Société

Le défi de l’épicerie

On le constate tous à la caisse du supermarché : le prix des aliments explose. Une hausse de 30 % en 10 ans! Pourtant, nos quatre familles de consommateurs responsables mangent bien sans se ruiner. Elles font comment? On a fouillé dans leur frigo pour comprendre.

Photo: rawpixel/Unsplash

Un citron, c’est plus qu’un citron. Foi de Valérie Savard. Dans la cuisine de son appartement de Mirabel, un capharnaüm où s’entassent mijoteuse, machine à coudre, conserves, jouets et bouts de tissus, la mère monoparentale de 32 ans me donne une leçon d’économie familiale.

D’abord, le jus se conserve au congélateur dans des bacs à glaçons – pratique pour les recettes. Ensuite, la pelure se déshydrate dans le four à micro-ondes – des réserves de zeste aussi, c’est pratique. Enfin, la carcasse du citron macérée dans du vinaigre, ça fait du « Monsieur Net » maison.

Zéro gaspillage: c’est la règle d’or de Valérie. Les trognons de légumes se transforment en bouillons, les coquilles d’œufs, en nutriments pour les plantes. Elle se définit d’ailleurs comme une « artiste récupératrice » – une qualité pratique quand on gagne 15 000 $ par année.

À la manière des gratuivores, ces gens qui s’approvisionnent à même les bennes à ordures des supermarchés et des restos, elle ramasse tous les mercredis les « rejets » des épiciers dans une banque alimentaire de sa région. Des produits près d’être périmés, des fruits très mûrs, des légumes moches. « On n’y voit que du feu quand ils sont incorporés aux sauces et aux potages. »

Cette habitude soulage sa conscience d’écolo préoccupée par les deux milliards de tonnes de nourriture perdues chaque année, tout en lui permettant de s’en tirer avec 30 $ par semaine à l’épicerie. C’est bien en deçà de la somme moyenne déboursée par les familles monoparentales comme la sienne (122 $).

L’exploit est d’autant plus remarquable que le prix de nombreux produits de base – pain, pâte, œuf, poulet, huile, farine, fromage – a presque doublé en 10 ans au Québec.

C’est justement en réalisant la valeur de la nourriture qu’elle perdait que Sophie Anctil a freiné le gaspillage dans sa cuisine, elle aussi. Comme bien du monde, la rédactrice de 40 ans avait l’habitude d’oublier la moitié des aliments dans le fond de son frigo trop plein.

« Au Québec, chaque famille jette pour 1500 $ de bouffe par an, dit-elle. Ça fait beaucoup d’argent dans les poubelles! »

Elle achète en moins grande quantité désormais et se fait un devoir d’inspecter les tablettes tous les jours. « Ma recette miracle pour passer un vieux bout de fromage ou des champignons fatigués : la béchamel! »

Mais encore faut-il savoir la concocter.

Des experts en nutrition le constatent: les compétences culinaires des Québécois semblent se perdre, malgré leur engouement pour les livres et les émissions de cuisine (ici, une synthèse assez récente des recherches). Ce n’est pas le cas des participants à la série, qui ont tous appris à cuisiner.

Oui, ils passent une bonne douzaine d’heures par semaine à leurs fourneaux. Mais c’est fou l’argent qu’ils épargnent. « Une galette d’avoine, c’est 3 $ dans un café, alors que j’en cuisine 20 pour le même prix, dit Ariane Gagnon-Légaré, 34 ans, diplômée en biologie et en science politique. En plus, elles sont bios! »

Cette célibataire de Québec n’achète aucun aliment transformé – sauces, soupes, gâteaux, vinaigrettes du commerce. Que des produits de base. Pour maximiser les économies, elle s’associe à d’autres consommateurs pour se procurer des légumineuses, noix, épices, pâtes, fromages à la Coop Alentour, un grossiste spécialisé en alimentation naturelle. Résultat : sa note d’épicerie s’élève à moins de 50 $ par semaine.

En somme, vivre avec moins incite à renouer avec le savoir-faire et l’esprit économe de nos grands-mères.

Pétrir son pain, par exemple. Acheter des pièces de viande entières, les apprêter soi-même, garder la carcasse pour les soupes. Faire provision de légumes chez les producteurs à la fin de l’été, les congeler, les mettre en conserve. « Quarante livres de betteraves fraîchement cultivées pour 5 $, qui dit mieux? », rigole Valérie Savard, dont les pots de marinades font un malheur.

Ceci dit, ménager le budget n’est pas le seul souci des participants à l’heure des repas. Pour Sophie Anctil et son chum François, l’alimentation constitue même 20 % de leurs dépenses totales. C’est beaucoup, comparé à une moyenne de 11 % pour les ménages dans la même catégorie de revenu.

Dans leur panier : nourriture bio, produits fins du Québec, chocolat et café équitable. « Tout ça coûte le double, mais à nos yeux, l’alimentation de qualité est un investissement pour notre santé », explique Sophie.

Quitte à couper ailleurs. Par exemple, la famille épargne des milliers de dollars par année sur l’achat des produits de pharmacie grâce à des sites de coupons rabais (ses chouchous : maviefrugale.com et onmagasine.ca). Enfin, elle se passe de voiture et loue un appartement dans un quartier ouvrier de Québec.

La provenance des aliments fait aussi partie des critères de sélection des participants. « On essaie de vivre avec ce que notre territoire peut offrir », affirment Christian Macé et Marie-Hélène Labonté, un jeune couple de professionnels de recherche de Québec, parents de deux bambins.

Ainsi, ils appuient la Coopérative Les Grands Rangs depuis son ouverture, en 2012. On peut y acheter des viandes, du pain, du fromage, des fruits et des légumes produits par des artisans de la grande région de Québec. « C’est bon pour l’économie locale, ça permet à des petits producteurs de prendre une part du marché et ça évite d’encourager des pays où la main-d’œuvre agricole travaille dans des conditions inhumaines. »

Ariane Gagnon-Légaré se fait aussi un point d’honneur d’encourager la production locale. Ses voyages au Mali, en Inde, au Mexique l’ont beaucoup sensibilisée à l’impact du comportement alimentaire des Occidentaux sur autrui.

« Importer de la nourriture chez nous pollue à cause du carburant, dit-elle en s’animant. Or, cette pollution génère des changements climatiques dont les effets les plus sévères se font sentir dans les pays pauvres. Exemple : les inondations meurtrières en Inde dues au dérèglement des moussons. Je n’oublie jamais la souffrance de ces gens-là quand je remplis mon panier d’épicerie. »

Consultez les portraits des quatre familles et les épisodes du dossier Vivre mieux avec moins.

En vidéo, suivez Sophie Anctil à l’épicerie!

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