Psychologie

Le syndrome prémenstruel (SPM) est-il un mythe?

Dans son ouvrage intitulé The Hormone Myth, Robyn Stein DeLuca explique comment nous avons intériorisé des croyances négatives à propos de notre corps et de nos comportements.

 

Robyn Stein DeLuca, auteure de l’ouvrage The Hormone Myth. Photo: Alyssa Peek

Robyn Stein DeLuca, auteure de l’ouvrage The Hormone Myth. Photo: Alyssa Peek

À en croire les innombrables vidéos sur YouTube dans lesquelles les filles parlent avec humour de leurs règles, ou les déclinaisons infinies du stéréotype de la femme hystérique en proie à ses hormones, les femmes qui ont leurs règles seraient tout simplement incapables de fonctionner mentalement – et encore moins d’être laissées aux commandes d’un poste important. En outre, les hormones nous rendraient apparemment déprimées et agressives après l’accouchement, malheureuses et instables en période de ménopause.

Toutefois, les études menées depuis les années 1990 fournissent une bien mince preuve de l’effet majeur que les hormones peuvent avoir sur l’état émotif des femmes pendant leurs règles. La psychologue et professeure new-yorkaise Robyn Stein DeLuca travaille depuis plus de 10 ans sur la dépression post-partum et la santé des femmes. Dans son plus récent ouvrage, The Hormone Myth, elle met en cause la façon dont notre culture attribue aux hormones le poids des frustrations personnelles légitimes des femmes et le fait qu’on nie la véritable dépression en l’interprétant comme de simples changements d’humeur. (L’auteure a d’ailleurs donné une conférence TED sur le SPM.)

Nous avons discuté avec Robyn Stein DeLuca de ce qu’elle considère comme une idée reçue qui, depuis longtemps, cause du tort aux femmes, et lui avons demandé comment elle voit l’anxiété, la déprime ou l’irritabilité qui affectent de nombreuses femmes à l’approche de leurs règles.

Pourquoi avoir écrit ce livre?

Je veux encourager les gens à avoir un esprit critique quand ils lisent ce qu’on écrit à propos du SPM. Je veux qu’ils sachent que la recherche médicale ne démontre pas l’existence de troubles mentaux généralisés chez les femmes dont les taux d’hormones fluctuent, et je souhaite que les femmes soient généreuses avec elles-mêmes et entre elles lorsqu’elles expriment des émotions négatives.

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Pour de nombreuses femmes qui ressentent des symptômes liés à leurs règles, le SPM semble bien réel. Qu’y aurait-il de mauvais à accuser ses hormones pour la façon dont on se sent ?

Cela m’attriste que les femmes aient l’impression que leur corps les trahit, ou qu’elles ne peuvent se faire confiance. Cela les empêche de comprendre ce qu’elles vivent réellement, en plus de fournir aux autres un moyen facile d’expliquer toute forme de colère ou de désaccord que les femmes peuvent manifester à leur égard. Par exemple, certaines femmes ont la larme à l’œil ou sont d’humeur taciturne après avoir donné naissance. La plupart du temps, ça passe tout seul, mais si cet épisode dépressif dure plus de deux semaines, qu’elles ressentent du désespoir, de la tristesse, de l’épuisement, que rien ne leur fait plaisir, il s’agit d’une dépression post-partum. Les hormones ne sont pas seules responsables.

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Comment expliquez-vous alors que certaines femmes font une dépression post-partum?

Je crois qu’il est beaucoup plus pertinent de se demander si elles étaient déprimées avant la naissance de leur bébé. De regarder quelle est leur situation à leur retour à la maison. Ont-elles une bonne relation avec leur conjoint? Reçoivent-elles du soutien de la part de leur famille et de leurs amis? Ces aspects ont une importance beaucoup plus grande.

Pourquoi ne remettons-nous pas en question l’idée que «les femmes sont très émotives à cause de leurs hormones»?

Parce que cette explication est partout, et que les femmes ont fini par l’assimiler. Dès la 5e année du primaire, les filles se font offrir de petits paquets des fabricants de tampons et de serviettes hygiéniques qui leur disent: «Il se peut que vous soyez sujettes à des sautes d’humeur pendant vos règles». Elles se font dire dès leur jeune âge que les changements d’humeur sont une chose normale à laquelle elles doivent s’attendre. La représentation de la femme irrationnelle, démente, incontrôlable à cause de ses hormones est reprise au cinéma, à la télé, sur Internet.

