Culture

Danielle Trottier: rencontre avec l’autrice de Toute la vie sur son domaine en Uruguay

Depuis 15 ans, l’autrice d’Unité 9 et de Toute la vie passe ses hivers dans la campagne de l’Uruguay, petit pays de l’Amérique du Sud où elle veille au destin de ses personnages et de… 150 têtes de bétail.

Photo: Carolyne Parent

Quand j’ai eu vent que Danielle Trottier séjournait quatre mois par année en Uruguay, je l’imaginais lézardant au soleil, un verre de rosé à la main, sur la terrasse d’une superbe villa surplombant une plage sauvage. C’était bien mal la connaître. En fait, c’était ne pas la connaître du tout. 

Me voilà plutôt dans un autocar qui m’entraîne loin, très loin de l’Atlantique, vers Trinidad, la capitale pimpante d’une vaste région agricole, au centre-sud du pays.

En route, je découvre un ciel immense, qui tend sa toile d’azur jusqu’aux confins de l’horizon et, ce faisant, met en relief un arrière-pays bucolique. Une colline. Trois chevaux. Trente moutons. Cent taureaux. Puis, dans cette plaine sans fin, derrière un rang de pins et d’eucalyptus au garde-à-vous, un petit domaine. Bienvenue chez Danielle!

L’endroit est magnifique. Œuvre d’un artisan local, le portail de fer forgé reprend des motifs emblématiques de Joaquín Torres García, figure de proue des arts visuels uruguayens. Habillée de bleu et de jaune, la maison égaie la palette verte des pâturages. À l’écart, la piscine est bien tentante par ces 30 °C… 

La maîtresse des lieux m’invite à m’installer sur la terrasse, tandis que son conjoint, François Forget, me demande ce qui me ferait plaisir pour dîner. On est recevant ou on ne l’est pas!

Photo: Carolyne Parent

Rien qu’un jeu

« Au début, tout ça, le terrain, la maison, n’était qu’un jeu, raconte Danielle, en nous versant de généreuses rasades de vin du cru. Ma grande amie est uruguayenne, et quand elle est rentrée au pays il y a 20 ans, on se disait à la blague que je devrais dorénavant me rendre en Uruguay pour la voir. Après quelques séjours chez elle, François et moi avons eu l’idée d’acheter une petite propriété, pas loin, et c’est comme ça que nous nous sommes installés ici. Il faut dire que ça ne représentait pas un investissement important… »

Au fil du temps, la  petite propriété a pris de l’envergure. Le couple venait y passer un mois par année et, chaque fois, se demandait s’il pourrait être heureux en Uruguay à long terme. La réponse était toujours oui. « Peu à peu, on a agrandi la maison. La piscine est apparue, puis la cuisine extérieure – les villageois nous trouvaient bien étranges! Les séjours se sont allongés et, finalement, c’est devenu chez nous. »

Ce chez-soi, dont l’environnement lui rappelle son Abitibi natale, et où le couple reçoit ses cinq enfants âgés de 29 à 38 ans, compte aujourd’hui 150 hectares et autant de têtes de bétail de race Angus. Justement, voilà François qui s’amène avec steaks et salade, pour un repas aux couleurs locales. La traditionnelle grillade de bœuf qu’est l’asado tient autant du rituel social que du festin en ce pays!

Soit, les prés verdoyants de l’Uruguay et des règles strictes d’élevage contribuent à ce que la viande de bœuf Angus produite ici soit d’une qualité internationalement reconnue, mais de là à se mettre à élever des bêtes… « C’est qu’à mes yeux, des pâturages vides, ça n’avait aucun sens! s’exclame Danielle. Comme c’est la vie qui me nourrit, il me fallait donc rendre ce paysage vivant. » Et il l’est devenu avec ses chevaux, vaches, taureaux, chiens de troupeau, chats, ruches, alouette! « C’est sans compter les tarentules grosses comme ça qui sortent de mon imprimante! »

Qu’on ne s’y trompe pas: madame n’est pas en vacances et le couple, qui vit à Crabtree, dans la région de Lanaudière, huit mois par année, ne joue pas non plus aux touristes. Danielle ne va presque jamais au village. C’est François qui s’occupe des courses, du plombier, du gaucho qui veille sur le troupeau et de la gestion de l’élevage. « Danielle écrit six heures par jour, sept jours par semaine, et toute notre vie tourne autour de l’écriture », précise l’ex-preneur de son, son conjoint des 16 dernières années, d’une voix empreinte d’admiration.

