La première fois que ça m’est rentré dedans, c’était au départ de mon tout premier marathon, à Charleston, en Caroline du Sud.
J’étais entourée de femmes splendides.
Toutes ?
Toutes.
Il y en avait de tous les formats, de toutes les formes, de tous les âges, et de toutes les couleurs. Des pommes, des poires, des allumettes, des callipyges, des voluptueuses, des grandes baraquées et des petites « narfées ». Yvon Deschamps en aurait fait une chanson, c’est sûr.
Pas une seule de ces femmes que je n’ai trouvée magnifique. Une ligne de départ, c’est juste des pétards. L’œil déterminé et le corps fier, les coureuses me font penser à des danseuses de flamenco, prêtes à flamber, à tout donner.
Depuis, le constat s’est répété si souvent qu’il a bien fallu me rendre à l’évidence, devant une femme qui bouge, bien dans son corps, forte de le savoir capable de tant de merveilles, je suis atteinte d’un syndrôme de Stendhal sévère.
Je les trouve belles.
Les filles de mon vestiaire de piscine, je les vois à l’aube, sous une lumière au néon, pas maquillées, l’œil encore gonflé d’une nuit souvent courte, l’étampe des « goggles » encore imprimée dans la face, et je les trouve si parfaitement belles que je me demande toujours pourquoi on ne célèbre pas plus ce genre de beauté.
Vous savez, la beauté de ces femmes qui se sont réapproprié leur corps, peu importe sa forme, ou les marques laissées par les enfants et le temps ? Cette beauté-là. Confiante, forte, désinvolte.
Oui, désinvolte ! Un bras de distance avec la fameuse « dictature » de l’image. Bien sûr qu’on aime toujours enfiler une jolie robe, mettre du mascara, aller chez le coiffeur, mais comme pour le sundae, c’est la cerise. Pas le plat principal.
Le sport nous offre ce bras de distance, cette désinvolture qui fait tant de bien et qui, ô paradoxe, nous rend belles parce qu’elle nous affranchit de l’image.
Ces filles-là, dont je vous parle, sont à des années lumière du cliché de la vedette hollywoodienne photoshopée, botoxée, toujours au régime et qui « n’a que ça à faire, s’entrainer ».
Elles mangent des œufs, du bacon, des petites patates, et elles ont mille choses à faire à part s’entrainer !
Elles ont des boulots, des enfants, des familles, des vieux parents dont il faut s’occuper, le souper à préparer, les lunchs, les maudits lunchs, des réunions qui n’en finissent pas, des conseils d’administration, des voyages d’affaires (pas toujours en classe affaires…), des voitures à déposer au garage, des autobus à attraper au vol, des rencontres de parents à l’école, des activités de bénévolat.
Et à travers ça, elles ont envie d’aller voir l’expo de Sophie Calle au Musée d’art contemporain, de lire « Molière à la campagne » d’Emmanuelle Delacomptée, de regarder comment Macha s’en tire dans "Nouvelle adresse" et d’essayer le petit restaurant de quartier qui vient d’ouvrir pour un (trop) rare tête à tête en amoureux.
Le temps pour aller courir ? Elles n’en ont pas plus que vous et moi. Mais pour voler un trente minutes de liberté en "runnings", il arrive qu’on « sacrifie » le ménage (qui n’a jamais rendu une femme belle, lui).
L’argent ? Il ne pousse dans les arbres pour personne. Heureusement, avec la course, l’accès au « gym » est gratuit. Et on revient le teint aussi frais que si on avait passé l’après midi chez une esthéticienne qui coûte la peau des fesses.
L’entraineur à domicile ? Ah ah ah ! Avouez que c’est drôle, cette idée ! Qu’est-ce qu’on en ferait ? On le mettrait où ? Et il faudrait le nourrir en plus ? Non, non, nous, femmes « ordinaires », on s’encourage les unes les autres ; « enwoye, sors du lit, on t’attend, enwoye, diguidine, on gèle, go, va courir, je vais te le garder ton petit » !
On sue ensemble, et on rit ensemble. Beaucoup, souvent, fort. Ça aussi, ça rend les femmes belles.
Et ça n’a pas de prix.
*ce texte n’a pas été écrit sous l’influence des endorphines, je le jure.
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Scénariste, romancière, directrice littéraire et journaliste, Geneviève Lefebvre s'intéresse à tout ce qui s'écrit.
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