Blogue La course et la vie

Qu’est-ce qu’une vraie coureuse?

C’est quoi, un vrai coureur ? Ceux qui vont très vite ? Ceux qui sautillent aux feux rouges ? Ceux qui arrivent parmi les premiers ? Geneviève Lefebvre propose sa propre liste de critères.

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«Elle, c’est une vraie coureuse ! Ah, lui, ça paraît que c’est un vrai coureur » !

Phrases entendues souvent, à propos de coureurs aussi différents qu’il soit possible de l’être.

Une phrase qui me laisse aussi songeuse que la définition de l’amour « vrai ». Ou que celle de Molson, qui a signé une campagne saluant « les vrais » sans qu’on sache exactement de quoi il en retourne.

C’est quoi une vraie coureuse ? Un vrai coureur ?

Est-ce que ça dépend de la performance ? De la vitesse au kilomètre ? De la distance ?

Oui. Sans doute… Et en même temps, ce n’est jamais « juste » une performance, une vitesse, une distance. Michel Cusson, Pia Nehme, sans la proverbiale gentillesse qui les caractérise, ne seraient pas autant des « vrais ».

Alors que j’ai couru six marathons et je ne sais plus combien de demis, il a fallu, dernièrement, que je cours un 5km tout en puissance et en contrôle pour que je sente enfin que j’étais « une vraie » coureuse.

Sur un 5km ?!

Eh oui. Je les ai longtemps évités, tant je détestais l’oppression du « courir dans le tapis » sur cette courte distance. La poitrine qui explose, les jambes qui brûlent, l’effort constant, l’oxygène qui ne rentre jamais assez vite pour répondre à la demande, je voulais vomir, mourir, et je fuyais les 5 km comme la peste.

J’aimais mieux courir à un rythme « confortable », quitte à courir beaucoup plus de kilomètres… Il m’arrive même de penser que j’ai couru des marathons juste pour éviter de faire face au sprint exigeant du 5 km.

Fou de même.

Vous ne serez donc pas surpris d’apprendre que dans mes critères pour me qualifier en tant que « vraie coureuse », il y a…

  • Confronter tes peurs. Peur de faillir, peur d’échouer, peur d’avoir mal, peur de se ridiculiser, peur de l’inconfort, peur de la panique (un V02 max, c’est le summum de l’inconfort), peur d’avoir peur. Enwoye ma pitoune, arrête de faire ta moumoune, vas-y, confronte. Go !
  • Arrêter d’attendre la validation des autres pour espérer te sentir comme une vraie coureuse. La validation viendra de l’intérieur ou ne viendra pas. Et comme dit André Malraux, grand philosophe du sport, c’est ça qui est ça.
  • Besoin de personne en Harley Davidson. T’es autonome. De ton entraînement, de ton mental, de ta motivation, de ta course, et de tes objectifs. Ça ne veut pas dire que tu n’aimes pas être avec les autres, rigoler, échanger, encourager et être encouragé. Ça veut dire que ta course n’est pas tributaire du fait qu’il y ait quelqu’un qui veut bien « aller courir avec toi ce jour-là » ni du fait qu’on te dit « bravo t’es bonne ». T’es capable, toute seule, pas de petites roues.

  • Tu sais que tout est dans la préparation, que le succès, ça ne s’improvise pas (maudite affaire). Les muscles, les poumons, le cœur et la confiance en soi, tout se construit sur un entraînement solide et rigoureux. Tu as fait le travail, ton corps le sait, ta tête aussi.
  • T’as trouvé « ta formule ». Nutrition, entraînement, repos, t’as joué avec cette magnifique machine qu’est ton corps, tu as fait plein d’essais, plein d’erreurs, mais t’as fini par comprendre deux ou trois trucs qui fonctionnent vraiment bien pour toi, et à intégrer toute la patente dans ta vie à toi. Avec des spécificités, famille, horaires, boulot, qui sont les tiennes.
  • Mais tu restes ouverte. Au traitement-choc. Au changement de modèles de chaussures. À manger moins. Ou plus. À quitter la route pour le bois. Ou la piste. À tout essayer au moins une fois, pour voir, d’un coup que t’apprendrais de quoi. T’apprends toujours de quoi. Grand ouvert.
  • T’arrêtes de penser que « ça prend du temps » pour faire du sport. Ça va, c’est beau, t’as compris. Du temps, personne n’en a. Tout le monde a un boulot, une famille, des obligations. Si tu veux que la course fasse partie de ta vie, il faut que tu pognes le temps par les ouïes, et que tu le squeezes pour y faire rentrer cette demi-heure en tête-à-tête avec tes runnings. Quitte à te lever à l’aube, à laisser ton chum s’organiser avec le souper, ou à y aller quand tout le monde est couché.
  • Parlant conciliation… tu as mis la culpabilité (encore une excuse) aux vidanges, et tu règles la question de la conciliation « famille/course » une bonne fois pour toutes en mettant la famille de ton bord. « Bon, gang, j’ai des nouvelles pour vous autres, votre mère (blonde, épouse, alouette) est pas juste une faiseuse de lunch/enfourneuse de linge sale dans la machine qui bougonne parce qu’elle n’a pas de temps pour elle. C’est aussi une championne olympique (n’ayons pas peur d’un chouia de glamour) qui a 45 minutes de pyramides au programme, alors je sors courir, ce qui me mettra d’humeur joyeuse, et tout le monde sait qu’à choisir entre la Bougonneuse et la Joyeuse, vous pesez tous sur le piton « celle qui a du fun dans la vie ». Ah, et je compte aussi sur vous pour faire la vaisselle, changer la litière du chat, partir une brassée, le tout en évitant de mettre le feu. Si par un malheureux hasard il y avait des flammes, j’ai mon téléphone, mais si vous faites flamber la maison, et qu’en plus vous me privez de ma course, je vous coupe l’internet ».

