Quand j'étais toute petite et qu'on me demandait quel métier je rêvais d'exercer lorsque je serais grande, je répondais «je veux faire des crêpes.» Toute la journée, cinq jours par semaine, à l'année. Le plus drôle dans tout ça, c'est qu'il s'agit d'un mets que je n'aime pas particulièrement cuisiner. Il me semble que ça fait beaucoup de vaisselle sale pour rien…
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Quand est venu le temps de choisir un champ d'études avant d'entamer le cégep, j'ai hésité. Sciences humaines ou sciences pures? Vers quelle discipline allais-je me tourner, une fois arrivée à l'université? Médecine? Droit? Relations publiques? Rien ne me tentait. J'ai visité l'orienteur en chef de mon école secondaire à quelques occasions sans grand succès. «Tu peux aspirer à occuper n'importe quel poste dans n'importe quelle entreprise, Joanie. Tes notes et tes efforts soutenus te le permettraient», m'a-t-il dit. Il avait raison. J'ai donc décidé d'écouter mon cœur plutôt que ma tête (ce qui n'a pas le moindrement du monde choqué mes parents, dois-je dire), et de m'inscrire au programme d'études cinématographiques.
Quelques années plus tard, alors que j'étais en train de terminer ma maîtrise en cinéma, j'ai commencé à écrire à la pige. «Alors, qu'est-ce que tu vas faire une fois que tu auras obtenu ton diplôme?», me demandaient mes copains. «Aucune idée!», répondais-je, agacée et toujours un peu plus angoissée. Je ne me voyais ni jouer les réalisatrices, ni les productrices, ni les scénaristes, ni les critiques... Qu'allais-je donc faire de ma vie? Dès que je m'arrêtais pour y penser, le stress envahissait illico mon corps tout entier. Je crois d'ailleurs que c'est à ce moment-là que j'ai commencé à souffrir d'anxiété.
Ô grand miracle, quelques mois avant la fin de mes études de deuxième cycle, on m'a offert un poste important dans un magazine féminin. Le genre de poste qui te met en charge de beaucoup de choses - des idées, du contenu, des dossiers, des journalistes pigistes... J'ai dit oui. Même si je n'avais pas l'expérience requise. Le stress m'a quittée, comme par magie. J'avais 22 ans.
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C'est à cette époque que j'ai réalisé qu'au fond, j'en avais, de l'ambition. À revendre, même. Que je voulais - non, non, que je DEVAIS - être la meilleure dans mon domaine. La plus efficace, la plus brillante, la plus compétente. La plus jeune, aussi. Que mon ambition avait simplement été ensevelie jusqu'ici sous un tas d'incertitudes, de doutes et de remises en question. Je rêvais de succès comme tout le monde, mais je ne savais trop où donner de la tête ni comment faire ma place.
J'ai gravi les échelons en un temps record - une grande fierté. J'étais entourée de femmes inspirantes, qui me poussaient à me surpasser et qui me transmettaient leur savoir avec une grande générosité. J'ai eu deux mentors en or. Le genre de personnes qui vous aident à avoir confiance en vous quand vous vous sentez complètement dépassé par les événements. Parce qu'on va se le dire, trop de femmes au pouvoir souffrent encore du syndrome de l'imposteur. J'étais l'une d'elles. Mais grâce à mes mentors, j'ai continué de dire oui aux promotions et de faire avancer ma carrière, le cœur toujours plus léger.
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Puis, un jour, j'ai perdu mon emploi. Comme ça, du jour au lendemain. Je me suis fait mettre à la porte, voilà la vérité. Et là, tout mon monde s'est écroulé. J'ai perdu tous mes repères, ma confiance, mon estime et, surtout, mon ambition. J'ai eu le cœur brisé. Le corps aussi. Mon anxiété a refait surface, puissance mille. J'ai beaucoup pleuré, arrêté de manger et mal dormi. Jusqu'au jour où j'ai décidé de revenir à la case départ. Peut-être m'étais-je trop dépêchée pour arriver à la ligne d'arrivée?
J'ai recommencé à écrire à la pige. Et, petit à petit, la confiance est revenue. L'appétit et le sommeil aussi. Même l'ambition a pointé à nouveau le bout de son nez. C'est d'ailleurs cette dernière qui m'a poussée à aller chercher de nouveaux clients. À faire ma marque dans le milieu du journalisme mode et beauté au Québec. À accepter avec grand plaisir d'écrire ce blogue, qui m'a apporté tant d'amour et de douceur dans la dernière année. À signer un contrat avec une grande maison d'édition pour la rédaction d'un livre portant sur la diversité corporelle.
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Aujourd'hui, j'ai beaucoup de pain sur la planche et je gagne bien ma vie ainsi. Les blessures - à ma carrière et à mon ego, surtout - sont toujours là, mais elles se cicatrisent.
Quand j'y repense, je me dis que de perdre ma job, c'est la meilleure chose qui aurait pu m'arriver. Parce que sans ça, je n'aurais jamais su de quoi j'étais capable. Je n’aurais jamais su que je pouvais me relever, même après un coup aussi dur, encore plus sûre de moi qu'auparavant. Je n’aurais jamais réalisé ces tonnes de projets plus palpitants les uns que les autres, poussée par la seule et unique force de mon ambition.
Parce qu'au fond, quand l'ambition va, tout va. Le reste se place tout seul comme une crêpe au fond d'une poêle.
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