Société

Se relever après un échec, c’est possible!

Dans nos sociétés qui valorisent la réussite, l’échec est devenu inadmissible. Et source de grande détresse. Pourtant, rater son coup rend souvent plus brillant… et plus humain!

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Photo : Plainpicture / Design Pics

L’échec serait-il devenu glamour?

«Je l’admets, le lancement de ma campagne à la ­mairie de Montréal en 2013 était complètement raté… Allez-y, cherchez dans Google pour voir, ne vous gênez pas ! »

L’heure est au déballage d’échecs professionnels en cet après-midi d’avril, à la conférence FailCamp de Montréal, et la politicienne Mélanie Joly ne s’épargne pas – bien qu’elle rappelle, pour sauver un peu la face, que « les gens sans ambition ne vivent pas de débâcles ». Un baume sur l’ego fragilisé des quelque 200 participants, qui portent tous, épinglé à la poitrine, un insigne en forme de pelure de banane sur lequel est inscrite leur déconfiture la plus spectaculaire.

D’autres personnalités connues ont accepté de se prêter au jeu – l’animatrice Mitsou Gélinas, le restaurateur Martin Juneau et le publicitaire Jean-Jacques Stréliski. Ce dernier raconte comment il a fait patate avec son agence de pub à Paris, BCP-Stréliski. « J’avais surestimé mes talents de gestionnaire, dit-il. J’ai perdu de l’argent, mais l’orgueil aussi en a pris un coup. C’était comme mettre le doigt dans une prise de courant ! »

Les événements à la FailCamp ont la cote partout dans le monde. Idem pour les livres et les blogues exposant les leçons des entrepreneurs en banqueroute. C’est que l’échec serait devenu glamour, particulièrement auprès des fondateurs de start-up de la Silicon Valley : dans ce milieu, on exhibe à la face du monde ses flops comme des médailles de guerre, passages obligés avant de faire naître l’entreprise du siècle. Steve Jobs a bien connu son lot de ­fiascos, lui aussi !

Bref, rien de déshonorant à prendre une raclée… pourvu que le héros fasse fortune à la fin. « Autrement, c’est impardonnable », juge Diane Pacom, professeure à l’Université d’Ottawa et spécialiste des tendances sociales.

Pour la sociologue, la prolifération des colloques et des bouquins sur le thème de l’échec souligne à quel point les gens en ont une peur bleue. Plus que jamais. « Avant, on n’en faisait pas tout un plat. Ce n’était pas drôle, mais il fallait passer par là pour évoluer. C’était l’école de la vie. Aujourd’hui, on a besoin de gourous et de méthodes pour s’en sortir. Ou, mieux encore, pour empêcher que ça arrive ! »

L'équipe Châtelaine. De gauche à droite: Sophie St-Laurent, chef de section mode et beauté, Marie-Hélène Proulx, journaliste, Martina Djogo, rédactrice en chef numérique, Crystelle Crépeau, rédactrice en chef, et Johanne Lauzon, rédactrice en chef adjointe

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Condamnés à l’excellence
Le rapport des jeunes à l’échec est quasi pathologique, observe-t-elle. « Une note B+, pour bon nombre, c’est mauvais. Ils veulent savoir ce qu’ils ont fait de mal et quelle est la recette pour n’avoir que des A+. » Il faut dire que l’école leur offre de moins en moins l’occasion de vivre l’expérience de la défaite, les critères de passage étant à la baisse, du primaire à l’université : « L’objectif est que tout le monde réussisse tout le temps. »

À cela s’ajoute la pression à la performance qu’exercent certains parents. « Les couples procréent moins, ce qui leur laisse les moyens d’investir à fond dans l’éducation de leurs enfants », explique la sociologue. Cours particuliers, inscription à une kyrielle d’activités, voyages, etc. Les attentes sont élevées envers ces « enfants-projets ». « Ils n’ont pas d’excuse s’ils échouent, puisqu’ils ont tout reçu. Vous imaginez le fardeau sur leurs épaules ? »

