Blogue La course et la vie

Lettre à une jeune coureuse

Au milieu des milliers de conseils que Geneviève Lefebvre a reçus, voici ceux qui lui sont, encore et toujours, utiles.

Photo: iStock

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Chère toi,

Tu as traversé avec brio l’épreuve de l’achat d’une première paire de runnings (tant de choix, ça saoule), déjà bravo! Tel un toréador se préparant à affronter le taureau, tu t’es habillée de lycra scintillant, et te voilà sur les routes, par monts et par vaux, l’œil brillant (c’est la sueur qui coule), et une envie de vomir au bord des le cœur plein d’espoir.

Tu as rejoint la cohorte des coureurs, bienvenue dans le club !

On te donnera plein de conseils. Certains très judicieux (arrête de t’hydrater autant, tout ce que ça donne, c’est une envie de pipi chronique), d’autres farfelus (jamais de poutine la veille d’un marathon, ça porte malheur). Forcément, un jour, tant d’abondante bienveillance sèmera la confusion dans ta tête.

Au milieu des milliers de conseils que j’ai reçus (la plupart venant de gens aimables et bien intentionnés), voici ceux qui me sont, encore et toujours, utiles.

 ***

Vas-y. Sors. Tout de suite. Ne négocie pas avec toi-même : Jack Bauer (ou est-ce Obama ?) l’a dit, on ne négocie pas avec les terroristes.

Laisse faire les « il faut », et change ça en « si la journée peut finir que j’aille courir ». Que ta course devienne un rituel désiré, un moment de plaisir, un art de vivre, une soupe à l’oignon et un bain de lavande.

Le corps est capable de toutes les adaptations. Il est capable d’exploits qu’on n’avait jamais osé imaginer, même dans nos rêves les plus masos. Faut juste lui donner le temps de s’adapter. Chi va piano va lontano, petit lapin va loin et toutes ces sortes de choses.

T’es pas la voisine. T’as pas le même âge, le même corps, la même vie, tes motivations ne sont pas les siennes, tes raisons de courir non plus. À chacun sa course, et les lapins seront bien gardés (dans les histoires de course, il y a souvent des lapins.

N’écoute pas la voisine. Un jour, la voisine te dira que tu en fais trop. Ou pas assez. Yada yada yada, dirait Jerry Seinfeld. Elle n’a pas le même âge, ni le même corps, ni la même vie, et ses motivations ne sont pas les tiennes. À chacun sa course, et les lapins brandiront fièrement leur pancarte (comme tu peux le constater, les dictons varient).

Écoute le coach. Il est certifié en quatre millions de techniques différentes, ça fait trente ans qu’il voit passer des athlètes, rien ne l’énerve et quand il dit « ça donne rien d’aller plus vite pour cet entraînement-là », c’est que ça donne rien d’aller plus vite pour cet entraînement-là.

L’entraînement n’est pas un test, c’est un outil. Répète après moi. Encore. Répète-le jusqu’à ce que tu ne te sentes plus jamais obligée de « performer » à l’entraînement.

 Présente-toi à l’entraînement. « 80% of success is showing up » aurait dit le sprinteur Woody Allen. Je ne pense pas avoir besoin de l’expliquer celle-là.

Sache ce que tu veux de ta course et pourquoi. Socrate, ce coureur de fond, avait raison. Connais-toi toi-même. Et surtout, ne te mens pas. Tu es compétitive ? Vas-y, fonce ! Tu ne l’es pas ? Vas-y, fonce ! Il n’y a pas de mauvaises réponses. Il n’y a que de mauvais choix.

La performance des autres ne te déprécie pas. Ce n’est pas parce que la voisine se tape des ultra-marathons de 100 kilomètres que tu dois te sentir « looser », « poche » et « minus » avec tes courses de 5 km. Un 5km bien couru, c’est difficile, c’est exigeant, et ça mérite le respect.

La performance des autres s’apprécie. Ce n’est pas parce que la voisine se tape des ultra-marathons de 100 kilomètres que tu dois la démolir en la traitant d’excessive, de maniaque à la chainsaw, et d’obsédée. Un 100 kilomètres bien couru, c’est difficile, c’est exigeant, et ça mérite le respect.

