Culture

Émilie Perreault: «J’ai une tribune extraordinaire et je veux l’utiliser pour faire vivre la culture»

L’animatrice de l’émission de radio Il restera toujours la culture monte sur scène pour présenter son spectacle solo La suspension consentie de l’incrédulité. Une extension de la mission qu’elle s’est donnée: faire mieux comprendre l’importance de la culture dans nos vies.

La journaliste Émilie Perreault s’est donné pour mission de mettre l’art en valeur, tant à la radio (Il restera toujours la culture, Radio-Canada) qu’à travers des documentaires et des livres. Dans son balado Pourquoi, Julie ?, elle cherchait à comprendre ce qui a convaincu Julie Masse de tourner le dos à la gloire. Et pour son spectacle solo La suspension consentie de l’incrédulité, elle monte elle-même sur scène chez Duceppe en novembre 2024. D’où lui viennent tous ces centres d’intérêt ? Entretien.

As-tu le bonheur facile ?

Oui. On dirait que c’est de famille. Le fait que ni moi, ni mes parents ou mes grands-parents n’ayons vécu de grands traumatismes, ça joue sûrement. Je suis consciente que c’est un privilège, que ce n’est pas donné à tout le monde.

Est-ce qu’il y a quand même quelque chose qui te met de mauvaise humeur ?

Les gens égocentriques, qui ne font pas attention aux autres. Ça m’atteint beaucoup parce qu’une des choses qui me rend le plus heureuse, c’est sortir de moi-même, m’intéresser aux autres, être dans le don. On n’est pas seuls, on a un impact sur les autres. On vit en société. Le collectif est vraiment important pour moi. Les plus belles choses arrivent quand on se mobilise.

L’influence de la culture sur les gens est un thème important dans ton travail. D’où t’est venu cet intérêt ?

C’est un ensemble de choses. D’abord, la culture était déjà présente dans mon enfance. Ma mère nous emmenait à la bibliothèque et, pendant les vacances, voir des spectacles – des humoristes, du théâtre d’été. Elle avait un abonnement chez Duceppe, avec ses sœurs, et je la voyais se mettre belle pour aller au théâtre. Depuis que je travaille moi-même dans le milieu culturel, une part de moi s’émerveille de voir une salle remplie. Qui sont ces gens ? Pourquoi ont-ils choisi d’être là ?


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À la radio aussi, je recevais souvent des témoignages d’auditeurs qui me remerciaient de leur avoir fait découvrir un artiste, un spectacle, et ça me remplissait de bonheur. Je me suis alors dit que ça devait être extraordinaire pour un artiste de se faire dire ce que produit son œuvre. Ça m’a menée à Faire œuvre utile [un livre devenu une série télé, où des gens rencontrent des artistes importants pour eux], qui réunissait toutes mes passions, y compris la rencontre avec le public et le plaisir de chercher à bien raconter une histoire. De là, on dirait qu’un sillon s’est creusé : si l’art peut avoir un si grand impact, comment lui donner plus de place dans notre vie ? C’est le propos de mon essai, Service essentiel. Je poursuis ce questionnement avec mon spectacle solo, La suspension consentie de l’incrédulité, et à la radio. J’ai une tribune extraordinaire et je veux l’utiliser pour faire vivre
la culture.

Monter sur scène, ça doit aussi enrichir ta réflexion sur la culture ?

Ça nourrit beaucoup mes entrevues, de vivre cette vulnérabilité, le courage que ça demande de lancer : « J’ai quelque chose à dire ! »

Comment décrirais-tu ton spectacle ?

C’est un solo, un essai porté sur la scène. La spectatrice monte sur scène pour dire pourquoi, en fait, elle préfère être spectatrice. « La suspension consentie de l’incrédulité », c’est ce moment où on « embarque », où on met le scepticisme de côté pour oublier que Guylaine Tremblay, par exemple, joue un rôle. Les gens dans le public se reconnaissent beaucoup, et je leur transmets quelques concepts théoriques qui pourront nourrir leur expérience de spectateurs.

Après une vingtaine de représentations, comment trouves-tu l’expérience ?

