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Couple et sexualité

Sexe : le devoir conjugal existe-t-il encore ?

Même quand on aime son conjoint, il arrive qu’on n’ait pas le goût de faire l’amour. Devrait-on faire un effort? La réponse, en apparence simple, se décline en plusieurs nuances sans, évidemment, que la notion de consentement soit bafouée.
Sexe : le devoir conjugal existe-t-il encore ? Photo: Stocksy/Matt and Tish

Annick Desrochers et son conjoint forment un jeune couple heureux. Deux enfants en santé, un bel appartement à Montréal, des projets enthousiasmants, de bons amis. Question sexe, par contre, on ne peut pas parler d’un climat torride: ils font l’amour une fois par mois… dans le meilleur des cas.

Un sujet de discorde entre eux? Même pas. Simplement, la sexualité n’exerce plus l’attrait des débuts. Au point où il arrive à cette blonde de 37 ans de se secouer un peu pour passer à l’acte, lorsqu’elle sent que son couple en a besoin. «Mon chum ne me met pas de pression. C’est moi qui me dis qu’il faudrait qu’on le fasse plus souvent. Je ne le vois pas comme une corvée. Faire l’amour fait toujours du bien et je suis contente que nous retrouvions nos petits clins d’œil complices le lendemain. Mais j’admets que l’envie n’est pas forcément là à 100% dès le départ», confie-t-elle.

Annick est loin d’être la seule à «faire un petit effort». Selon un sondage CROP-Châtelaine mené en octobre 2018, les trois quarts des Québécois en couple, hommes ou femmes, affirment qu’il leur est arrivé un jour ou l’autre de se forcer à avoir des relations sexuelles. Mais une femme sur cinq admet se contraindre «régulièrement».

Les conjoints exercent-ils de la pression? En fait, bien souvent, la pression vient des femmes elles-mêmes. Rosalie Bonenfant a abordé cette question dans une chronique radio (au 107,3 Rouge), à l’automne 2017. Cette jeune comédienne de 22 ans y racontait, un sanglot dans la voix, la culpabilité qui l’a envahie lorsqu’elle a refusé de faire l’amour avec son conjoint un matin où elle n’en avait pas envie. Malgré ses convictions féministes et le fait que son amoureux n’exigeait rien d’elle, elle avait l’impression d’être une mauvaise blonde.

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«Rationnellement, j’étais capable d’expliquer que respecter mes désirs était la chose à faire. Mais émotionnellement, je me sentais coupable. Cette conviction qu’on devrait se donner à son chum si on l’aime est tellement ancrée en nous», souligne-t-elle.

Dans les heures qui ont suivi sa diffusion, la chronique est devenue virale sur les réseaux sociaux. Des dizaines de femmes lui ont avoué qu’elles ressentaient cette culpabilité. «En général, nous n’arrivons même pas à déterminer clairement notre malaise. Des amies m’ont confié avoir réalisé qu’elles avaient parfois des relations sexuelles sans même se demander si elles le désiraient vraiment.»

Les femmes ont-elles moins de libido que les hommes?

Les femmes auraient moins de libido que les hommes, selon Sophie Bergeron, psychologue et chercheuse spécialisée en sexualité. Mais cette différence n’aurait rien de biologique. «De tous les troubles liés au sexe, le manque de désir est celui sur lequel la biologie a le moins d’impact. Contrairement à la dysfonction érectile, par exemple, on n’y associe aucune cause mécanique corporelle.» L’organisation domestique et les tâches ménagères, prises davantage en charge parles femmes, pourraient-elles contribuer à désintéresser celles-ci de la chambre à coucher? C’est un facteur, selon la psychologue Marie-Pier Vaillancourt-Morel, mais les femmes sont surtout moins habituées à écouter leurs désirs. «Et je ne parle pas seulement de désir sexuel. J’ai des clientes qui ne savent pas ce qu’elles voudraient faire comme loisir ou ce qu’elles aimeraient manger. Elles sont si habituées à ne penser qu’aux autres qu’elles ne sont plus connectées à ce qui leur fait plaisir, à elles.» Pour la sociologue Chiara Piazzesi, c’est peut-être aussi parce que la culture populaire fait bien peu de place au désir féminin. «Dans les films, les livres, la musique, c’est en général l’homme qui séduit, qui désire», observe-t-elle. La femme, elle, ne fait qu’être désirée. Qu’on le veuille ou non, cette façon de concevoir les rapports entre les genres influence la manière dont les femmes se perçoivent elles-mêmes.