Cette quête de la première place se reflète même dans leur apparence. « Je leur dis souvent : “Où est passée l’acné ? Je m’ennuie de l’acné !” Ils sont tous lisses, stylés, musclés… Il y a 30 ans, quand j’ai commencé à enseigner, personne n’allait chez le coiffeur ! »

Mais ce qui l’inquiète surtout, c’est la pénétration du mot « loser » dans leurs échanges quotidiens, « un terme blessant utilisé à toutes les sauces pour rabaisser l’autre ». Et qui témoigne d’une société impitoyable envers nos faillites, nos insuffisances, nos imperfections.

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« Une vraie tyrannie », s’indigne aussi Antonin Carselva, auteur de l’essai sociologique L’échec – Anatomie d’un tabou. « On est sans cesse soumis à des grilles d’évaluation. Ça pervertit tout ! » Des employés falsifient des rapports, des étudiants trichent aux examens, des sportifs se dopent de crainte de se retrouver dans le camp des perdants. « Mais surtout, cette dictature de la performance rend malade d’épuisement. C’est une hécatombe hallucinante ! » s’exclame-t-il.

De plus en plus, la compétition intense dans les écoles et les entreprises pousse à croire qu’il faut absolument briller pour avoir de la valeur aux yeux des autres, remarque Jocelyn Bélanger, professeur au Département de psychologie de l’UQÀM et spécialiste de la motivation. Une approbation sociale qui s’acquiert à force de travail acharné, sept jours sur sept s’il le faut. Et tant pis pour les amis, les amours, le vélo, les cours de cuisine chinoise, les dimanches de farniente.

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Photo: iStock

Réussir son échec
Le pire dans tout ça, c’est que cette assiduité extrême ne rend même pas plus performant. Les études le démontrent : à long terme, les gens désireux d’exceller au travail, mais qui prennent soin de s’accomplir ailleurs, réussissent autant, tout en étant plus heureux et en meilleure santé. Sans compter qu’ils sont mieux armés face à la défaite.

Car elle survient, tôt au tard. C’est inéluctable. « Ça fait partie de la condition humaine, dit le psychologue. Sauf que, quand on s’investit dans d’autres sphères que le domaine où on s’est planté, ce n’est pas toute son identité qui est mise à mal. On peut cultiver une image positive de soi autrement. »

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La capacité de résilience dépend aussi beaucoup des raisons fondamentales pour lesquelles on s’était engagé dans un projet. Était-ce pour épater la galerie, pour faire mieux que son voisin, pour se prouver quelque chose ? Ou tout simplement pour s’enrichir d’une autre expérience ? « Dans le deuxième cas, la chute sera moins amère, explique Jocelyn Bélanger. Parce qu’on n’est pas en train de déterminer ce qu’on vaut en se comparant : on est dans l’apprentissage. »

Tomber la face dans la gravelle est d’ailleurs une occasion en or de progresser – à condition de réfléchir à ce qui nous a fait trébucher. Les scientifiques le savent bien, eux dont les découvertes se font essentiellement à coups de « essuie et recommence ». C’est même beaucoup plus instructif que le succès, qui nous enivre tellement qu’on « ne voit pas vraiment ce qui est à voir », écrit le philosophe français Charles Pépin dans le magazine Le nouvel Economiste. Tandis qu’une débâcle permet de se frotter à la réalité.

