. On a découvert plus tard qu’il souffrait d’allergies alimentaires.

PUBLICITÉ

La maternité, ça éveille des dualités. De grandes forces, mais aussi de grandes faiblesses. Par exemple, j’ai découvert ma capacité à gérer des urgences avec calme et sang-froid. Ça a renforcé ma confiance en moi et en la vie.

D’un autre côté, devenir mère a fait naître une sorte d’inquiétude permanente. Quand mon aîné a fait un choc anaphylactique en mangeant des œufs, le danger de mort est devenu bien réel. Je n’y songeais jamais avant – je ne portais même pas de casque à vélo. Mais depuis que j’ai la responsabilité de m’occuper de mes deux gars, j’ai l’impression de ne plus avoir le droit de mourir. J’apprends à vivre avec la pointe d’inquiétude qui me chatouille chaque fois que je me sépare d’eux.»

Ma première foisPhoto: Franca Perrotto

Mariana Mazza: Mon premier french

Mon premier french n’a rien eu d’un conte de fées. Ça s’est passé dans la cachotterie et dans la noirceur la plus totale. Avec un ami d’amis. Je le trouvais tellement beau.

J’avais 12 ans et il devait en avoir 19. On était à Laval, ville super exotique, dans un terrain vague plein de camions de livraison. À un moment donné, on s’est embrassé. Au début, je trouvais ça dégueulasse que sa langue se retrouve dans ma bouche, mais, après cinq, six coups, je me suis habituée pis j’ai trouvé ça quand même nice. Mon cœur battait fort, c’était la première fois de ma vie que je me sentais ainsi. J’avais envie de toucher son visage, ses bras, son corps, pis je ne savais pas trop si c’était normal. C’était l’hiver, donc je me disais que c’était à cause du froid. Bref, rien de si magique. C’est la suite qui est intéressante.

PUBLICITÉ

J’étais amoureuse folle de ce gars-là, mais lui voulait juste coucher avec moi. Faire l’amour, ça ne m’intéressait pas. J’ignore encore comment ça s’est passé, mais deux semaines plus tard, ma ­meilleure amie de l’époque m’annonce qu’elle sort avec lui. Comment ils se sont ­rencontrés? Aucune idée. Tout ce que je sais, c’est que je n’ai plus jamais reparlé à cette fille. Et ce gars-là, aujourd’hui c’est mon mari.

Ben non, voyons. C’est un ami. Et un fan. Toutes les fois qu’il me texte pour me dire: «Hey, comment ça va, la vedette?», je me rappelle ce baiser, cette scène et cette soudaine «rupture», et je souhaite secrètement qu’il regrette un petit peu ce qu’il a fait.

Ma première fois

Marc Hervieux: Un rôle international… désastreux

«Je joue dans Manon, un opéra français en cinq actes, présenté à Málaga, en Espagne, raconte notre ténor national Marc Hervieux. Mon personnage est présent du début à la fin. Le ti-cul ­d’Hochelaga-Maisonneuve en moi est très excité!

Sur place, je découvre que le rythme de vie espagnol est trèèèèès relax. Personne à l’heure aux répétitions, des pauses siestes, des journées qui finissent à minuit… Là-bas, c’est à cette heure qu’on soupe.

PUBLICITÉ

À l’opéra, la diction est importante. Or, personne n’a dit à la troupe qu’en français la lettre “v” se prononce “vé”, et non “bé” comme en espagnol. Si bien que, la première journée, j’entends 300 personnes qui entonnent “rabissante et dibine”, et je suis crampé! Puis la soprano, une grande vedette locale, s’éclipse… Durant les trois semaines qui suivent, je répète avec un ami imaginaire.

Le soir de la première, elle monte sur scène, sans qu’on ait jamais chanté ensemble ni travaillé les déplacements. C’est ma première en Europe, mon premier rôle important et, moi qui ne suis jamais stressé, j’angoisse au plus haut point. Le résultat ? Surréaliste. La cantatrice oublie de grands bouts, arrête de chanter en plein duo, tourne le dos à la salle.

Aujourd’hui, j’en ris. Mais, sur le coup, je n’ai pas eu une fraction de seconde de fun. Le plus drôle, c’est que la critique a quand même été bonne!»

 

PUBLICITÉ

Ma première foisPhoto: Didier Debusschere/Le Journal de Québec

Geneviève Everell: Un déclic au rayon des charcuteries

Geneviève Everell, 29 ans, n’aurait jamais cru posséder un jour son entreprise (Sushi à la maison, qui emploie 27 personnes), animer une émission à Zeste ou signer des livres de recettes. «Je viens d’une famille hyper dysfonctionnelle.» Mère alcoolique, toxicomane; père qui s’envoie des litres de bière; beau-père violent. Déménage­ments multiples – une année, elle changera quatre fois d’école.