Trouve toi une bande de joyeux lurons. Le mot clé ici, est « joyeux ». Des gens avec qui tu vas rire autant que courir. Avec qui tu vas déconner aussi fort que t’entrainer. Que tu vas encourager, féliciter, embrasser, autant qu’ils t’encouragent, te félicitent et t’embrassent. Des fanfarons qui se tirent vers le haut, et se poussent au derrière pour que tous donnent le meilleur.

Exigeant? You bet!

Ne t’en fais pas, « l’optimus maximus » est un muscle qui ne demande qu’à se développer.

Apprends à lire ton corps. Comme une partition de musique. Apprends à écouter la différence entre un bobo anodin (si mineur), et les signes d’un problème plus sérieux (la majeur). À savoir quand pousser et quand te reposer. À traiter ton corps avec affection et respect. À consulter un pro (physio, osthéo) au besoin, mais encore mieux, à connaître assez ta machine pour éviter d’avoir à consulter un pro. Sois patiente. Comme toute chose qui en vaut la peine, apprendre à lire une belle partition prend du temps.

Écoute tes envies plus que tes angoisses. Tu as envie d’essayer un marathon ? Arrête de m’achaler avec ce qui pourrait mal aller. Prépare-toi en conséquence et vas-y. Go.

Vite, vite, apprends le langage des signes. High five, pouces en l’air, fist bump, power hugs, la vie d’un coureur ressemble parfois à celle de Jay-Z et d’Eminem. T’en fais pas, tu vas tout apprendre à la vitesse de l’éclair, j’ai confiance.

Surveille ton langage. Je cours comme une tortue, j’ai l’air d’un hippo, ma course a maaaal été, c’était duuuur, y’avait des côtes en sale, trop de vent, pas assez de vent, trop chaud, trop froid, j’ai pensé mourir, j’ai failli mourir (visiblement, tu n’es pas morte puisque tu me ventiles ça avec beaucoup d’énergie), pédaler dans la neige, c’est péniiiiible, sous les tropiques, c’est trop duuuur (de mon hiver à – 1000 c’est fou, je n’ai aucune empathie), j’ai mal au mollet, au ventre, au pouce (au pouce?!?) oui, oui, au pouce, alouette.

Pendant un entraînement du club de course Châtelaine.

Pendant un entraînement du club de course Châtelaine.

L’entends-tu le discours défaitiste, négatif, et drama queen ? Cesse.

C’est lourd. Pour toi, d’abord. Pour les autres ensuite. Ce n’est pas qu’il faille oblitérer les difficultés, mais bien que la course (et la vie donc !) est beaucoup plus heureuse quand on met en valeur ce qu’il y a de beau.

Les mots ont de l’importance, ils contaminent notre psyché, et on finit par croire au discours que l’on se répète. Fais moi plaisir chère coureuse qui découvre que c’est plus difficile qu’elle ne le croyait ; les prochaines fois que tu me raconteras tes courses, dis-moi d’abord ce qui a bien été, ce dont tu es fière.

« Comment ç’a été ? Magnifique ! Telle une Viking j’ai couru dans la neige, avec un vent de face, et je l’ai fait! Je suis tellement fière de moi » !

Tu vas voir, ça change la vie…

Au prochain bébé coureur tu rendras. Donner au suivant, c’est pas juste un concept de télé, ça vient avec le cahier de charges de tout bon coureur. Un jour, on se rend compte qu’on sait des choses et qu’il faudra bien faire profiter quelqu’un qui débute…  Va courir avec un bébé coureur, écoute ses questions, hoche la tête, et dis lui de ne pas trop s’en faire avec l’hydratation. Allez, au suivant!

Bon, je te laisse, il fait soleil, et la tentation d’aller courir est trop forte. Si je te croise, chère nouvelle coureuse, sois certaine que je lèverai le pouce, le sourire étampé dans la face, un cri de guerrière en prime.

Fille, tu rock tes runnings ! Goooooo!

PS. Oh, pour la poutine… C’est même pas vrai que ça porte malheur.

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