La dictature de la performance

La culpabilité qui ronge certaines femmes serait-elle un dernier relent de l’époque de nos grands-mères, que la religion contraignait au devoir conjugal, donc à ne jamais se refuser à leur mari?

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Malgré l’évolution des mœurs, l’idée que notre partenaire masculin doit avoir accès à notre corps comme il le veut reste présente, estime Chiara Piazzesi, sociologue et professeure à l’Université du Québec à Montréal. «Cela explique, du moins en partie, que certaines femmes se sentent tenues de faire un effort pour le satisfaire», dit-elle.

Elle ajoute toutefois qu’une forme de dictature de la performance joue aussi un rôle considérable dans cette pression que ressentent les femmes, même les célibataires. Car il est de bon ton, dans notre société, d’afficher une sexualité épanouie, qui passe prétendument par des rapports fréquents. «La vie sexuelle est devenue la mesure de la valeur d’une personne ou du bonheur d’un couple.»

Sarah* a pu le constater à son premier rendez-vous médical postnatal, huit mois après avoir accouché. Inquiète de son manque de libido, elle s’en est ouverte à une infirmière… qui lui a répondu que son mari n’allait pas patienter éternellement! Selon elle, Sarah devait se forcer, sinon il irait voir ailleurs. «Je m’attendais plutôt à recevoir un avis médical! Heureusement, j’étais assez sûre de moi et j’avais confiance en mon conjoint. Je trouve cette mentalité totalement arriérée, mais cette conversation m’a bouleversée. Quelqu’un de plus fragile aurait peut-être suivi son conseil.»

Non seulement est-il crucial d’écouter son intuition, mais également de ne jamais se comparer, surtout pas à ceux et celles qui prennent plaisir à parler constamment de leurs nombreux ébats. Une déformation de la réalité, croit Chiara Piazzesi. «Ces gens qui évoquent leur sexualité très active le font ouvertement puisqu’on a l’illusion que c’est la normalité. C’est beaucoup moins populaire de dire qu’on ne fait pas l’amour souvent. Ça risque même d’être perçu comme un problème.»

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Nos voisins du Sud ne font pas mieux que nous et cultivent des idées préconçues farfelues. Ainsi, les Américaines de 18 à 29 ans, qui ont en moyenne 6 relations sexuelles par mois, sont convaincues que les autres femmes en ont 12, révèle un sondage de l’Institut Ipsos mené en septembre 2018 auprès de plus de 1 000 Américains. Les jeunes hommes surestiment encore davantage la réalité: selon eux, les femmes font l’amour 23 fois par mois!

Au masculin

Près de trois hommes sur quatre (72%) font parfois un effort pour avoir une relation sexuelle avec leur conjointe, selon un sondage CROP-Châtelaine mené en octobre 2018. Presque autant que les femmes (75%), en fait! Et 28% d’entre eux affirment que cela leur arrive régulièrement. Des chiffres qui ne surprennent pas la sexologue Geneviève Labelle, qui reçoit de plus en plus d’hommes en consultation à ce sujet. «Pour eux, c’est peut-être même plus difficile à vivre que pour les femmes. Ils voient ça comme une atteinte à leur masculinité. Et pourtant, ce n’est pas parce qu’ils sont des hommes qu’ils sont censés avoir le goût tout le temps», souligne-t-elle. Si 40% des Canadiennes de 40 à 59 ans voudraient avoir une libido plus active, c’est également le cas de 30% des hommes de cet âge, selon une étude de l’Université de Guelph, en Ontario, parue en août 2018. Le phénomène est donc loin d’être uniquement féminin, mais ce sont les femmes qui culpabilisent le plus, croit plutôt la chercheuse Sophie Bergeron. «Leur manque de désir leur fait vivre davantage de détresse. C’était très flagrant dans notre recherche sur les femmes souffrant de douleurs vaginales. Toutes se sentaient inadéquates et coupables de ne pas pouvoir satisfaire les besoins de leur conjoint.

Sur la même longueur d’onde

En fait, la fréquence des rapports sexuels ne constitue pas un problème en soi. C’est lorsqu’il y a asymétrie de désir, c’est-à-dire si l’un des deux membres du couple a une libido plus active que l’autre, que la notion de devoir conjugal refait surface, note Marie-Pier Vaillancourt-Morel, psychologue et chercheuse en sexologie à l’Université de Montréal. Cette situation, qui touche quatre couples sur cinq, survient en général après quelques années, quand la passion première se calme et que la libido naturelle de chacun reprend le dessus.