Il donne l’exemple d’une perceuse. « Quand elle marche bien, c’est super, mais vous ne comprenez rien. C’est magique, cela perce un trou et on ne comprend pas comment. Au moment où elle tombe en panne, vous la dévissez, vous essayez de remettre la pièce qui ne va pas, et là, vous commencez à comprendre comment elle marche. Finalement, vous commencez à comprendre comment fonctionne la perceuse le jour où vous êtes confronté à l’échec du système. »

Reste qu’on n’est pas toujours capable de jouer la carte du détachement philosophique quand on vient de se mettre la main sur le rond de poêle. On a beau se répéter qu’« on n’est pas son échec », et qu’à un autre moment, dans un autre environnement, son affaire aurait peut-être marché du tonnerre, la brûlure irradie et laisse parfois une marque profonde dans la chair.

Le temps fait son œuvre, heureusement, dit Normand Baillargeon, professeur à l’UQÀM et spécialiste de la philosophie de l’éducation. Il cite une étude américaine récente portant sur le destin d’aspirants profs à qui on avait refusé la permanence dans une université. « C’est un échec monumental dans le milieu ; en gros, ça signifie : “Ce que tu rêvais de faire dans la vie, tu peux mettre une croix dessus.” » Sauf que, au bout de quelques années, tout était rentré dans l’ordre pour ces gens. « Autrement dit, ce qui nous apparaît sur le coup comme une catastrophe indicible finit par s’estomper. Et même par sombrer dans l’oubli, d’une certaine façon. Il faut garder ça en tête quand on se casse les dents, et s’éloigner de la prison de subjectivité dans laquelle la chose nous apparaît immense. »

Comment fait-on pour apprendre à échouer ?

Répéter à ses petits qu’ils sont « donc intelligents » les fragilise face à l’échec, démontrent les travaux de la psychologue américaine Carol Dweck, une sommité dans le domaine du développement de la personnalité et auteure de Changer d’état d’esprit – Une nouvelle psychologie de la réussite (Mardaga, 2010). Après avoir fait faire à des groupes d’enfants une série de casse-têtes à la complexité variable, la chercheuse a constaté que ceux qu’on avait louangés pour leurs efforts étaient beaucoup plus résilients quand ils ne trouvaient pas la solution que ceux dont on avait applaudi la jarnigoine. Au bout du compte, ils étaient même 30 % plus performants que les autres. « Quand on a été valorisé pour son intelligence, les défaites remettent en cause ses capacités innées, explique le psychologue Jocelyn Bélanger. C’est très angoissant : on pense qu’on n’a pas de chance de se rattraper puisque, finalement, on ne vaut rien. » Tandis que les gens chez qui on a plutôt développé l’aptitude à persévérer pensent que le temps et l’effort triompheront des difficultés. Ils sont aussi plus prompts à sortir des sentiers battus et à prendre des risques.

L’échec, c’est relatif

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Photo: Éditions de la Différence

Dans une autre vie, Antonin Carselva, auteur de L’échec – Anatomie d’un tabou (Éditions de la Différence, 2013), était ingénieur au sein d’une grande entreprise en France. Issu d’une famille bourgeoise, ce premier de classe avait fréquenté les écoles les plus prestigieuses et jouissait d’un statut social enviable. Jusqu’à ce que le système de performance dans lequel il s’était pris la manche jusqu’au coude l’écœure. Il a tout balancé, a acheté une ferme et se consacre maintenant à la musique et à l’écriture.

« La culture occidentale s’est forgé une définition étroite de la réussite sur la base de laquelle tout le monde est évalué. Et tant pis si ça ne correspond pas à notre essence profonde. Sauf qu’à voir tous ces burnouts et ces suicides, la question s’impose : pourquoi on se prête à ce jeu-là ? »

Antonin Carselva se fait parfois traiter de marginal. Mais, dans les soupers d’amis, quand tout le monde a assez bu pour se dire ses quatre vérités, il finit toujours par entendre : « C’est toi qui as raison. » « Les gens sont terriblement en manque de vraie vie. Et la vraie vie, c’est quand on prend ses responsabilités par rapport à sa liberté et qu’on se consacre aux choses pour lesquelles on a une vocation, plutôt que d’obéir à une idée socialement construite du succès. »

 

 

 

 

 

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