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Culture

Tremblay, Tchekhov, Rocky III: les classiques de Mani Soleymanlou

L’acteur, dramaturge et metteur en scène a pris une pause, quelques jours après la grande première de sa nouvelle pièce Classique(s), pour discuter avec Châtelaine de son travail de création, du pouvoir du théâtre et même… de vieilles cassettes vidéo piratées. Entretien avec un artiste complet qui veut redonner à la collectivité.
Tremblay, Tchekhov, Rocky III: les classiques de Mani Soleymanlou

Louise Cardinal, Madeleine Sarr, Benoit McGinnis, Kathleen Fortin, Martin Drainville, Julie Le Breton, Mani Soleymanlou, Jean-Moïse Martin. Photo: Yves Renaud

Intimidants, les classiques ? Pas le moindrement du monde si vous suivez dans leur folie les huit comédiens et trois musiciens qui se démènent pendant deux bonnes heures pour nous faire rire et réfléchir dans la nouvelle pièce Classique(s), créée au Théâtre du Nouveau monde en mars 2025. Les extraits d’œuvres célèbres comme Hamlet, de Shakespeare, Albertine en cinq temps, de Michel Tremblay, Oncle Vania, de Tchekhov – et même un certain vers d’oreille signé Sacha Distel – se succèdent, commentés et expliqués avec beaucoup d’humour et juste assez de sérieux.

Entretien avec Mani Soleymanlou, qui signe la mise en scène et les textes (co-écrits avec Fanny Britt), et monte sur scène avec un groupe de talentueux interprètes. 

Tout d’abord, je veux vous remercier de m’avoir fait chanter L'incendie à Rio pendant deux jours ! Placez-vous vraiment ce genre de plaisir coupable dans la catégorie des classiques ?

Je pense que oui. En fait, un classique, c'est différent pour chaque personne. Au début du show, quand on nomme des classiques l'un après l'autre, on s’éloigne du théâtre en parlant autant de Sex in the City que d’un smoked meat. On essaie de ratisser très, très, très, très, très large et d’introduire l’idée que, si tout peut être classique, peut-être que ce qu'on est en train de faire aujourd'hui risque d’en devenir un.

L’idée était de rapprocher le classique de nous le plus possible. Ça signifie que, effectivement, L’Incendie à Rio peut être un classique pour certaines personnes, comme le cinéma américain, la télévision, la littérature, la bouffe peuvent être des classiques pour d'autres personnes. Donc, on essaie vraiment de ratisser le plus large possible, et donc toucher le plus de gens possible.

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J’ai l’impression que si j’avais vu une pièce comme celle-ci à 17 ans, ça m'aurait aidée à avoir plus de plaisir dans mes cours de littérature au cégep. Est-ce que c'est un peu le but de l'exercice pour toi ?

Ce n'est pas le but, mais si ça peut aider les gens à se sentir plus outillés, ou en tout cas moins intimidés face aux classiques, tant mieux. On a entendu ce même commentaire, d'ailleurs, de plusieurs personnes qui ont emmené leurs enfants voir la pièce, et de la part d’étudiants en théâtre qui disaient voir soudainement ces œuvres-là différemment. Ce n'est pas un but, mais c'est sûr que c'est un plus. 

Tremblay, Tchekhov, Rocky III: les classiques de Mani Soleymanlou
Kathleen Fortin dans Classique(s). Photo: Yves Renaud

Le spectacle donne une place de choix à Michel Tremblay, en particulier lorsque Kathleen Fortin interprète avec une grande puissance le personnage d’Albertine. Mettre la dramaturgie québécoise sur le même pied que celle de Tchekhov, c’était voulu dès le départ ?

Absolument. Là, on a principalement Michel Tremblay, puis Robert Gravel en début de show. Mais on aurait pu aller piger dans l'œuvre de Michel Marc Bouchard. À partir du moment où Michel Tremblay est traduit dans de nombreux pays depuis des décennies, c'est important de savoir qu'il a marqué la culture québécoise, le théâtre québécois et donc le théâtre mondial, puisque ça a été traduit et joué dans toutes les langues. On voulait absolument présenter des œuvres québécoises parmi les classiques. C'est important pour nous de se placer au même niveau. Parce que les gens comme Tremblay, surtout, changent les paysages, changent la langue qu'on parle sur scène, changent tellement de choses dans notre culture à nous. C'est absolument important de l’inclure dans le spectacle.

Les œuvres et les passages que vous présentez ont quelque chose de très universel. Était-ce un choix conscient, pour rendre le spectacle plus accessible ?