À 12 ans, elle est confiée à une famille à qui sa mère, devenue narcomane, promet de verser une pension. Ce qu’elle ne fait pas, bien entendu. «J’avais tellement peur d’être un boulet que je suis devenue leur Cendrillon. Je me disais que je devais mériter ma nourriture.» Bouffe de sous-sol d’église, banques alimentaires, aliments peu nutritifs, voilà son quotidien depuis l’enfance. «Chez mes amies, je voyais des parents rentrer du travail, aider aux devoirs, des frigos pleins, des familles qui mangent ensemble. Je n’avais jamais connu ça, donc je me disais que cette vie n’était pas pour moi.»

Un jour, elle se résout à quêter l’aide de religieuses de son quartier, à Limoilou. Munie d’un bon alimentaire de 30 $, elle se rue à l’épicerie. «J’étais en train d’acheter des frites surgelées, des saucisses à hotdog… Quand je suis passée devant le comptoir des charcuteries, j’ai soudain eu un déclic du haut de mes 15 ans. Je me suis dit qu’un jour j’allais m’en acheter, du ­prosciutto, du brie et des olives, et que ça ne m’empêcherait jamais de payer mon loyer.»

Elle retourne plus tard chez sa mère pour se rendre compte que celle-ci vit dans une piquerie. «Je n’avais nulle part ailleurs où aller… Une fois, un revendeur a proposé à maman de m’échanger contre 70 pilules de morphine. Elle a refusé. C’est à ce moment que j’ai décidé que j’étais une adulte.» Geneviève lâche l’école, obtient un emploi au McDo et trouve un appartement.

PUBLICITÉ

À 19 ans, elle décide de retourner aux études pour terminer son secondaire. Trois ans à trimer dur. «J’ai réalisé que j’étais capable de finir quelque chose, et ça a changé ma vie.» En même temps, chez un restaurateur de la Basse-Ville, elle apprend à rouler des sushis. «Je me suis découvert une passion. Exceller dans quelque chose, ça donne une immense dose de confiance. La mère de mon chum de l’époque me soutenait beaucoup moralement, elle me répétait que j’étais capable de réussir dans la vie. On ne m’avait jamais dit ça.»

Fraîchement diplômée du Collège radio télévision de Québec, elle devient animatrice radio à Penetanguishene, en Ontario. Sa mère est alors placée dans une maison de soins palliatifs. Geneviève prend tous ses jours de vacances en banque pour la rejoindre. «Mon boss m’a demandé pourquoi j’allais m’occuper d’elle. Ma réponse: “J’ai juste une mère et je l’aime. De l’amour, c’est tout ce qu’elle pouvait m’offrir, et je n’en ai jamais manqué.” Je dis souvent que c’est ce qui m’a sauvée», dit celle qui a renoué avec son père, sobre depuis 13 ans.

Aujourd’hui, Geneviève-la-résiliente cherche à encourager les autres à s’accomplir: elle est ambassadrice pour la Fondation Lise Watier, qui vise à aider les femmes à devenir indépendantes financièrement. «Je n’oublierai jamais d’où je viens, mais je suis fière d’être où je suis et de ne le devoir qu’à moi-même.»

Ma première fois

Martin-Luc Archambault: L’erreur à ne pas refaire

Martin-Luc Archambault avait 25 ans quand il a vendu sa première entreprise, CDT (spécialisée en édition et en publicité en ligne et fondée quatre ans plus tôt), et est devenu millionnaire. «Un soir, on est allés au resto avec des clients américains… et le lendemain, ils m’ont annoncé qu’ils voulaient m’acheter. Je n’avais pas prévu ça!» En homme avisé, il s’entoure d’experts pour mieux négocier. «Mes conseillers m’ont dit: “Quand ils vont lâcher le chiffre, ne réponds rien. L’autre ne sait pas si tu es content ou insatisfait, et il finit par bonifier son offre s’il a commencé trop bas.” C’est ce qui est arrivé.»

PUBLICITÉ

Fin de l’histoire? Pas exactement. «J’ai fait la gaffe d’accepter une somme d’argent et des actions. J’en ai tiré une leçon: quand tu te fais acheter, assure-toi que les nouveaux propriétaires ont les mêmes valeurs et poursuivent la même mission que toi. Parce que très souvent ils veulent te garder. Mes nouveaux partenaires m’ont nommé président de la division canadienne, mais très vite je me suis ennuyé parce que ce n’était plus l’entreprise que j’avais créée. J’ai même hâté la fin de mon contrat. Par la suite, les dirigeants ont pris de mauvaises décisions et ont revendu pour des pinottes. Mes actions ne valaient plus rien. Je ne répéterai pas cette erreur.»

