Gin, vodka, rhum: les nouveautés au rayon de l'alcool québécois
Visite Domaine Pinnacle
Visite au Domaine Pinnacle
Qu’est-ce qu’on va faire de tous ces pommiers ? se sont demandé Charles Crawford et Susan Reid quand, au tournant des années 2000, ils ont acheté leur domaine de rêve, à Frelighsburg. Une fière demeure blanche surplombée d’une tourelle octogonale, sur fond de montagnes verdoyantes... « On a eu un coup de cœur pour cette maison datant de 1859 et pour cette vue », raconte le maître des lieux.
Produire du cidre de glace
Ce qui fait la beauté de l’endroit, c’est aussi un verger de pommiers presque centenaires occupant le tiers de la terre de 430 acres, sur le flanc sud du mont Pinacle. Comme la vente des pommes ne leur apparaît pas rentable, les nouveaux propriétaires décident d’entrée de jeu de transformer le fruit de leur récolte en cidre de glace, un alcool alors encore méconnu. Les citadins qu’ils sont apprivoisent donc la vie rurale et se lancent dans la cidriculture, en s’entourant d’une équipe talentueuse. En 2002, quand ils s’installent à temps plein à Frelighsburg, Charles abandonne son travail dans le domaine de la technologie pour se consacrer au développement de leur entreprise baptisée Domaine Pinnacle. Susan, professeure à l’Université Bishop’s, participe aussi activement à la gestion de ce projet familial.
Cidre de glace: l'explosion
En s’investissant dans cette aventure, un peu folle par moments – « au début, nous avions une boutique dans la maison », – le couple a eu du flair. Dans la dernière décennie, l’industrie du cidre de glace a explosé. Un demi-million de bouteilles sont produites annuellement au Québec, et les fabricants d’ici dominent le marché mondial. Les produits du Domaine Pinnacle représentent plus de 35 % des ventes de cette boisson à la Société des alcools du Québec, en plus d’être exportés dans une soixantaine de pays.
Saveurs nordiques
Leurs cidres de glace ont raflé de nombreuses médailles dans les concours internationaux, mais les propriétaires du Domaine Pinnacle ne se sont pas endormis sur leurs lauriers. Au fil des années, ils ont élargi leur offre à près d’une vingtaine de boissons, en mélangeant entre autres des éléments, par exemple la Crème de pommes, faite de cidre, de crème, de cidre de glace et d’eau-de-vie. Et ils ont senti venir une nouvelle tendance : les spiritueux locaux originaux. « Auparavant, à la SAQ, les gens choisissaient toujours les mêmes marques de gin ou de rhum, Beefeater ou Captain Morgan. Maintenant, il existe une clientèle qui cherche de plus en plus de boissons différentes », remarque Charles Crawford. Le Domaine Pinnacle s’est ainsi lancé dans la création d’alcools forts ayant une touche d’ici – plus précisément nordique. « Fabriquer des produits avec des ingrédients naturels et indigènes du Québec nous intéresse énormément », poursuit l’entrepreneur.
Gin d'Ungava
Dans le but de créer une version québécoise du gin, traditionnellement parfumé avec la baie de genévrier, l’équipe a répertorié et testé des dizaines de plantes aromatiques poussant sur le territoire entourant la baie d’Ungava. Six d’entre elles ont finalement été choisies, dont une baie de genévrier nordique. Cette composition donne au gin Ungava, commercialisé en 2012, son goût étonnant, végétal et mentholé, ainsi que sa robe jaune vif. Pour l’élaboration du rhum Chic Choc, lancé l’an dernier, on fait macérer dans un assemblage de trois boissons importées des Caraïbes des plantes et des racines provenant des monts Chic-Chocs, en Gaspésie : baies des cassinoïdes, poivre des dunes, myrique baumier, comptonie voyageuse, herbe aux anges et racine de céleri sauvage. Alors que la plupart des rhums épicés exhalent un arôme vanillé, nous sommes ici en territoire nettement plus boréal que tropical.
Vodka Quartz
Et pour produire la vodka Quartz mise sur le marché fin 2014, on distille plusieurs fois un alcool de grain canadien, pour ensuite le diluer avec de l’eau Eska, extraite d’une source d’Abitibi-Témiscamingue, réputée extrêmement pure. Ces alcools d’ici semblent plaire. La vodka Quartz a rapidement fait la manchette en raison de sa finesse – et en partie également à cause de la renommée de Lise Watier, associée au projet avec son mari, Serge Rocheleau. Et trois ans après sa création, le gin Ungava occupe déjà à la SAQ le deuxième rang dans la catégorie premium (ou haut de gamme), sur les talons du Bombay Sapphire de Bacardi, maison plus que centenaire reconnue à l’échelle de la planète.
Vers une Poire Williams québécoise?
Pour la suite des choses, ce ne sont pas les idées qui manquent au Domaine Pinnacle. En marchant dans le verger de Frelighsburg, on remarque par exemple, sous des filets noirs, des bouteilles accrochées aux branches de certains pommiers et à l’intérieur desquelles pousse une pomme. Le but est de produire un équivalent local de la Poire Williams.
L'avenir de l'alcool québécois
Plus tard, à Cowansville, dans le bâtiment abritant la fabrique de l’entreprise et ses bureaux, nous entrons dans une salle où plane un parfum capiteux de fruit et d’alcool ; un alambic distille du cidre de glace pour en faire une eau-de-vie. C’est la boisson que l’on embouteillera dans les flacons aperçus au verger – un produit que Charles Crawford espère commercialiser en série limitée avant le temps des fêtes. « Au Québec, il y a beaucoup à faire en matière de spiritueux, entre autres avec nos pommes et nos petits fruits, soutient-il. Nous n’en sommes qu’au début. »
Seulement à la SAQ… pour l’instant
Dans la boutique du Domaine Pinnacle, les bouteilles de cidre abondent. Mais en ce qui a trait aux spiritueux, on n’aperçoit qu’un seul flacon de chacun, sur une petite tablette en retrait. « Ils sont là uniquement à titre de référence. À l’intérieur, il n’y a que du liquide coloré », dit le propriétaire. Pourquoi ? Au Québec, il est interdit de vendre les boissons distillées là où elles sont fabriquées. Les distillateurs peuvent exporter leurs alcools forts sans problème, mais localement, l’unique détaillant est la SAQ – où il n’est pas toujours facile d’avoir une place sur les rayons. « Le droit de vendre directement aux consommateurs a beaucoup contribué à l’essor des vignobles et des cidreries. Les microdistillateurs québécois veulent maintenant obtenir une permission semblable », résume Charles Crawford.
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