Nous avons choisi les plus classiques des classiques, en quelque sorte, mais je ne sais pas si [Fanny et moi] y avions pensé tant que ça. Je crois que, finalement, il y a des choses qui s'incrustent dans notre imaginaire malgré nous parce qu'il y a plein de gens dans la salle qui ne connaissent pas le théâtre, mais qui connaissent la réplique «être ou ne pas être», qui ont déjà entendu le nom d’Antigone ou qui ont déjà vu Lady MacBeth. Il y a des choses qui traversent le temps et que l’on connaît sous d'autres formes. Le cinéma a beaucoup aidé certaines de ces scènes-là à exister. 

Nous n'avons pas choisi délibérément des scènes que tout le monde connaît, mais nous avons précisé des choses. Pour ça, on s'est posé des questions. Est-ce qu'on devrait dire telle chose ? Est-ce qu'on devrait l'expliquer ? Et comment on l'explique ? Parfois, on laisse glisser et on s'imagine que les spectateurs vont comprendre. Mais on ne s'est pas trop soucié de savoir si les gens allaient reconnaître ou pas les œuvres évoquées. 

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L'idée d'avoir une grande distribution, donc huit personnes sur scène, moitié hommes, moitié femmes, est-ce que ça s’est imposé dès le départ ? 

Oui, on voulait beaucoup de gens, parce qu’il y a beaucoup de personnages. Moitié hommes, moitié femmes, ça devient comme une évidence pour moi. On veut un projet paritaire, et que tout le monde soit représenté : des hommes et des femmes, mais aussi de différentes générations et issus de différents milieux. 

La distribution, c'est pas mal tous des gens avec qui j'ai déjà travaillé. J'avais envie de ces acteurs-là. On voulait que ça soit une grande distribution pour toucher au plus de personnages classiques possible. On est au TNM, quand même ! Ce sont des acteurs exceptionnels, avec l'ego à la bonne place, des amoureux du théâtre. C'était très important aussi. 

Tremblay, Tchekhov, Rocky III: les classiques de Mani Soleymanlou
Mani Soleymanlou. Photo: Yves Renaud

Une réplique m’a interpellée : « Il y a quelque chose de beau dans la parole collective. L'agora. » Toi, Mani, qu’est-ce qui t’y amène, dans l’agora ?

J’ai le désir d'aller questionner le monde, c'est pour ça que je fais du théâtre. C'est parce que ça me permet de réfléchir au monde dans lequel j'évolue, dans lequel on évolue tous ensemble. Notre époque nous plonge vers nos ordinateurs, nos téléphones, puis sur nous-mêmes, et sur nos propres envies. Le théâtre reste une des seules places où on est encore en collectivité. Dans la salle, on reçoit 800 personnes dans le noir, ensemble, sans leur téléphone. Ça n'existe presque nulle part ailleurs.

Cette idée-là, de collectivité, me semble importante. Puis, pour moi, le théâtre est un outil pour comprendre le monde dans lequel on évolue. C'est là où on réfléchit ensemble. C'est là où on pose des questions, sans nécessairement trouver des réponses. C'est là où on peut philosopher sur le monde dans lequel on vit.

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J'ai la chance d'avoir accès à des scènes et je me dis, bien que ça vient avec une responsabilité, celle de questionner le monde dans lequel on vit. Je ne réinvente pas le théâtre, c’est comme ça depuis les Grecs. C'était un endroit de réflexion, de question, d'agora, justement. On nous donne la parole, on nous donne une scène, on nous donne l'espace médiatique, on nous donne l'espace scénique. Moi, je me dois de redonner à la collectivité, de discuter de ce dont on est.

Est-ce pour ça que les interprètes brisent le quatrième mur, qu’ils s’adressent vraiment au public, quitte à créer certains malaises ?

Il n’y a jamais de quatrième mur dans mes pièces. Je trouve ça important de m'adresser aux gens. Entrer dans un réel dialogue avec les spectateurs me semble être la meilleure façon de les garder accrochés tout le long du spectacle. Tu sais, on dit que Classique(s) a une grosse distribution, mais pour moi, on n'est pas 11 sur scène, on est 811 dans le théâtre. Et quand je fais des solos, je ne suis pas seul, on est 301, on est 280, on est 801.