Ma première fois

Marie-Ève Bédard: Ma rencontre avec l’horreur

L’odeur. C’est ce qui me revient d’abord. Elle me prend aux narines comme si j’étais encore dans les couloirs de la morgue de Vladikavkaz, où étaient alignés les corps, beaucoup trop petits, calcinés. Et ma mémoire est toujours imprégnée des visages figés par l’angoisse de parents à la recherche des enfants qu’ils avaient envoyés à l’école quelques jours plus tôt, vêtus de leurs plus beaux habits pour la fête de la rentrée.

Septembre 2004: des terroristes tchétchènes armés prennent des centaines d’enfants et d’adultes en otage dans l’école numéro 1 de Beslan, en Ossétie du Nord, dans le sud de la Russie.

Le 3 septembre, au bout de trois jours de siège, une explosion dans l’école, dont l’origine demeure non élucidée, provoque un mouvement de panique chez les enfants et leurs familles. Les preneurs d’otages leur tirent dessus alors qu’ils fuient, et les forces spéciales russes interviennent de façon chaotique. Bilan officiel: 344 civils tués, dont 186 enfants.

PUBLICITÉ

Réalisatrice à l’époque, j’étais seule au bureau de Moscou. Alexeï Sergeev, notre caméraman, était en vacances à l’étranger. Il est rentré d’urgence au bureau. Il n’y avait pas de reporter. Dans la précipitation, j’ai oublié que je détestais être devant les caméras. Nous étions à Beslan dès le premier soir.

Je me souviens du chaos. Je me souviens des enfants ensanglantés, à peine ou pas du tout vêtus, qui fuyaient le gymnase en proie aux flammes. Je me souviens de la chasse à l’homme dans les rues de la petite ville, à laquelle les citoyens de Beslan, dont la kalachnikov n’est jamais bien loin, se sont joints. Et, dans ce désordre, le sentiment que tout nous échappe pendant un bref moment: ce qu’on fait là, au milieu de tirs croisés, les faits à rapporter, l’humanité.

À Beslan, j’ai côtoyé l’horreur, celle qu’on ne peut nommer parce qu’on refuse d’y croire, pour la première fois. Ce n’était pas la guerre, ce n’était pas une bataille entre deux ennemis. C’est aux âmes que s’en sont pris les terroristes.

Et c’est à coup de pelles mécaniques – qui n’arrivaient pas à creuser assez vite toutes les tombes au cimetière – qu’elles ont été enterrées. Le cortège funèbre semblait s’étendre sur des kilomètres pour dire adieu à un enfant, un ami, un parent.

PUBLICITÉ

Au milieu de ces parfaits étrangers, j’ai aussi côtoyé le deuil, le rite funéraire, avec une proximité, une intimité dont je n’avais jamais fait l’expérience. Chez nous, la mort est aseptisée. On confie le défunt aux autres: à l’embaumeur, à l’entrepreneur de pompes funèbres, au directeur du salon mortuaire.

À Beslan, c’est dans les jardins et les salons des maisons que les mères ou les tantes ont nettoyé les corps, que les pleureuses ont hurlé à s’en rendre muettes, que les hommes ont posé les kalachnikovs de la veille pour frapper les murs de leurs poings jusqu’à s’en blesser. La douleur s’exprimait sans aucune pudeur.

Il n’en aurait pas fallu plus pour que je sois à jamais dégoûtée de couvrir la violence, les guerres, les conflits. Mais au milieu de ces scènes sordides et déchirantes, j’ai découvert le courage et la dignité de ces grands-mères veillant sur leurs petits-enfants malgré la menace de kamikazes vêtus de ceintures d’explosifs à l’intérieur de l’école, des hommes et des femmes qui ont formé une chaîne humaine pour secourir les rescapés après l’explosion, de ceux qui restent, après toute cette horreur et tous ces morts, le cœur inexorablement gonflé par la peine. Ceux-là rachètent amplement l’humanité que j’aurais pu croire perdue pour de bon.

À lire aussi: Le plaisir de changer ses habitudes – oui, vraiment!

PUBLICITÉ

Pour tout savoir en primeur

Inscrivez-vous aux infolettres de Châtelaine

En vous inscrivant, vous acceptez nos conditions d'utilisation et politique de confidentialité. Vous pouvez vous désinscrire à tout moment.

Ce site est protégé par reCAPTCHA et la politique de confidentialité et les conditions d'utilisation de Google s'appliquent.

PUBLICITÉ
PUBLICITÉ
Copier le lien
Couverture magazine Châtelaine printemps 2025

ABONNEZ-VOUS À CHÂTELAINE

Joignez-vous à notre communauté pour célébrer la riche histoire du magazine Châtelaine, qui souligne ses 65 ans en 2025. Au programme : de nouvelles chroniques, une couverture culturelle élargie, des reportages passionnants et des hommages touchants aux femmes inspirantes qui ont eu une influence positive et durable sur notre société.