Entrevues

Janette Bertrand : vieille, pis après ?

Dans son nouveau livre, La vieillesse par une vraie vieille, Janette Bertrand s’insurge contre la discrimination dont sont victimes les personnes âgées. Notre journaliste Louise Gendron l’a rencontrée.

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Photo: Julien Faugère

Elle a déniaisé le Québec (dixit Guy A. Lepage) en abordant des sujets jugés difficiles – homosexualité, jeu compulsif, anorexie, panne de désir, harcèlement sexuel… – en tant qu’animatrice, scénariste, dramaturge et romancière. Et que fait Janette, aujourd’hui encore ? Infatigable, elle monte aux barricades pour braquer la lumière sur une réalité peu reluisante de notre société. Entretien.

Vous allez avoir 91 ans le 25 mars ­prochain. Êtes-vous vieille, Janette Bertrand ? Oui, bien sûr. Je suis tannée des euphémismes. Je ne veux pas qu’on dise que je suis de l’âge d’or. Quand je mentionne que je suis vieille à des femmes que je croise, elles me répondent : « Ne dites pas ça ! » Mais pourquoi ? J’ai plus de 90 ans. À quel âge je vais être vieille, sinon ?

À quel moment ça vous est arrivé, la vieillesse ? Quand j’ai commencé à avoir des bobos. Dans ma tête, par contre, je n’ai pas d’âge. Tu pourrais demander : « À quel âge on arrête d’être jeune ? » À 35, 40, 50 ans ? Selon moi, on n’est pas vieux à 65 ans. Pas du tout. Moi, la vieillesse m’a attrapée à 75 ans.

D’après ce que je vois, on peut être vieux et heureux… Parfaitement ! On a d’ailleurs beaucoup plus d’aptitude au bonheur avec l’âge. Parce qu’on sait. On a traversé toutes sortes d’épreuves. Chaque jour, en me levant, je me trouve chanceuse d’être en vie.

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Dans votre livre, vous parlez de la discrimination dont sont victimes les personnes âgées. Qu’est-ce au juste, l’âgisme ? C’est comme le sexisme ou le racisme. C’est classer les gens en catégories et trouver que celle des vieux est inférieure. Dans ce cas, on considère certaines personnes comme moins bonnes à cause de leur âge. En ce moment, il n’y a que la jeunesse qui compte, qui est valorisée. Évidemment, quand on ne l’est plus, eh bien, on est ­perçue comme plus bonne. Ta mère est extraordinaire, mais vas-tu l’engager ? C’est subtil. Dès que nous vieillissons, on ne sollicite plus nos avis. On ne nous regarde plus comme des gens ayant du savoir. Il devrait exister des conseils de p’tits vieux et de p’tites vieilles à qui on pourrait demander comment vivre. Les aînés ont du vécu. Ils savent des choses. Je ne dis pas que l’âgisme est partout… À l’INIS [Institut national de l’image et du son], on m’a gardée jusqu’à 90 ans ! [NDLR : Janette Bertrand a récemment remis sa démission à l’INIS, où elle enseignait depuis quelques années.] Mais les aînés n’ont pas la même valeur que les autres dans notre société.

Il y a aussi le fait qu’on les parque dans des manoirs… La pire chose, c’est la ghettoïsation. On leur propose de vivre dans des endroits où ils sont tous ensemble. Si on mettait tous les jeunes dans un même lieu, on crierait au meurtre. Pourquoi, alors, on ne dit rien ? Il n’y a que ça qui leur est offert.

Mais pourquoi les vieux s’installent-ils dans ces résidences conçues pour eux ? Serait-ce parce qu’ils se sentent vulnérables ? On leur fait croire que c’est le Club Med à vie ! Toutes ces installations, ces jeux, ces piscines, ils n’y vont pas, c’est prouvé. Ils restent dans leur petit deux et demie…

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L’âgisme est-il réservé aux retraités ? Pas du tout. On peut être incapable de se trouver une job après 50 ans à cause de ça. J’ai souvent entendu des gens lancer : « Tout ce que vous avez fait avant ne compte pas. On repart à zéro. » Mais c’est impossible ! On ne peut pas avoir accumulé de l’expérience et en faire table rase.

Il y a quelques mois, l’animateur de télé et sociologue Daniel Pinard (septuagénaire, en passant) a émis l’idée de retirer le droit de vote aux citoyens de plus de 70 ans. Qu’en pensez-vous ? Je n’en reviens pas qu’il ait dit ça ! C’est prétendre qu’une vieille personne n’a pas assez de discernement pour dire : je vote pour le bien-être de la population. Se faire enlever le droit de vote – que les femmes ont acquis de haute lutte –, ce serait un pas en arrière épouvantable. Je pense qu’on est des membres actifs de la société tant qu’on n’est pas morts.

Parlez-moi de l’ultime tabou : la sexualité des vieux. S’il y a quelqu’un qui peut aborder ce sujet, c’est vous, Janette ! Avant, dans le temps de ma mère, quand les femmes arrivaient à la ménopause, elles pensaient : « Je n’ai plus besoin de prendre soin de moi. » Elles étaient nées pour donner des enfants, pour être reproductrices. Quand c’était fini, c’était fini. Souvent, elles étaient bien contentes. Parce qu’elles ne jouissaient pas ! Le plaisir, c’était réservé aux filles de mauvaise vie. Et les gars étaient tellement malhabiles…

On sait peu de chose sur la sexualité du troisième âge. Mais on s’imagine qu’elle s’éteint au fil des ans. Pourquoi ? Ce n’est pas supposé exister, selon la croyance populaire. Comme si, dès la ménopause, on n’avait plus de désir. C’est un appétit, le désir. Il y a des gens qui n’en ont pas. D’autres qui en ont beaucoup, comme je le dis dans le livre. La majorité des couples remplace la sexualité, la génitalité, par la tendresse.

« Une femme de 70 ans, ça ne fait pas l’amour. » « De toute façon, personne ne veut faire l’amour avec une femme de 70 ans ! » « Elle n’en a pas envie. » C’est ça qui est dans l’imaginaire. Pour les gars, c’est une autre histoire. Comment se fait-il que tout le monde est persuadé qu’ils bandent jusqu’à la mort ? Pourtant, Pfizer fait fortune avec sa petite pilule bleue pour les troubles érectiles…

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Mais, en réalité, que se passe-t-il au lit ? C’est la performance sexuelle qui est réservée aux jeunes, pas le sexe. Même après 70 ans, la femme comme l’homme font l’amour. Mais autrement. Ils font de la sensualité. Ils font de la tendresse. Ils font aussi de la pénétration. Malheureusement, on ne voit nulle part qu’ils ont une vie sexuelle. Je me demande d’ailleurs si la peur de vieillir dans notre société ne vient pas aussi de l’absence de modèles de vieux couples qui s’aiment.

En terminant, que souhaitez-vous que les gens retiennent de votre livre ? Qu’il y a du mérite à bien vieillir. Et bien vieillir, c’est presque un acte de volonté. C’est comme le bonheur. Tu le décides. Là, moi, je veux être heureuse. Je ne veux pas de chicanes. Donald [son conjoint] et moi, on se le répète : « Est-ce important ? » C’est magique, cette question : est-ce important ? Va-t-on se chi­caner pour ça ? Si je peux ajouter quelque chose… Je veux être un modèle de vieillesse en vivant dans la joie et l’amour.

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La vieillesse par une vraie vieille, par Janette Bertrand, Libre Expression, 304 pages.

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