L’automne dernier, les militantes écologistes américaines de Women’s Voices for the Earth (WVE) ont obtenu gain de cause. Après des mois de pression, elles ont fait plier les grands manufacturiers, qui ont commencé à lever le voile sur la composition de leurs serviettes et tampons hygiéniques.
Ces protections étant considérées comme des «instruments médicaux», les fabricants ne sont pas tenus d’en divulguer tous les ingrédients. Or, certains de leurs composants inquiètent WVE, un organisme qui vise à éliminer les produits chimiques nocifs pour la santé et l’environnement, en tenant compte de leur impact particulier sur les femmes. Dans un rapport-choc intitulé Chem Fatale, WVE avance que les articles d’hygiène féminine peuvent renfermer entre autres des traces de dioxines, de furanes et de pesticides – des composés que l’on associe au cancer, à des troubles de la reproduction et du système endocrinien ainsi qu’à des réactions allergiques. Certains sont ajoutés par le fabricant, tels les additifs synthétiques de fragrances dans les produits parfumés. D’autres apparaissent en amont, sans «action intentionnelle» du fabricant, dans les matières qui servent à la confection des serviettes et des tampons; on pense, par exemple, aux dioxines qui contaminent le coton de plantations arrosées de pesticides. On en trouve aussi dans la rayonne – employée dans les tampons – qui sont introduites lors du processus de fabrication.
À quel point la présence – même en infime quantité – de ces substances pose-t-elle problème? La question est chaudement débattue. Aux dires des fabricants, les tampons et serviettes sont sans danger. «La sécurité des femmes est à la base de nos activités, assure Joyce Law, porte-parole de Procter & Gamble Canada. Nous employons uniquement des ingrédients assez sécuritaires pour nous-mêmes et pour nos filles.» Mais des experts – comme le microbiologiste et professeur américain Philip M. Tierno, qui s’intéresse à l’innocuité des tampons depuis des décennies – font valoir que les tissus du vagin sont parmi les plus absorbants du corps et qu’une femme peut utiliser jusqu’à 16 800 tampons au cours de sa vie. Or, l’exposition aux produits toxiques est cumulative et ses effets à long terme demeurent inconnus.
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«Les connaissances sur la toxicité des produits sont assez récentes. On s’en préoccupe depuis à peine 20 ou 25 ans. Avant, on ne se demandait pas si les tampons ou le savon étaient sécuritaires», dit le Dr Marc Zaffran, spécialiste de la santé des femmes et auteur du livre Les menstruations (qu’il a signé sous le pseudonyme de Martin Winckler, aux Éditions de l’Homme). Bien sûr, ce n’est pas parce qu’on se questionne que les réponses sont nécessairement alarmantes. «Mais les industriels doivent fournir des arguments convaincants, poursuit-il. Si un ingrédient semble problématique, il faut justifier son utilisation.» Selon lui, cette exigence de transparence est légitime pour que les femmes puissent faire des choix éclairés et que les pratiques évoluent.
La campagne Detox the box de WVE le démontre bien. Après des mois de pression – le groupe a créé une vidéo parodique qui a été vue près de 67 000 fois sur YouTube, doublée d’une pétition qui a recueilli environ 35 000 signatures –, Procter & Gamble et Kotex ont accepté de divulguer davantage d’informations sur leurs sites web. Il ne s’agit cependant que d’un premier pas. Par exemple, les grandes sociétés demeurent muettes sur les composés chimiques des fragrances de leurs produits parfumés et sur ceux pouvant contaminer les matériaux comme le coton et la rayonne. WVE entend donc poursuivre sa mission.
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Et chez nous?
Les informations nouvellement publiées ne figurent pas encore sur les sites web canadiens de Procter & Gamble. Cette dernière prévoit cependant les ajouter d’ici peu. En attendant, on peut consulter les sites américains d’Always et de Tampax, ainsi que le site français de Tampax. Du côté de Kotex, la liste des ingrédients est disponible en anglais seulement sur un site consacré à la composition de différents produits de Kimberley-Clark.
Santé Canada n’interdit l’utilisation d’aucun matériau particulier pour la fabrication de tampons. «Les fabricants doivent toutefois détenir des éléments probants objectifs qui montrent que leurs produits sont sûrs», indique le porte-parole André Gagnon.
Au Centre de santé des femmes de Montréal, la clientèle ne semble pas particulièrement s’inquiéter de la composition des produits d’hygiène féminine, estime la directrice générale, Anne-Marie Messier. «On remarque davantage de préoccupations environnementales», ce qui se traduit par une hausse de la demande de solutions de rechange, comme les coupes menstruelles, mais aussi les serviettes lavables, qui connaissent une nouvelle popularité. Avis aux intéressées.
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De quoi est fait un tampon?
Applicateur
Carton, plastique, polyéthylène avec colorants ou polypropylène
Support absorbant
Coton et/ou rayonne
Voile entourant le support absorbant
Différentes combinaisons de rayonne, polyester, polyéthylène et polypropylène
Cordonnet de retrait et fil pour le coudre au support absorbant
Coton et/ou polyester et/ou rayonne et/ou polypropylène
Parfum (uniquement pour les modèles parfumés)
Parfums conformes aux normes d’innocuité établies par l’Association internationale des matières premières pour la parfumerie (IFRA, pour International Fragrance Association)
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Syndrome du choc toxique
Ce n’est pas la première fois que les produits d’hygiène féminine soulèvent des craintes. En 1980, des centaines de Nord-Américaines ont souffert du syndrome du choc toxique et des dizaines en sont mortes. Les coupables : de nouveaux tampons au pouvoir absorbant très élevé, à tel point que, pour certaines utilisatrices, un seul suffisait pour toute la durée de la menstruation. Or, les fibres synthétiques utilisées favorisaient la multiplication d’une bactérie présente dans le vagin de certaines femmes (le staphylocoque doré) et qui produit des toxines. Lorsque ces toxines entrent dans la circulation sanguine, elles peuvent provoquer un choc toxique chez les personnes qui n’ont pas développé d’anticorps contre elles.
Depuis, les tampons super absorbants et les fibres synthétiques (à l’exception de la viscose-rayonne) ont disparu des tablettes. Les cas de choc toxique se font beaucoup plus rares. L’année dernière, aucun n’a été déclaré à Santé Canada.
Plus récemment, au printemps 2015, la Food and Drug Administration des États-Unis a de nouveau démenti la rumeur persistante selon laquelle les manufacturiers ajouteraient de l’amiante dans les tampons afin de provoquer des saignements plus abondants et de vendre plus de tampons. Il s’agirait tout simplement d’une légende urbaine. Comme quoi, en l’absence de transparence, la machine à rumeurs s’emballe!
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Bye bye taxes!
La mesure était réclamée depuis belle lurette, et l’été dernier, les gouvernements fédéral et provincial se sont enfin exécutés. Le 1er juillet 2015, Ottawa et Québec ont levé les taxes sur les tampons et serviettes hygiéniques, maintenant considérés comme des produits essentiels. Au grand bonheur des consommatrices.