Société

Le bâton de dynamite

Rêver d’un compromis.

Photo: Maude Chauvin

Photo: Maude Chauvin

Avorter après 24 se­maines de grossesse. Saviez-vous que c’était possible ? Moi pas. Au début, quand notre journaliste Mylène Tremblay s’est intéressée au sujet des avortements tardifs (L’ultime tabou), la question me bouleversait. Et même, je l’avoue, j’étais choquée. Comment pouvait-on en arriver à cette option ? Je suis pourtant pro-choix. J’ai, au seuil de l’âge adulte, subi une IVG. J’aurais préféré qu’il en soit autrement. Mais, compte tenu des circonstances de l’époque, je ne peux pas le regretter.

Malgré tout, comme beaucoup de femmes (et d’hommes aussi), j’éprouvais un gros malaise devant la décision que prennent chaque année quelques centaines de Québécoises. Il doit bien y avoir moyen, me disais-je, de savoir avant le sixième mois qu’on ne veut pas d’un enfant ? Parfois, on manque cruellement d’imagination…

Ma collègue a rencontré des médecins, des juristes, des éthiciens. Et, surtout, des femmes qui sont passées par là. Elle a découvert qu’on diagnostique aujourd’hui davantage d’anomalies congénitales ou de maladies graves avant la naissance… mais souvent tard dans la grossesse. Ce qui explique bon nombre d’avortements tardifs.

Pour d’autres, c’est la vie qui pose problème. Agression sexuelle, toxicomanie, violence conjugale, trouble physique ou mental, misère économique amènent cer­taines à prendre une décision déchirante. Qui donc pourrait leur jeter la pierre ? La vie est complexe. Et les réponses simples sont généralement fausses.

Ce reportage a aussi mis le doigt sur autre chose. Chaque femme qui doit faire face à un avortement tardif vit un drame. Mais toutes n’ont pas droit au même traitement. Celles dont le fœtus souffre d’une anomalie grave sont prises en charge par le système médical québécois alors que les autres courent le risque d’être envoyées aux États-Unis parce qu’aucun médecin ne veut leur venir en aide.

On n’en parle pas. Car cette question est un bâton de dynamite social. Mylène Tremblay s’est heurtée à des médecins, à des féministes, à des juristes qui n’avaient pas du tout envie que le sujet des avortements tardifs rebondisse sur la place publique. Le danger est trop grand de fournir des munitions aux pro-vie qui, depuis 40 ans, tentent de restreindre le droit à l’avortement.

À une époque où on peut sauver un prématuré de 500 grammes et où on opère des fœtus in utero, ça me trouble de savoir que, selon la loi, on n’est une personne qu’une fois né… Et qu’on puisse choisir de terminer une grossesse parce que le fœtus n’a que sept doigts (ça arrive, paraît-il)…

Je sais, je sais, comme féministe pro-choix, je n’ai pas le droit de poser ces questions. Et ça aussi, ça me trouble. Qu’on dise d’un côté que l’avortement est légal jusqu’à la naissance mais qu’on pellette le problème chez le voisin américain parce qu’on ne veut pas l’assumer.
Qu’on refuse même d’en parler.

On serait mûrs, il me semble, pour une commission Naître dans la dignité.
louise.gendron@chatelaine.rogers.com

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