Reportages

Noël sans chichi

Les Québécois flambent chaque année plus de deux milliards de dollars à Noël. Pure folie, ont tranché quatre familles.

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Les Anctil-Paquet : François, 43 ans, Sophie, 41 ans,
Jeanne, 11 ans, Alice, 4 ans.

Les Anctil-Paquet

Sophie Anctil a été victime d’une surdose aiguë de bébelles de Noël, il y a huit ans. Oh, ce n’est pas que les plaisirs matériels la rebutent ; la rieuse rédactrice de 41 ans admet un tendre penchant pour les articles de cuisine de luxe et les vêtements griffés. Entre autres.

Mais l’édifice chancelant de cadeaux sous le sapin de son ex-belle-mère lui a flanqué une « écœurantite » telle que ça a changé son rapport à la consommation. « Pour ma fille Jeanne seulement, il devait y en avoir près d’une trentaine. C’était juste trop. » L’absurdité a atteint son comble quand, au bout du quatrième paquet, les enfants se sont mis à repousser les jouets aussitôt déballés. Pas la peine de les sortir de leur boîte. « Les parents devaient insister pour que les petits regardent leurs cadeaux ! » Sans compter la marée montante de choux et de papiers chiffonnés. Bonjour le gaspillage.

Il était où, le bonheur ? « Sûrement pas dans cette démesure. Les objets en avaient perdu toute valeur », déplore Sophie. Aujourd’hui, elle continue de croire au concept de la jolie boîte enrubannée avec un jouet dedans. Mais ses deux filles en reçoivent trois fois moins qu’avant, grâce à une entente avec sa parenté. Elle-même en offre un seul à chacune.

Pas de hauts cris du côté des principales intéressées. Il faut dire que les « enfants gâtés qui reçoivent trop de cadeaux », ça énerve Jeanne, une grande châtaine de sixième année, l’aînée des filles de Sophie. « Leurs parents leur donnent tout ce qu’ils veulent. Ça les gâche ! Ils finissent par “se penser bons”, estime-t-elle. En plus, ils arrêtent de rêver. »

La jeune sage fait le tri de ses jouets deux fois l’an pour en donner à des organismes de charité. « Ça fait de la place pour d’autres », réfléchit-elle. Seul Vermont échappe à l’exil. Cet ourson, vert comme les collines qui découpent l’État du même nom, partage son oreiller depuis des temps immémoriaux. « Je ne joue pas avec lui, précise-t-elle avec fierté. Mais j’y suis attachée. »

Sophie et son chum François ont aussi mis les freins côté victuailles, eux qui, chaque Noël, avaient tendance à reproduire le festin de Babette. « J’ai hérité de ma grand-mère la peur que les invités manquent de quelque chose », raconte François. Certaines années, il y avait tant à boire et à manger qu’ils auraient pu tenir un siège d’un mois. « Pourquoi cette surenchère ? Recevoir, c’est un acte de générosité et non de performance », soutient François. L’an passé, à Noël, les truffes, le foie gras et les côtelettes d’agneau de lait ont donc cédé la place à des crevettes, une trempette et une dinde bio du Québec avec farce et atocas. Ils ont respecté le budget qu’ils s’étaient fixé, soit 150 $ pour le souper de Noël, et 70 $ pour le brunch du jour de l’An. Vino inclus… Pour sept personnes !

« C’était infiniment moins stressant à préparer et on s’est tous bourré la face », rigole Sophie. Le commentaire de la soirée : « On est-tu ben ! » Comme quoi nul besoin de mettre les petits plats dans les grands.

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Les Savard : Valérie, 33 ans,
Kimie Ann, 8 ans, James Logan, 6 ans.

Les Savard

Valérie Savard l’a compris depuis longtemps. Malgré un revenu d’à peine 15 000 $ par année – un mode de vie frugal pleinement choisi –, la maman monoparentale de 32 ans s’évertue à faire des heureux. Vous l’apprenez en exclusivité dans nos pages : elle fait partie des rares sous-traitants du père Noël. Des lutins ont été si épatés par ses doigts de fée qu’ils lui confient des commandes.

Après son quart de travail à l’Hôpital vétérinaire St-Jérôme, où elle est animalière à temps partiel, elle transforme sa minuscule cuisine de la rue Forget, à Mirabel, en atelier de confection de jouets et de sucreries. Ce double « emploi » ravit ses enfants, Kimie Ann et James Logan. Mais la médaille a un revers. « Quand ils ne sont pas sages, j’appelle tout de suite au pôle Nord ! »

À part les « sablés-vitraux », les truffes au chocolat et les Sweet Mary dont se délecte son entourage, tous les cadeaux qu’elle offre sont faits de matières recyclées. Chevaux de course, maisons de poupée, autoroutes pour petites autos : c’est fou ce que Valérie fait avec de vieux vêtements, des canettes de boissons gazeuses, un manche à vadrouille.

Les petits n’y voient que du feu. Dans le temps des fêtes, ça joue à des jeux de société, ça écoute des Astérix en pyjama, ça s’empiffre de maïs soufflé, ça assiste à des lectures de contes à la bibliothèque. Leurs cadeaux – des livres et des films, le plus souvent – coûtent en tout 30 $ à Valérie.

Du bonheur beau, bon, pas cher, quoi. En plus d’être écologique.

