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Les défis d’avoir un enfant différent: l’histoire d’Henri-Louis et de Vânia

«Travail», dit fièrement Henri-Louis, en montrant sa carte d’identité de Loto-Québec. Ce mot, l’un des 124 qu’il sait prononcer, a changé sa vie et ses perspectives d’avenir. Car les jeunes qui, comme lui, sont atteints d’une déficience intellectuelle n’ont en général pas accès à un emploi. C’était du moins le cas avant que sa mère, Vânia Aguiar, ne s’en mêle.

Photo: Isabelle Bergeron

Dans un bureau du siège social de Loto-Québec, au centre-ville de Montréal, Henri-Louis Aguiar-Carrier, 22 ans, glisse des feuilles dans une déchiqueteuse, une à une, ponctuant parfois ses gestes d’un «Bravo!». «C’est un grand progrès pour lui. Avant, je devais plier les feuilles en deux, car il n’arrivait pas à les placer correctement», explique son accompagnatrice, Venyse Rowe.

Dans la même pièce, d’autres jeunes handicapés intellectuels s’affairent. Ils viennent de parcourir les trois étages où ils sont chargés d’arroser les plantes, de nettoyer les salles de réunion et de remplir de feuilles les imprimantes. Partout, des pictogrammes leur rappellent le chemin qu’ils doivent emprunter et les tâches à accomplir.

«Tout le monde veut les avoir sur son étage. Ils débordent de joie de vivre, ils nous apportent tellement!» fait valoir Caroline Vallières, conseillère en responsabilité sociale à Loto-Québec.

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Les jeunes tirent eux aussi beaucoup de leur expérience – motricité fine, habiletés sociales, sens de l’orientation, concentration. En passant trois jours par semaine au Centre Champagnat, un établissement scolaire pour adultes, et deux à Loto-Québec, les 16 participants à ce projet pilote développent à leur rythme des capacités qui leur permettent de gagner en autonomie et de mieux s’intégrer à la société.

Un stage unique

Cette nouvelle formule représente une occasion en or pour eux, leurs autres perspectives d’avenir n’étant guère reluisantes.

À partir de 21 ans, ils sont exclus de l’école, mais ils requièrent trop de soins pour un centre de jour. Les parents se retrouvent devant un choix déchirant: laisser leur emploi pour s’occuper de leur enfant ou le placer.

«Quand on sait que les jeunes perdent leurs acquis après seulement trois semaines à la maison, aucune de ces options n’est acceptable», souligne Vânia Aguiar, qui a fait du bien-être de son fils cadet le combat de sa vie.

Il existe des «plateaux de travail» pour des personnes handicapées ou atteintes d’une déficience intellectuelle dans certaines entreprises – elles y effectuent des tâches manuelles simples sous supervision en échange d’un montant symbolique. Mais, Henri-Louis, qui a besoin d’aide pour aller aux toilettes, s’habiller ou se déplacer ne peut y avoir accès.

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Comment permettre à Henri-Louis et ses amis d’apprendre à leur rythme tout en continuant à aller à l’école, afin qu’ils possèdent un jour les compétences pour fréquenter un plateau de travail classique? Vânia a interpellé la Commission scolaire de Montréal, le Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal et Loto-Québec pour créer un plateau de travail-stage. Tous trois ont accepté de puiser dans leurs coffres pour la première année du projet. Mais, pour le poursuivre sur cinq ans, il leur fallait obtenir de la ministre déléguée à la Réadaptation, à la Protection de la jeunesse, à la Santé publique et aux Saines habitudes de vie, Lucie Charlebois, la subvention de 131 000 $ par an qu’ils demandaient. Ce qui a finalement été accordé en juin.

Le projet pilote fait ses preuves. Tous – l’entreprise comme les participants – en sortent gagnants. Vânia Aguiar le constate bien à la maison. «Un soir, alors que nous étions en train de souper et de nous raconter notre journée, Henri-Louis a levé la main pour parler. Lui aussi avait quelque chose à dire. On a senti toute sa fierté. C’était un moment merveilleux», raconte-t-elle. Ce sentiment d’accomplissement, cette intégration, c’est ce qu’elle a toujours souhaité pour son fils.

Sous son aile

«On a compris rapidement qu’Henri-Louis avait un retard de développement. Ma mère m’a alors dit que cet enfant-là n’était pas venu dans notre maison sans raison. Elle a affirmé qu’il allait devenir mon projet de vie, ma mission. Elle avait raison.»

Mais pour Vânia Aguiar, cette mission ne concerne pas uniquement son garçon, elle s’étend à tous ceux qui lui ressemblent. «Lorsqu’il est entré au primaire, à l’école Saint-Pierre-Apôtre, j’ai constaté que le personnel était dévoué et les élèves, heureux, mais que les experts et le matériel éducatif pour favoriser le développement des jeunes déficients manquaient», se souvient-elle.

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En discutant avec d’autres parents, elle a réalisé que plusieurs n’avaient ni le temps ni l’énergie de se battre pour obtenir les services d’un orthophoniste, d’un ergothérapeute ou d’un physiothérapeute. «J’ai visité plusieurs familles pour voir quels étaient leurs besoins et j’en suis souvent ressortie en pleurant à chaudes larmes. Je ne pouvais pas les laisser tomber, m’occuper seulement de mon fils et ne rien faire pour eux», raconte-t-elle.

Pour pallier le manque de financement public, Vânia crée alors une fondation, Les Petits Rois, dans le but de recueillir des fonds pour acheter de l’équipement spécialisé, organiser des sorties éducatives et avoir accès aux services professionnels nécessaires. À l’arrivée d’Henri-Louis au secondaire il y a 10 ans, la fondation étend son activité à l’école qu’il fréquente, Irénée-Lussier, et rejoint ainsi plus de 400 enfants au total.

«C’est lui qui me montre le chemin. Il m’a appris à voir venir, à agir avant d’être face au mur», fait-elle valoir.

Une maison à eux

Vânia a d’autres idées. Elle sait qu’un jour, son conjoint et elle n’auront plus la capacité physique de s’occuper de leur garçon. Elle s’est donc lancée dans un tout autre projet: une maison intelligente.

En collaboration avec le professeur en psychoéducation spécialisé en technologies de soutien Dany Lussier-Desrochers, de l’Université du Québec à Trois-Rivières, la Fondation Les Petits Rois est en train de développer une résidence unique. «Par exemple, le pommeau de la douche changera de couleur pour indiquer que la température de l’eau est adéquate, le frigo signalera si un aliment est périmé et des piluliers connectés vont rappeler aux occupants de prendre leurs médicaments», énumère Vânia Aguiar.

Sous supervision, les huit locataires pourront ainsi apprendre à s’occuper d’eux-mêmes et de leur maison.

Pour que son rêve se réalise, elle a fait des démarches auprès de partenaires potentiels, talonné sans relâche des politiciens et des fonctionnaires. Et l’acharnement de celle qui a justement reçu cette année le prix Individu à part entière de l’Office des personnes handicapées du Québec a porté ses fruits. Le gouvernement s’est engagé à financer son projet.

Dès l’an prochain, ses petits rois et ses petites reines auront leur château dans le quartier Côte-des-Neiges, à Montréal.

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