Et que dire de l’endroit où elle écrit… Équipé d’une chaise, d’une minitable et d’une étagère, où sont exposés des masques provenant du décor du téléroman Emma, sa première œuvre, son petit bureau me semble, ma foi, bien sommairement meublé.

 

Photo: François Forget

La valeur de la vie

Ces jours-ci [nous sommes en février], Danielle n’a le temps de vivre ni le deuil d’Unité 9 ni celui de Cheval-Serpent. Elle peaufine plutôt Toute la vie, sa nouvelle série produite par Aetios, qui sera diffusée sur ICI Radio-Canada Télé dès septembre prochain. Elle nous emmènera donc à l’école secondaire qu’elle a imaginée, qui lui a été inspirée par l’établissement spécialisé montréalais Rosalie-Jetté. Dirigée par Tina, qu’incarne Hélène Bourgeois Leclerc, l’école fictive est fréquentée par des adolescentes enceintes ou qui viennent d’accoucher. Celles-ci y sont encadrées par un psychoéducateur, Christophe, alias Roy Dupuis.

« Dans le métier, on dit souvent que “le scénariste joue à Dieu”, mais j’ai un peu de mal avec cette expression, car, en ce qui me concerne, j’ai plutôt l’impression d’être sa secrétaire! » Pour ce projet « la secrétaire » s’est offert « un petit luxe »: elle a couché 24 épisodes sur papier. « J’avais besoin de déployer l’histoire au complet, de trouver la cadence du texte, les enchaînements. Et quand ç’a été fait, je me suis mise à tout réécrire. Une première en carrière! »

Pourquoi avoir voulu aborder le sujet de la maternité adolescente? « Parce que, à heure de grande écoute télévisuelle, on n’entend pas ce genre d’histoire, qui est une problématique réelle, souligne l’autrice. Je veux témoigner du courage d’adolescentes dont le passage au monde adulte est précipité et de la tourmente de leurs parents. Et puis, poser mon regard sur des jeunes de 12 à 17 ans, ça me sort de ma zone de confort! » Ainsi, chaque semaine, nous suivrons le destin de ses six héroïnes.

En baptisant son école Marie-Labrecque, Danielle rend de plus hommage à une pionnière de la lutte pour la reconnaissance du droit à la scolarisation des « filles-mères ». « En 1960, la religieuse de la congrégation des Sœurs de la Miséricorde ne dit pas “il faut leur trouver un mari”, mais plutôt “il faut qu’elles obtiennent des services scolaires”. J’ai une estime incroyable pour elle. »

Photo: François Forget

L’humanité avant tout

Encore et toujours, c’est la vie qui est le moteur du travail de Danielle Trottier. Nos cheminements. Nos questionnements. Elle me regarde d’ailleurs avec un mélange de bienveillance et d’avidité, comme si elle voulait percer mes secrets. « En fait, ce qui m’intéresse, c’est notre humanité », affirme celle qui se passionne pour les séries sud-coréennes diffusées sur Netflix. « Je ne comprends rien au coréen, mais je saisis le langage des émotions. En tout cas, j’ai très envie d’aller manger du kimchi à Séoul! »

En attendant, l’Uruguay semble bien lui réussir. « Ici, on regarde le temps passer. J’apprends à prendre le temps de vivre », avance-t-elle, et ce, en dépit de sa grosse charge de travail. Des Uruguayens, elle remarque que ce ne sont pas des gens ancrés dans le paraître. « Ils ont encore ce que nous semblons parfois avoir oublié: les notions d’entraide et de solidarité. » Quant à l’écriture, elle est de toute évidence une source de joie, qui lui est aussi vitale que l’oxygène. « Grâce à elle, j’ai mille vies », dit-elle. Chanceuse, va!

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