Gastronomie

Hot, le thé!

Depuis quelques années, l’engouement pour le thé ne cesse d’augmenter. Sencha, bai mu dan, thé à saveur de pâte à biscuits… L’orange pekoe a de la compétition!

David Segal et Herschel Segal. Photo par Simon Duhamel.

David Segal et Herschel Segal. (Photo : Simon Duhamel)

Décor moderne, couleurs ­acidulées : on est plus près de l’Apple Store ou de la ­boutique de mode que du ­traditionnel salon de thé. Comme tous les midis, on se bouscule dans les boutiques des Thés DavidsTea du centre-ville de Montréal. Les clientes – presque uniquement des femmes – rigolent, plongent le nez dans de grosses boîtes à thé, hésitent…

Il y a de quoi : elles peuvent choisir entre 150 produits, du classique English Breakfast au ludique Lisez sur mes lèvres (qui contient des petits bonbons en forme de bouche), en passant par l’exotique Chaï de Saigon. Mais que s’est-il donc passé dans le monde du thé ?

Il a été investi par les chaînes spécialisées. « Auparavant, seuls des mordus étaient propriétaires de boutiques de thé. Depuis quelques années, les grands entrepreneurs se sont emparés du marché. S’ils sont aussi des passionnés, ce sont d’abord et avant tout des gens d’affaires », dit Louise Roberge, présidente de l’Association du thé du Canada. Ils ont eu du flair : en 15 ans (de 1997 à 2012), les importations canadiennes de thé ont crû de 136 %, et sa consommation au pays a atteint 9,7 milliards de tasses par année.


L’entrepreneur visionnaire
David Segal
Copropriétaire, Thés DavidsTea
Au Québec comme au Canada, la vogue du thé porte une couleur, le turquoise, et un nom, David. David Segal avait 18 ans à peine quand il a démarré sa première entreprise – il faisait du porte-à-porte. Dix ans et un diplôme en administration des affaires plus tard, il s’associe à son cousin Herschel Segal, un octogénaire champion du commerce de détail (il a notamment fondé la chaîne de boutiques Le Château dans les années 1950). Ensemble, ils ouvrent la première ­succursale des Thés DavidsTea en 2008, à Toronto. Une deuxième suit rapidement, sur l’avenue du Mont-Royal, à Montréal.

Photo par Julie Artacho.

(Photo : Julie Artacho)

Le succès est éclatant. En six ans, plus de 130 boutiques verront le jour au Canada, dont une vingtaine au Québec, et aux États-Unis. Même Oprah Winfrey a succombé au turquoise. Après son passage au Centre Bell, au printemps 2013, elle tweete son appréciation du « Gâteau velours rouge » à ses 19 millions d’abonnés.

L’entreprise n’est pas la première chaîne spécialisée dans le thé, mais elle est certainement la plus innovatrice. « Avant nous, les commerces étaient de style anglais ou asiatique. On a voulu proposer un thé à la nord-américaine, c’est-à-dire amusant, moderne et accessible à tout le monde », relate David Segal.

La recette : des boutiques dans les centres commerciaux et sur les grandes artères, des ingrédients étonnants (bonbons, petits fruits, crème glacée) et un marketing d’enfer. On mise entre autres sur des séries limitées, telle la collection d’automne, qui comprend des thés et infusions aux noms évocateurs, comme Chaï citrouillé et Atoca toqué.

(Photo : Julie Artacho)

(Photo : Julie Artacho)

En comparaison, le compétiteur Teavana – moins présent au Québec, mais bien implanté dans le reste du Canada et aux États-Unis – paraît presque traditionnel, avec son image d’inspiration asiatique et ses pictogrammes de dragons et de pagodes. Cela n’a pas empêché Starbucks de mettre la main sur la chaîne à l’automne 2012. Oprah s’est d’ailleurs associée à la marque quelques mois plus tard pour commercialiser son propre mélange, l’Oprah Chai.

La tendance n’est pas près de s’essouffler. Quelque 45 % des Canadiens âgés de 20 à 29 ans boivent du thé au moins une fois par semaine, selon l’Association du thé du Canada. Et près du quart des jeunes de 13 à 19 ans leur emboîtent déjà le pas. On les voit partout, dans la rue et les centres commerciaux, déambulant infusion à la main.


Parmi les précurseurs
François Marchand
Copropriétaire, Camellia Sinensis
Quand il a commencé à travailler comme serveur à la maison de thé Camellia Sinensis, en 1998, François Marchand ne se doutait pas qu’il y serait toujours 15 ans plus tard. « J’étudiais en art dramatique. Le thé, c’est un accident de parcours », raconte-t-il. Tellement que, à l’époque, lui-même n’en buvait pas…

François Marchand (Photo : Julie Artacho)

François Marchand (Photo : Julie Artacho)

Les choses ont bien changé. En 2000, il s’est associé (en même temps que Jasmin Desharnais, aussi employé de la première heure) au fondateur Hugo Americi. Quatre ans plus tard, Kevin Gascoyne venait compléter le quatuor de propriétaires.

