L'édito

Moi, mon nombril…

Comment se porte votre ego ? De mon côté, c’est le bonheur !

Comment pourrait-il en être autrement ? Mes réseaux sociaux, où je peux m’étaler le « je » allègrement, gagnent toujours plus d’adeptes.  Le Québec compte sans doute autant de spécialistes pour me booster l’estime que de garagistes. Et tous les bidules technos qui m’entourent me permettent de regarder le monde à travers le filtre de « mes » intérêts. Pas de farce, mon nombril va si bien qu’il songe à se construire un étage de plus, avec terrasse sur le toit.

Bon, bon, trêve d’ironie – paraît que ça passe très mal à l’écrit. Sauf qu’on peut bien se l’avouer : on vit à l’ère des ombilics. Je ne parle même plus d’individualisme, mais d’une attitude égocentrique généralisée.

Photo: iStock

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J’entends déjà les optimistes me rappeler que nous pensons tous à autrui. Plusieurs fois par jour, même. Oui, mais à « nos » autres, les êtres aimés et les gens avec qui nous devons interagir. Certains trouveront que j’arrive tard ; ça fait un bail que nos ego font de la muscu. Certes. Mais je me demande s’ils n’ont pas consommé des stéroïdes quand je vois avec quelle apathie nous réagissons à des nouvelles qui devraient nous brasser le citoyen.

Prenons l’éducation, par exemple. J’étais certaine que, collectivement, nous avions décidé d’en faire une priorité. Pourtant, ce secteur est sous-financé depuis des années, dans l’indifférence presque totale. On a même laissé le premier ministre l’inclure dans son virage « austérité » sans se secouer la casserole. Oh, il y a bien eu un peu de grogne sur les tribunes publiques et quelques chaînes humaines autour des écoles, mais disons que le Québécois moyen n’a pas fait d’insomnie. C’est un miracle que de nouveaux investissements aient été annoncés dans le dernier budget avec cet engourdissement.

Cela dit, je ne considère pas comme nombriliste quiconque ne partage pas mes opinions. J’écoute avec intérêt les points de vue de gens qui pensent autrement. Le problème, c’est que trop d’arguments sont passés dans le tordeur du « moi ». Car le nombril disproportionné ne veille pas seulement à notre petit bonheur. Il filtre aussi la conception du monde, ce qui devrait ou pas être une priorité sociale. Et c’est là que ça craint…

– « Les écoles sont surpeuplées et en décrépitude ? Bof, mon plus jeune termine ses études l’an prochain… »

– « Parler encorrrre de féminisme ? Mais je n’en vis pas, moi, des inégalités dans mon salon. »

– « Ce que je fais pour l’environnement ? Com­­men­cez donc par nous donner des routes qui ont de l’allure. Je resterai peut-être moins longtemps dans le trafic à gruger mon volant. »

Mais ne nous leurrons pas. D’autres mauvaises nouvelles viendront nous ébranler le « je ». Il faudra être fait fort pour laisser tourner le moteur d’un Hummer dans un stationnement de Dollarama (scène déjà vue) quand les scientifiques viendront répéter que le réchauffement climatique évolue plus vite que prévu. Et je n’ose même pas penser à l’écart entre riches et pauvres qui s’accentue constamment. À ce rythme, il va presque falloir lever les yeux de nos téléphones pour éviter de « s’enfarger » dans une personne dans le besoin. Misère, les jours s’annoncent sombres pour les nombrils…

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