Les deux tiers des Québécois ne tiennent pas compte de leur situation financière au moment d’acheter des cadeaux de Noël. En moyenne, ils en offrent à sept personnes. Source : Conseil québécois du commerce de détail

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Ariane Gagnon-Légaré, 35 ans

Ariane Gagnon-Légaré

C’est en plein la philosophie d’Ariane Gagnon-Légaré, une baroudeuse de 35 ans diplômée jusqu’aux oreilles. Pour elle, pas question de tremper le gros orteil dans un magasin pendant les fêtes. « Je m’empêche même de regarder les vitrines ! » Elle est un brin « radicale », admet-elle. « Mais pas austère ! » D’ailleurs, elle adore Noël. « C’est l’occasion de revoir la famille de ma mère, que j’aime beaucoup. Ça me fait chaud au cœur. » Sauf qu’elle ne se sent pas forcée d’offrir des cadeaux matériels. Souvent, elle propose à ses proches des sorties au cinéma ou au resto. Des moments pour se raconter, déconner, rêvasser…

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Les Labonté-Macé : Marie-Hélène, 34 ans, Christian, 33 ans,
Gwenaëlle, 2 ans et demi, et bébé Philémon.

Les Labonté-Macé

Du temps ensemble, c’est aussi ce que s’offrent Marie-Hélène Labonté et Christian Macé, un couple de Québec dans la trentaine. La magie du temps des fêtes, ces ex-militants altermondialistes la vivent chaque année au fond des bois. Dans une cabane sans eau ni électricité, à des kilomètres de la route. Je fais les yeux ronds en les entendant. Marie-Hélène éclate de rire. Oui, la chose exige de la logistique. Surtout qu’ils ont maintenant deux jeunes enfants. « Mais on décroche tellement ! Le marathon de soupers familiaux, c’est de la folie. On en sort plus épuisé qu’au début des vacances. »

Ils réveillonnent tout de même avec la parenté. Et participent à la traditionnelle pige de cadeaux. Mais attention, pas de gadgets sortis des usines de misère au Bangladesh. Ils achètent des t-shirts Blank en coton cultivé avec moins de pesticides, confectionnés au Québec par des employés payés plus que le salaire minimum. Ou encore, des fromages, du vin, des huiles d’artisans québécois distribués par la coopérative de solidarité Les Grands Rangs. Le tout emballé dans du papier journal, ce qui amuse beaucoup la galerie…

Sitôt le ragoût de boulettes digéré, Marie-Hélène et Christian ramassent leurs petits, les sacs de couchage et les vivres. Direction Sentier des Caps de Charlevoix. Leur bonheur, c’est de rentrer au refuge après une journée de luge et de raquette, les joues rosies, la tuque de travers, une mitaine en moins. Puis de préparer une fondue au fromage sur le réchaud. Avec un p’tit porto.

Vivre mieux avec moins

Marie-Hélène, Christian, Sophie, François, Ariane, Valérie sont aussi les héros de la série Vivre mieux avec moins.

Ces familles ont fait le choix de la consommation responsable. Pour eux, courir les boutiques n’est ni un loisir ni une façon de faire taire leurs angoisses. Avant d’acheter, elles se demandent plutôt : « En avons-nous vraiment besoin ? », « Pouvons-nous l’emprunter  ou en trouver un usagé ? »

Oui, ce sont des bibittes rares. Mais moins qu’il y a 10 ans, remarque Anne Marchand, professeure de design industriel à l’Université de Montréal, dont les recherches portent entre autres sur la consommation responsable. À preuve : cette année, les deux tiers des Québécois disent avoir renoncé à acheter des trucs dont ils n’avaient pas vraiment besoin, tandis que les trois quarts ont acheté un produit d’occasion (c’est ce que révèle un sondage de l’Observatoire de la consommation responsable, qui rassemble des universitaires de divers pays).

Le Web contribue beaucoup à l’essor relatif de ce mode de vie. Exemple : le site Internet du Réseau québécois pour la simplicité volontaire, qui regorge de trucs pour moins consommer, reçoit 7 000 visiteurs par mois – le double par rapport à l’an passé. Le mouvement a ses têtes d’affiche, comme l’Américano-Française Béa Johnson, auteure du populaire blogue Zero Waste Home. Sa
famille de quatre personnes produit seulement un litre de déchets… par an ! Cet automne, elle a publié un livre sur l’art d’« alléger sa vie », Zéro déchet (éditions Les Arènes).

La démarche, qui va bien au-delà du recyclage et de l’achat de produits verts, sous-tend une réflexion sur le rapport aux objets, précise Anne Marchand. Les consommateurs responsables interviewés par la spécialiste disent ne jamais acheter sans y avoir d’abord réfléchi pendant une semaine. Ça empêche de céder à la robe seyante les jours de caquet bas… D’autres évaluent aussi la pertinence d’un achat selon son coût en heures travaillées. S’il faut suer à l’ouvrage pour un gadget plus ou moins utile – comme un troisième écran d’ordinateur –, mieux vaut peut-être y renoncer.

L’adoption de telles habitudes s’opère souvent à la suite d’un choc, remarque la chercheuse. Burnout, peine d’amour, perte d’emploi, naissance d’un enfant… « Ça a été pour eux l’occasion de poser un regard critique sur leur vie et de revoir leurs priorités. » Bon nombre réduisent leurs heures de travail au nom de la qualité de vie. Certes, ils sont moins riches. Mais ils vivent moins de stress, en partie du fait d’être libérés de l’emprise des objets. Et ils ont plus de temps à consacrer à leurs proches, à leurs passions, à leur collectivité…

 

À lire également : Le défi de l’épicerie.  Comment bien manger sans se ruiner?

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