Au départ, le café et la chicha, ou narguilé (pipe à eau pour fumer du tabac), étaient également au menu, mais l’entreprise s’est rapidement concentrée sur le thé. Aujourd’hui, la carte en compte environ 250, en majorité des importations privées. « On connaît chaque producteur, on a visité chaque jardin de thé », dit François Marchand, qui voyage tous les ans en Chine centrale tandis que ses partenaires explorent l’Inde, le Japon et le Vietnam.

En 15 ans, la maison a acquis des connaissances étendues et un savoir-faire unique. Son livre Thé – Histoire, terroirs, saveurs (Les Éditions de l’Homme), ­véritable bible parue en 2009, est lu dans le monde entier. Il sera bientôt publié en coréen et en russe, et ses auteurs rêvent d’une traduction en mandarin.

(Photo : Julie Artacho)

(Photo : Julie Artacho)


Un marché en évolution
« À nos débuts, personne ne connaissait le thé », observe François Marchand, un des quatre propriétaires de Camellia Sinensis. Véritable pionnier, ce salon de thé s’est installé en 1998 dans le Quartier latin, à Montréal. « Depuis, le marché s’est démocratisé. Ici, nous avons déjà levé le nez sur l’earl grey ; nous misons maintenant un peu moins sur les produits haut de gamme. Et nous nous disons que chacun boit son thé à sa manière ! » Les clients savent ce qu’ils veulent. « On continue à servir des néophytes, mais plusieurs clients connaissent les différentes familles de thé. Ils ont des demandes précises, par exemple un thé faible en caféine ou fort en antioxydants. »

Évidemment, en cours de route, l’ancien serveur est devenu un fana du thé. « J’ai commencé par les saveurs “bonbons”, orange et épices, pour ensuite passer aux thés purs. » Parmi ses préférés ? Le long jing, un thé vert chinois. Au fil des ans, il a goûté au moins 1 000 thés différents. Il en boit d’ailleurs de un à deux litres par jour. « Ce n’est rien comparé à Kevin [Gascoyne]. Il a bu du darjeeling en courant un marathon ! »


Chasseuse de thés
Marika de Vienne
Fondatrice et directrice, Thé de cru
Marika de Vienne a le mot thé en mandarin tatoué sur le bras. « Je possède une trentaine de théières et j’ai toujours une soixantaine de variétés de thé à la maison », raconte-t-elle de sa chambre d’hôtel à Shanghai, où elle est en mission d’achat pour quelques semaines. « Comme on dit en anglais, j’ai un drinking problem ! »

Marika De Vienne (Photo : Julie Artacho)

Marika de Vienne (Photo : Julie Artacho)

Et ça ne date pas d’hier. Déjà, à six ans, elle prend le thé à l’anglaise avec sa grand-mère originaire de Trinidad. À neuf ans, elle goûte un thé chinois fumé lors d’une visite à la célèbre maison Mariage Frères, à Paris. Elle est renversée. « J’ai réalisé que ça ne se limitait pas à l’earl grey, mais qu’il y avait des centaines de saveurs. »

Elle nourrit cette passion pendant toute son adolescence. En 2004, quand ses parents, Ethné et Philippe de Vienne, importateurs d’épices bien connus, ouvrent les magasins Olives & Épices et La Dépense au marché Jean-Talon, à Montréal, elle leur suggère d’y vendre du thé. Les clients en redemandent. « En un an, on est passés de 6 à 147 variétés », dit-elle. À l’automne 2013, La Dépense subit une métamorphose « 100 % thé » : la boutique s’appelle maintenant Thé de cru et ne vend que des produits liés à cette boisson.

Marika de Vienne (Photo : Julie Artacho)

Marika de Vienne (Photo : Julie Artacho)

C’est en mettant le cap sur la Chine en 2007, à l’âge de 24 ans, que Marika est devenue chasseuse de thés. « Je partais pour six mois, je suis restée six ans. » Elle apprend le mandarin et se lance dans l’importation. Pour l’instant, sa collection comporte une soixantaine de variétés. Elle compose aussi les différents mélanges – souvent aromatisés d’épices – que l’on trouve à la boutique. « Réussir la bonne recette peut prendre du temps. D’ailleurs, il y a un thé au gingembre qui me donne du fil à retordre. Je m’y consacre dès mon retour ! »

À la nôtre !
« Depuis les années 2000, l’industrie a investi dans la recherche, remarque Louise Roberge, présidente de l’Association du thé du Canada. De nombreuses études ont démontré les bienfaits du thé contre les maladies cardiovasculaires et le cancer. » Le succès du livre Les aliments contre le cancer, de Richard Béliveau et Denis Gingras (Trécarré), dans lequel on vante les mérites du thé vert, s’est aussi fait sentir. Autrefois marginal, celui-ci compte maintenant pour 22 % des importations de thé au pays. Autre attrait : « Si on le boit sans lait ni sucre, le thé ne contient aucune calorie », ajoute Louise Roberge. À moins, bien sûr, d’opter pour un mélange au caramel salé ou un chaï au chili chocolaté !

 

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