Il existe également toute une industrie qui offre de prétendus traitements du SPM. Les uns et les autres diront qu’il faut faire de l’exercice, suivre une diète particulière ou payer pour recevoir de l’aide. Pendant très longtemps, la profession médicale a abordé le processus reproducteur de la femme du point de vue de la maladie. Comme si la ménopause n’était pas une diminution normale des hormones, mais une déficience qui devait être traitée.

Quand Hillary Clinton faisait campagne pour se faire élire à la présidence des États-Unis, l’auteure d’une chronique du magazine Time a écrit que c’était vraiment génial que la candidate soit en postménopause: elle pourrait être présidente sans qu’on ait à craindre toutes sortes de sautes d’humeur. Quelle chose odieuse à dire! D’abord, Hillary Clinton a fonctionné à plein régime tout au long de sa vie. Mais laisser entendre qu’on ne peut pas compter sur une femme pour occuper un poste de pouvoir tant qu’elle n’est pas en postménopause? C’est ridicule!

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Quand je me sens soudainement triste ou en colère avant mes règles, ce n’est pas à cause de mes hormones?

Les hormones du système reproducteur peuvent causer des symptômes physiques ou émotifs, mais pas des troubles mentaux. Il n’existe pas de SPM généralisé; il n’y a pas des tonnes de femmes qui se retrouvent déprimées à cause de leurs hormones.

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Qu’entendez-vous par là? Prétendez-vous que le SPM n’existe pas?

Le SPM est associé à tellement de symptômes possibles que son nom ne veut plus rien dire. En l’absence d’une définition normalisée du phénomène, différentes études ont conclu à des estimations selon lesquelles il toucherait entre 5 % et 97 % des femmes. On pouvait aussi bien dire qu’une très petite minorité ou que la grande majorité des femmes souffraient du SPM. La recherche n’avait rien de scientifique, alors les psychologues sont parvenus à s’entendre sur 11 symptômes qui indiqueraient qu’une personne puisse être sujette au trouble dysphorique prémenstruel [qui figure maintenant au Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux]. On a établi des critères très précis quant aux personnes susceptibles de recevoir le diagnostic. Elles doivent en souffrir depuis au moins deux ou trois cycles consécutifs, et le trouble doit compromettre leur fonctionnement dans leur couple ou leur travail. Le psychologue doit également s’assurer que les symptômes ne sont pas liés à un autre trouble existant. Une fois tous les critères restrictifs appliqués, les chiffres sont bien moindres, soit de l’ordre de 3 % à 8 %. On peut donc dire que le trouble existe pour une petite minorité de femmes.

Donc, de quoi peut-on tenir les hormones pour responsables?

Les hormones exercent indéniablement une certaine influence sur le plan psychologique; les personnes en processus de transformation transgenre en reçoivent et signalent souvent se sentir différentes lorsqu’elles reçoivent les hormones du sexe qui n’était pas le leur à la naissance. Le syndrome des ovaires polykystiques est de toute évidence aggravé par les fluctuations des hormones, qui causent beaucoup de douleur aux femmes atteintes, et appelle nécessairement un traitement.

Que pensez-vous des mesures d’accommodement donnant droit à un «congé menstruel»?

Certaines femmes ont des crampes tellement douloureuses qu’elles ont besoin d’une journée de congé, mais elles ne sont pas nombreuses. La question mène à la controverse. On veut reconnaître la réalité de certaines femmes, mais quel est le coût d’une telle mesure appliquée à l’ensemble des femmes? Je crois que de laisser circuler la croyance que les femmes sont tellement affectées par leur cycle menstruel qu’il y a des jours où elles ne devraient pas participer à des réunions ou prendre de décisions importantes leur cause un important préjudice. Les femmes sont capables en tout temps; le jour du mois ou le stade de leur vie importe peu au regard de leur aptitude réelle à fonctionner.

 

Conférence TED de Robyn Stein DeLuca sur le SPM (avec sous-titres français)

 

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