Les résultats du sondage CROP-Châtelaine témoignent de la réalité des désirs asymétriques: moins d’un an après la formation de leur couple, 69% des répondants se forcent parfois à faire l’amour avec leur conjoint; une proportion qui monte à 79% après un an, et à 86% après six ans!

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Même les partenaires dont le désir est en général synchronisé vont connaître des périodes d’asymétrie. «Celles-ci risquent de survenir un jour dans à peu près tous les couples, puisque la libido fluctue constamment en fonction de notre humeur, de nos hormones, des médicaments que nous prenons, de nos expériences, par exemple, si nous traversons un deuil ou devenons parent…» souligne la psychologue.

À lire aussi: La libido au labo

Dans certains contextes, il peut être tout à fait acceptable de faire l’amour sans en avoir vraiment envie, d'après Amy Muise, chercheuse et professeure de psychologie à l’Université York, à Toronto. Mais à certaines conditions. «On a découvert que les gens qui s’engageaient dans une relation sexuelle en ayant des objectifs positifs – comme se rapprocher de leur conjoint ou lui faire plaisir – en retiraient plus de satisfaction que ceux qui le faisaient pour des raisons négatives, comme la peur d’être trompés ou la volonté d’éviter un conflit. Ces derniers étaient moins satisfaits de leur couple et ressentaient moins de désir», soutient-elle.

Sachant cela, on ne peut pas condamner celles qui disent se forcer à faire l’amour. «Il ne nous viendrait pas à l’idée de refuser de fréquenter les amis de notre conjoint ou de ne pas lui rendre service, par exemple, même si ça ne nous tente pas trop. Je crois que cette sensibilité peut s’appliquer à la sexualité», fait-elle valoir.

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Répondre aux besoins de l’autre, y compris ceux d'ordre sexuel, apporterait donc du bonheur si nos dispositions sont positives. À l’opposé, se contraindre à faire l’amour pour des raisons négatives aurait non seulement un impact nuisible sur la personne qui se sacrifie, mais aussi sur son partenaire. «Quand quelqu’un prend l’habitude d’avoir des relations sexuelles par peur de l’abandon ou des disputes, on observe une baisse de la satisfaction de son partenaire, qui peut même montrer des symptômes dépressifs», dit Amy Muise.

Sexe : le devoir conjugal existe-t-il encore ? Photo: Getty Images / Onoky / Eric Audras

La force de l’empathie sexuelle

Un trait de caractère particulier rendrait les gens plus attentifs aux besoins de l’autre et les motiverait à les combler: la force empathique sexuelle, que les anglophones nomment sexual communal strength. Cette attitude ferait toute la différence entre un couple épanoui et un autre qui bat de l’aile, estime Sophie Bergeron, professeure de psychologie et directrice du Laboratoire d’étude de la santé sexuelle à l’Université de Montréal.

«On l’a d’abord constaté dans une recherche portant sur les couples dont la femme souffrait de douleurs vaginales. Pendant les entrevues, on notait l’attitude du conjoint, tant dans ses gestes que dans ses paroles. Celles qui avaient un amoureux compréhensif étaient beaucoup plus satisfaites de leur sexualité et de leur couple, et éprouvaient davantage de désir», indique-t-elle. Cette découverte lui a donné l’idée de vérifier si la complicité amoureuse et l’empathie entre les partenaires revêtaient la même importance dans un couple qui n’était confronté à aucune dysfonction sexuelle. Résultat? Oui: il y a un lien direct entre complicité amoureuse et bien-être sexuel.

Autant d’hommes que de femmes présentent cette force empathique sexuelle, selon Amy Muise, mais celle-ci s’exprimerait de façon différente selon le genre. «On a constaté que les femmes empathiques avaient davantage tendance à accepter d’avoir une relation sexuelle sans en avoir particulièrement envie. Les hommes empathiques, quant à eux, adaptaient plutôt leur manière de faire l’amour, en privilégiant les positions ou les pratiques préférées de leur conjointe», précise la chercheuse.

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Cela ne signifie pas que les personnes qui ont une grande empathie sexuelle consentent toujours à faire l’amour. Toutefois, lorsqu’elles refusent, elles le font avec le souci de ne pas blesser leur conjoint. «Dans leur façon d’exprimer leur refus, elles font en sorte qu’il se sente aimé et désiré quand même. Les deux membres du couple demeurent donc satisfaits et heureux.»