Avec ça, on a la paix pour un bout. Sans compter la fierté des enfants devant nos médailles. Comme a dit un petit l’autre jour à la Rustique des Pélicans; « moi, ma mère, elle court vite ».

Demandez-moi, voir, s’il y avait plus de fierté dans sa voix que s’il avait dit « moi, ma mère, elle met de la luzerne dans mes sandwichs ».

  • Avant d’être une vraie, tu les trouvais « m’as-tu-vu » ceux qui sautillaient partout avant une course. Un jour, gênée d’avoir « l’air de », t’as fait l’essai de te réchauffer avant le départ d’une course. Sauts, exercices dynamiques, course légère, quelques sprints, et… ç’a changé ta vie. À la ligne du départ, ton corps était réveillé, excité, frémissant comme celui d’un cheval qui attend que la barrière lève. Non, on ne « perd » pas d’énergie à courir avant une course, au contraire, on prépare mieux son corps à l’effort qui s’en vient. Du coup, la perception de l’effort est moindre, les sensations sont meilleures, et le chrono aussi… Ben cou’ donc.
  • T’as arrêté de sautiller sur place aux lumières rouges, et de penser que t’es pas « une vraie » parce que ça t’arrive de marcher. Sérieux, t’es pas une machine qui va tomber en panne si elle s’arrête une minute, les nerfs.
  • T’es pus une princesse. Pouf, fini ! La fréquentation assidue de toilettes chimiques s’est chargée de la transformation. Mille cabanes de plastique bleu plus tard, t’es devenue une warrior. Qui l’eut crû ?
  • T’as assez confiance dans ta relation avec la course pour la laisser tranquille quelques semaines, voir quelques mois, à l’occasion. Les runnings sont dans l’entrée, ils s’en vont nulle part, tu vas y revenir, c’est clair. Anyway, t’es pas du monde quand t’es loin de ton amour trop longtemps.
  • T’as cessé de quémander de la pitié à ta gang de course chaque fois que t’as un bobo qui t’empêche de courir. Tu fais pas pitié. D’ailleurs, tu t’es tannée de soigner les mêmes symptômes à répétition et t’as décidé d’aller à la source du bobo. T’aimes bien ton physio, mais payer son hypothèque de chalet, non merci. Ça va faire le niaisage ! Qu’est-ce qu’il faut que je fasse pour soigner cette bandelette ? Marcher sur les mains en récitant le « renard et le corbeau » ? Regarde-moi ben aller.
  • T’as compris qu’être un vrai coureur, c’est aussi être le spectateur enthousiaste de la course des autres. Go, Pat, go Béatrice, go Annie !!!
  • T’essaies pas de « convertir » ton chum. Tu fais tes affaires, t’es contente s’il vient à une de tes courses, mais tu lui fais pas de crise s’il vient pas. « Reste couché chéri, profites-en, je reviens plus tard ». La course, c’est ta passion à toi et t’exiges pas qu’il la partage. Par contre, s’il fallait qu’il commence à faire du passif agressif vis-à-vis de ta course ou qu’il se mette à te reprocher d’y consacrer trop de temps, tu envisagerais de mettre fin à la relation. Avec lui.

Parce que franchement, s’il est pas de ton bord pour quelque chose qui te rend heureuse, s’il est pas fier de tes efforts, de ton assiduité, de tes victoires, il y a de fortes chances qu’il soit pas de ton bord pour grand’ chose.

Voilà, c’était mes critères à moi. Et en attendant de lire les vôtres, je vais aller me faire un grand bol de pop corn, histoire de les lire avec toute l’attention qu’ils méritent, les doigts pleins de beurre.

Parce que c’est bien connu, les vrais coureurs mangent du pop corn au beurre…

***

Cette chronique est dédiée à Marjolaine Lemieux (du club de course Châtelaine, opérée à cœur ouvert pour un ventricule défectueux), à Jean-Claude Lebeau (aussi du Club Châtelaine, opéré aux deux genoux), à Marco Dubreuil (non-voyant, en préparation de son premier demi-marathon), à Patrice Brisindi (qui s’entraînait en vue de sa qualification au Iron Man de Kona pendant sa chimiothérapie), à Alice Cole (81 ans, qui vient d’avoir un accident de voiture et qui a demandé au docteur « si sa clavicule cassée allait l’empêcher de participer aux championnats canadiens »), à Thibaud Friess (asthmatique sévère, en préparation du Iron Man de Zurich), à Marie-Maude Lecours (qui débarque à l’entraînement avec un bras fracturé, « ben quoi, c’est juste un bras »).

Quand j’ai des doutes sur « c’est quoi un vrai », je pense à eux.

À l'entrainement avec Marjolaine et Jean-Claude

À l’entraînement avec Marjolaine et Jean-Claude

Geneviève Lefebvre est l’auteur de deux romans noirs, Je compte les morts et La vie comme avec toi, tous deux salués par la critique. Son dernier roman, Va chercher, vient d’être acheté par la maison d’édition Robert Laffont, et sortira en France en avril 2015.

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