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Un jour, Louis-Marc Jutras en a eu assez. Depuis des années, malgré un excellent dossier de conduite, sa prime d’assurance auto augmentait de 12 % à chaque renouvellement. Et il avait du mal à comprendre pourquoi. Il y a un an, ce père de famille de 36 ans a donc téléchargé l’application d’Intact Assurance pour utiliser la fonction Ma conduite, avec l’espoir que sa prime diminuerait. Une sage décision : lors de son plus récent renouvellement, le coût de sa prime a baissé d’environ 15 %, passant de 785 $ à 679 $.
Parmi les clients d’Intact qui ont adhéré à Ma conduite – leur nombre exact demeure confidentiel –, Louis-Marc fait partie des chanceux. Car sa prime aurait pu augmenter si son dossier de conduite n’avait pas été aussi bon. « Quatre conducteurs sur cinq voient leur prime diminuer », assure Anaïs Blanchard, porte-parole d’Intact. Chez Desjardins Assurances, on ne révèle pas non plus le nombre de clients qui ont adhéré à Ajusto. Mais « 70 % de ceux qui l’ont fait ont obtenu un rabais, 20 % d’entre eux n’ont vu aucun changement et 10 % ont subi une augmentation de leur prime », précise Véronique Breton, conseillère principale en relations publiques chez Desjardins. Des variations de combien, en moyenne ? Motus et bouche cousue.
Ajusto (Desjardins), Ma conduite (Intact), automérite (belairdirect), Virage (Sonnet), tous ces programmes surveillent de près votre conduite. Dans la mire de ces mouchards, comme on les appelle en France : la distance que vous parcourez, votre vitesse de conduite, vos accélérations, vos freinages, entre autres. « C’est certain qu’on se sent épié, concède Louis-Marc Jutras, mais si ça permet de réduire ma prime, ça me dérange moins. »
Il avoue même conduire de mieux en mieux. « Je vois un peu ça comme un jeu. Mieux je conduis, plus j’ai d’argent dans mes poches. Alors, je suis plus prudent. » C’est l’objectif premier de ce genre de programme, estime Martin Boyer, professeur de finance et d’assurance à HEC Montréal. « Ces bidules visent à réduire les comportements à risque au volant », dit-il. Ils aident aussi à déterminer quel genre de conducteur vous êtes, afin d’ajuster votre prime d’assurance en conséquence.
Cela dit, évaluer votre conduite n’est pas ce qui importe le plus, du moins pas pour Desjardins Assurances, qui poursuit deux objectifs avec Ajusto, lancé il y a 10 ans. « Personnaliser les primes pour nos clients, d’accord, mais Ajusto permet aussi à Desjardins de répondre à un objectif plus global, soit celui d’améliorer la sécurité sur nos routes », insiste Véronique Breton.
Ce rôle social que s’octroient les assureurs est louable, reconnaît Martin Boyer. Mais « ces programmes servent aussi à contenter les clients et les actionnaires des compagnies d’assurance », dit-il.
Comment ? En réduisant les indemnisations versées par les assureurs à la suite d’accidents de la route, répond Jean-Luc Geha, directeur de l’Institut de vente de HEC Montréal. Car toute l’industrie de
l’assurance repose sur le calcul de risques. « Si les gens conduisent mieux, ils risquent moins d’avoir un accident, donc les indemnisations vont baisser », explique-t-il.
Et, théoriquement, ça profite à tout le monde. « Oui, les assureurs paient moins de réclamations, mais cette économie est refilée à l’ensemble des assurés qui, en fin de compte, se retrouvent à payer globalement de plus petites primes, explique Martin Boyer. Évidemment, ceux qui ont l’appli vont en profiter un peu plus. »
Même si le rabais consenti est parfois (très) mince. Parlez-en au kinésiologue Paul Boisvert, 62 ans, lui aussi assuré chez Intact. Alléché par le rabais potentiel qu’on lui faisait miroiter, il s’est inscrit au programme Ma conduite, et s’est comporté au volant comme il le fait d’habitude. « Je suis un peu cowboy et je fais beaucoup de route », avoue-t-il. Au bout du premier mois, l’appli l’informe que 85 % des gens conduisent mieux que lui. S’il ne modifie pas sa conduite, adieu rabais, pense-t-il. « Les mois suivants, je suis devenu complètement obsessif… » Respect absolu des limites de vitesse (ce que les assureurs n’exigent pas), arrêts complets aux coins de rue, etc. Au point où il réussit à se hisser parmi le top 20 % des meilleurs conducteurs.
Le rabais obtenu ? Une vingtaine de dollars sur une prime annuelle de 949 $, à peine 2 %. Pour être suivi à la trace dans tous ses déplacements. « J’ai désactivé l’appareil », dit-il.
Selon Jean-Luc Geha, ce sont surtout les jeunes hommes de 20 ans qui peuvent profiter à plein de ces programmes. « Ils sont plus à risque d’accident, et leur prime d’assurance dépasse parfois 2 000 $ par année, dit le professeur. Alors si un jeune prouve qu’il conduit bien, il va en tirer de beaux avantages. »
Le professeur se demande tout de même s’il est souhaitable que notre compagnie d’assurance sache en tout temps où l’on se trouve. « C’est un peu le principe de Big Brother. Avec ces appareils, les assu-
reurs sont au courant de tous vos déplacements », dit-il. Pour l’heure, l’adhésion à ces programmes de
surveillance se fait sur une base volontaire. Doit-on craindre que les assureurs la rendent un jour obligatoire ? « Chez Desjardins, il n’en est pas question pour le moment », dit la porte-parole.
Il reste que pour réduire sa prime d’assurance, ces programmes demeurent une solution relativement efficace – si l’on conduit bien, évidemment. Mais si l’idée d’être suivi à la trace vous rebute, il y a d’autres façons de vous assurer pour moins cher. « Changez de voiture pour un modèle moins cher ou réduisez votre kilométrage annuel, explique Martin Boyer. Et surtout – il insiste sur ce mot – magasinez toujours votre assurance ! »
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Journaliste depuis plus de 30 ans, Daniel Chrétien se passionne pour les magazines. Il a notamment mis sa plume au service de Québec Science, de L'actualité et de Châtelaine, où il a travaillé comme rédacteur en chef adjoint pendant cinq ans. Au cours de sa carrière, il a remporté une dizaine de prix de journalisme, dont le prix Jean-Paré, remis au journaliste magazine de l'année au Québec. Aujourd'hui journaliste indépendant, il continue à collaborer avec Châtelaine sur une base régulière, en signant des reportages culturels ou traitant de sujets sociaux qui touchent les femmes.