C’est un peu par hasard, à la simple suggestion d’une amie, que la journaliste française Pascale Senk (Le Figaro) a plongé dans l’œuvre des grands maîtres japonais du haïku – ce bref poème de quelques syllabes déclinées sur trois lignes qui, à la façon d’un cousin éloigné de la photographie, nous invite tantôt à observer la beauté de la nature, tantôt à y trouver la place qui nous revient:
Me voilà
là où le bleu de la mer
est sans limite
(Santoka)
Sous les fleurs des cerisiers
personne
n’est vraiment un étranger
(Issa)
Fascinée et grandement apaisée par la découverte de ce genre singulier, la journaliste n’a pu s’empêcher de l’étudier de fond en comble, histoire d’en percer les mystères. Elle lui a trouvé au passage de nombreuses vertus. Lire des haïkus aiderait à se recentrer et à oublier son ego, ne serait-ce que quelques secondes. En écrire permettrait par ailleurs d’exprimer des non-dits, de cristalliser des sentiments et des sensations qu’on voudrait ne jamais oublier.
«[Les haïkus] sont devenus pour moi des points d’appui dans le chaos du monde, des alliés dans ce que j’oserais appeler ma quête de conscience […] Avec [le haïku], on se sent soudain, et pour un bref instant, plus vivant», écrit-elle dans son ouvrage L’effet haïku, où elle nous convie à une thérapie par le haïku dénuée de toute prétention.
Vous dites que le haïku vous a appris à avoir une vie plus poétique. Comment cela se traduit-il?
En tant que journaliste, j’ai tendance à toujours vouloir tout intellectualiser. Le haïku me fait plutôt habiter mon corps et mes sens: il me fait sentir, voir autrement. Il m’aide à développer une vision du monde dénuée de tout jugement. Depuis que j’en suis adepte, je suis davantage sensible et attentive aux autres, je m’ancre plus dans le moment présent.
Vous dites que les neurosciences confirment les nombreux bienfaits que peuvent avoir la lecture ou l’écriture du haïku. De quelle façon?
Sa construction rythmique se base sur le rythme de notre respiration, et sa rédaction fait appel à la fois à la moitié droite et à la moitié gauche de notre cerveau – ce qui est très calmant. De la même façon que la méditation pleine conscience, il permet d’accroître notre niveau d’attention et s’avère souvent un moyen thérapeutique efficace pour les gens dépressifs, anxieux, insomniaques ou encore hyperactifs.
Le haïku évoque plusieurs courants de pensée actuellement en vogue: le minimalisme, le désencombrement… Avez-vous constaté qu’il gagne en popularité?
Absolument. En France, on voit de plus en plus apparaître des ateliers d’écriture de haïkus ou des associations de haïkistes. De même, l’écriture de haïkus est souvent enseignée aux écoliers. Le web permet aussi d’échanger entre haïkistes à travers la planète. J’ai d’ailleurs découvert que les Suédois en sont de grands adeptes!
Bien qu’il s’agisse d’un art datant de plusieurs siècles, il semble qu’on ait plus que jamais besoin du haïku…
Je crois que oui. C’est un peu la découverte que j’ai faite en menant mon enquête. En cette ère de surstimulation et de surconsommation, le haïku nous donne des leçons pour revoir notre mode de vie. Il touche à quelque chose d’essentiel: il fait l’éloge de la simplicité. Il nous rappelle qu’il suffit de peu pour être heureux, nous invite à mettre en question notre rapport à la planète, à comprendre notre place dans le cosmos, à trouver l’état d’émerveillement. Il invite au shiori, c’est-à-dire à avoir de la sympathie pour le monde et les êtres.
Quelle est la marche à suivre pour les novices qui souhaitent s’initier à cet art?
D’abord, je crois qu’il faut en lire énormément, afin de bien comprendre le genre. On peut ensuite recopier nos haïkus favoris pour s’amuser à les pasticher. J’encourage les débutants à tenir un carnet où noter leurs observations quotidiennes, les instants qui les touchent ou les surprennent: on peut généralement y puiser de l’inspiration. Dans tous les cas, il ne faut surtout pas plonger dans cet exercice avec l’ambition de devenir un grand poète. Le haïku invite à faire fi de l’ego. Vous pourrez en écrire des dizaines et des dizaines avant d’en avoir un qui vous plaise réellement… et ce n’est pas grave!
Vous encouragez les parents à initier les enfants au haïku. À partir de quel âge?
On peut en lire avec eux avant le coucher dès l’âge de quatre ans, et les encourager à nous dire ce que ces textes évoquent pour eux. Lorsqu’ils seront plus grands, on pourra leur proposer de partir en promenade en notant des idées puis écrire un haïku avec eux à notre retour à la maison. Pour moi, le haïku est l’antidote aux écrans par excellence. Et je pense qu’on n’a pas fini de lui trouver des bénéfices.
L’effet haïku, de Pascale Senk, Éditions Le jour, 27,95 $