Vers la fin des répétitions, avec les comédiens, on n'arrêtait pas de se dire qu’il nous manquait « l'autre personnage ». Il nous manquait le public. On a besoin de regarder, non pas des bancs vides, mais de te regarder toi, dans les yeux, pour sentir le malaise, le rire ou les larmes. Tu sais, on a besoin de cet autre avec qui on dialogue. Parce qu'on est dans l'agora, parce qu'on est ensemble, parce que briser le quatrième mur, ça va juste nourrir cette idée de collectivité. Et ça engage les spectateurs. Ils répondent.

Dans la pièce Classique(s), tu t’engages totalement : écriture, mise en scène, interprétation. Parmi toutes ces fonctions, laquelle te nourrit le plus ?

C'est difficile à dire, mais j'imagine que c’est jouer, parce que je le fais aussi ailleurs. J'ai joué pour les autres, à la télévision et au théâtre. J'ai commencé par là, c’est ma formation. Jouer reste mon moteur principal. Je sais que si je ne jouais jamais pendant toute une année, je pourrais être triste. Mais je pourrais passer une année sans faire de mise en scène. Mais ça reste difficile de dissocier les trois parce qu'à chaque fois que je fais une production, je l’écris et je suis sur scène. Donc pour moi, c'est quand même tout. 

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On te voit et on t’entend dans différentes productions. Est-ce qu'il y a un type de rôle qui t'échappe, dont tu rêves ? 

Il y en a tellement... Bien, je joue toujours les gentils, l'ami ou le chum compréhensif, ou le comique qui est un peu sensible. Un gros méchant, ça, ce serait super. C'est un peu cliché, l’acteur qui veut jouer un méchant ! Ces zones-là, je choisis de ne pas y aller dans ma vie. Mais pour un acteur, c'est plus intéressant d'aller là où on ne nous attend pas. Par contre, tu sais, je ne vais pas trop me plaindre. J'ai été très, très chanceux dans ce qui m'a été offert. 

Quel est ton classique préféré au théâtre ?

Toutes les œuvres qu’on a choisies pour la pièce Classique(s) sont très proches de moi, que ce soit Shakespeare, Le Marchand de Venise, que j'ai voulu monter, au début, au TNM. Je voulais monter Le Marchand de Venise parce que la pièce reste avec moi depuis longtemps. J’ai fait son célèbre monologue à l'université, je l'ai fait à l'école de théâtre et, finalement, je l'ai fait sur scène. C’est un texte qui m'habite beaucoup, je le trouve extrêmement actuel depuis 420 ans. Je mettrais Shakespeare en haut de la liste en termes de classiques, que ce soit Hamlet, Roméo et Juliette, Macbeth. Pour moi, c'est le roi du classique.

Et au cinéma ? 

Rocky III. Je l'ai vu à peu près... je ne sais pas combien de fois. Quand j'étais enfant, en Iran, je l'avais en cassette bootleg et je le regardais même sans parler la langue. Je l’ai regardé aussi à Paris, un peu plus tard, quand j’ai appris le français, puis encore à l’adolescence, mais en anglais. J'avais tout compris, déjà. L'underdog gagne, mais ensuite, tout s'écroule parce qu'il a perdu de vue son objectif, son œil du tigre. Il a dû recommencer à la base, repartir du début, retrouver le feu en lui… Je l'intellectualise aujourd'hui. À l'époque, c'était juste cool.

En musique ?

Le hip-hop des années 90, ou le gros pop des années 90, ça me replonge dans mon éveil musical. À l'adolescence, on achetait nos premiers disques, nos premières cassettes. Chaque fois que j’entends du hip-hop de cette époque, je suis content de l'écouter. J’en mets quand j'ai envie de faire la fête ou que je cuisine à la maison.

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C’est intime, ces choix. Mes exemples, que ce soit Shakespeare à l'école de théâtre, que ce soit Rocky quand j'étais enfant ou que ce soit la musique des années 90, ça reste des œuvres qui sont intimement reliées à une forme de nostalgie, en fait, pour moi.

Classique(s), de Mani Soleymanlou et Fanny Britt

Montréal : au Théâtre du Nouveau Monde, supplémentaires jusqu’au 10 avril 2025.

Québec : au Diamant du 30 avril au 2 mai 2025.

Ottawa : au Centre national des arts du 24 au 26 avril 2025.


Cette entrevue a été éditée pour des raisons de longueur et de clarté.

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Julie est rédactrice en chef de Châtelaine et signe l’infolettre gourmande C’est exquis. Elle baigne dans l’univers du magazine depuis plus de 25 ans, ayant notamment été à l’emploi de Protégez-Vous et de L’actualité. Sa plus grande passion? La cuisine. Elle est même allée jusqu’en Italie pour apprendre à confectionner des pâtes comme les nonnas.

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