À mon grand étonnement, j’ai vraiment du plaisir à monter sur scène ! Je ne pensais pas avoir ça en moi. Maintenant, je comprends ce que disent les artistes, que la salle est différente chaque soir. J’arrive avec mon énergie, le public aussi, et quand le courant passe, c’est magique.

Y a-t-il un lieu, un objet qui te rappelle ton enfance ?

La bibliothèque. Je suis parfois hyperactive, mentalement, et c’est là que ça a commencé à se manifester. C’était un vrai calvaire de choisir seulement huit livres à emprunter. Ensuite, il fallait décider lequel lire en premier ! Quand je repense à mon enfance, je pense à des livres usés et doux sur le côté tellement ils ont été lus.

Tu as d’ailleurs écrit toi-même un livre jeunesse, Henrigolo, à propos de l’autodérision, une qualité que tu as déjà dit vouloir développer. Progresses-tu ?

Je pense que je m’améliore ! Mon fils [âgé de 9 ans] m’amène à travailler là-dessus. C’est un outil tellement efficace, l’humour,
dans les relations familiales; c’est si précieux. Être prise en défaut, ce n’est pas la fin du monde, mais c’est difficile pour moi.

Être constamment dans l’œil (et l’oreille) du public, ça ne doit pas faciliter les choses ?

Probablement que ça joue. Bien des gens m’imaginent comme une première de classe, mais en réalité, je suis bordélique, pas très organisée. Par contre, je veux être adéquate. Je pense que je suis plus une bonne élève qu’une première de classe.

Est-ce qu’il y a une personne que tu rêves d’interviewer ?

Je rêvais d’interviewer Sarah Polley, qui est une idole, et j’ai eu la chance de le faire l’an dernier. J’adorerais rencontrer l’auteur français David Foenkinos pour comprendre comment son cerveau fonctionne. Son roman La délicatesse m’a beaucoup marquée. C’est une histoire d’amour, mais racontée d’une manière un peu décalée.

As-tu appris quelque chose d’important cette année ?

Je pense tout de suite à mon amie Caroline Dawson, l’autrice de Là où je me terre, qui est décédée en 2024. Pendant la dernière entrevue que j’ai faite avec elle, je lui ai demandé quel était son rapport à la culpabilité. Elle est devenue très émotive : « Je me sens tout le temps coupable. Je me sens coupable d’abandonner mes enfants. » Je n’en revenais pas. Je vis beaucoup avec la culpabilité : j’ai l’impression que je ne suis pas assez présente pour mon fils. Là, elle me confirmait que ça allait m’habiter jusqu’à la fin… Alors, il faut vivre avec. Elle m’a appris tellement de choses. Elle était badass. Elle vivait bien la colère, contrairement à moi. C’est comme si elle avait eu tellement d’amour en elle qu’elle se permettait d’être en colère quand quelque chose n’avait pas de sens. J’ai beaucoup de chance de l’avoir côtoyée. J’essaie de parler d’elle le plus souvent possible, pour la garder vivante.

Photo: Julie Artacho

Quand tu vas voir ta vie défiler devant toi, de quoi penses-tu que tu seras le plus fière ?

De mon fils, c’est sûr. Il y a deux ans, j’ai eu très peur pendant un voyage en avion. Je ne suis pas quelqu’un d’anxieux, mais j’ai vraiment cru que j’allais mourir. Je n’arrêtais pas de penser au fait que je n’avais pas bien dit au revoir à mon fils avant de partir. Pas à la nouvelle émission de radio que j’allais commencer à animer, ni à un de mes livres, seulement à mon fils. Depuis, quand je prends des décisions professionnelles, je priorise d’être là pour lui. Je veux être présente dans les moments où ça compte. J’adore ma carrière, elle m’amène de grands highs, mais j’ai quand même l’impression qu’à la fin, ce n’est pas à ça que je vais penser. Alors, j’espère que je serai fière !

 

Note de la rédaction

La version originale de cet article a été modifiée le 16 novembre 2024 pour corriger une information erronée au sujet de la fin de vie de Caroline Dawson.

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