Amy Muise insiste: pour que l’empathie sexuelle améliore réellement le bonheur d’un couple, elle doit être réciproque. Être attentif aux besoins de sa ou son partenaire implique aussi de respecter son refus. «C’est crucial. Les gens qui font preuve d’une empathie sexuelle forte et qui sont motivés à satisfaire leur conjoint s’attendent à recevoir autant d’attention de sa part. S’ils se dévouent au détriment de leurs propres besoins, ils tombent dans l’abnégation, un comportement qui n’apporte pas un bien-être accru», nuance-t-elle.

Cercle vicieux

À trop se forcer, on pourrait se lasser. C’est ce qu’affirme Jim Pfaus, psychologue et chercheur en neurosciences à l’Université Concordia. Dans son laboratoire, il a en effet constaté que les rates qui avaient des relations sexuelles non satisfaisantes – les signaux de plaisir dans leur cerveau avaient été bloqués avec un médicament – se désintéressaient rapidement des mâles. «C’est simple: le plaisir dirige le désir. Si on n’a pas de fun à faire quelque chose, on n’aura pas le goût de s’y remettre», explique-t-il. Bien sûr, les humains sont beaucoup plus complexes que les rats. «Le sexe sans plaisir aura un impact, mais il ne s’agit que d’un facteur parmi d’autres», nuance la sexologue Geneviève Labelle

Et si c’était un viol?

Karine*, 44 ans, sait jusqu’où peut mener cet oubli de soi. «Mon ex me mettait beaucoup de pression pour qu’on ait des relations sexuelles au moins trois fois par semaine, raconte-t-elle. Pour lui, c’était essentiel à une bonne vie de couple. Autrement, il se mettait en colère, menaçait de me quitter. On avait plein de projets et je l’aimais, mais à un moment donné, je me suis dit que c’était assez et je l’ai laissé. Après avoir passé plus de trois ans à me forcer à faire l’amour, j’en ai gardé des séquelles», avoue-t-elle.

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Karine décrit ce qu’elle a vécu comme du chantage émotif, mais pour la sexologue Geneviève Labelle, son histoire correspond plutôt aux critères du viol conjugal. «Dès qu’il y a menace ou manipulation, on ne peut pas dire que le consentement est éclairé. Même si Karine finissait par accepter, on peut considérer qu’il s’agissait d’agressions.» Et les conséquences de faire fi de son propre désir aussi longtemps sont bien réelles. «Ça peut aller jusqu’à provoquer une aversion envers le sexe, un dégoût», poursuit-elle.

Après un certain temps, Karine a réussi à retrouver une libido normale avec un nouveau conjoint. Heureuse en couple, elle a tout de même dû se contraindre à nouveau à faire l’amour un peu sur commande, cette fois parce qu’ils essayaient d’avoir un enfant – qu’ils ont finalement eu. «Ç’a été la goutte qui a fait déborder le vase. J’ai été vidée de toute mon énergie. Cela s’est produit il y a déjà quelques années, mais je n’ai pratiquement plus de désir encore maintenant. Heureusement, mon chum actuel est compréhensif et ne me bouscule pas.»

Il ne faut pas perdre de vue qu’un couple qui ne fait pas souvent l’amour ne va pas forcément mal, rappelle la sexologue Geneviève Labelle. «L’important, c’est de s’assurer que cette situation ne cache pas d’autres problèmes. La sexualité peut en effet agir comme un signal d’alarme qui prévient que quelque chose cloche ailleurs. Tout le monde est content? C’est tout ce qui compte.»

Tout ne part pas du désir

Désir, excitation, plateau, orgasme, résolution. C’est l’ordre chronologique officiel des étapes de la réponse sexuelle.Il arrive néanmoins que le désir n'ouvre pas toujours le bal, selon Marie-Pier Vaillancourt-Morel, psychologue et chercheuse en sexologie à l’Université de Montréal. «Chez la femme, les phases de désir et d’excitation peuvent se rapprocher au point de se chevaucher, si bien que le désir peut se manifester après un début d’excitation», explique-t-elle. Quelques baisers dans le cou peuvent donc suffire à réveiller l’appétit sexuel. Envie de stimuler le désir de cette façon? «Pourquoi pas? dit la sexologue Geneviève Labelle, à condition que le message au partenaire soit très clair. La femme doit être à l’aise de tout arrêter si ces baisers ne déclenchent rien. Si elle se sent obligée d’aller jusqu’au bout chaque fois qu’elle et son partenaire commencent à se coller, il y a de fortes chances qu’elle se mette à fuir la moindre caresse.

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*Les prénoms sont fictifs.

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