Entrevues

Prostitution: deux policières au secours des fugueuses

Deux policières se sont données comme mission de sauver les jeunes filles prises dans les filets de la prostitution. Rencontre avec ces «polices» pas comme les autres.

Les policières Josée Mensales et Diane Veillette |Photo: Josée Lecompte

Il était temps qu’on en parle ! » Depuis l’épisode des fugues en série d’un Centre jeunesse, l’exploitation sexuelle fait la une. « Ça s’est passé à Laval, mais ç’aurait pu se produire n’importe où. Les pimps n’ont pas de frontières, soutiennent Josée Mensales et Diane Veillette. Il a fallu une crise pour que la société réalise l’ampleur du phénomène. » Et non, ça n’arrive pas qu’aux filles des Centres jeunesse ou à celles qui sont nées à l’étranger, martèlent les deux agentes de concertation au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM). Toutes les classes sociales sont touchées.

Elles savent de quoi elles causent. En 12 ans à la section des crimes majeurs, elles ont vu des centaines de mineures envoyées dans des motels miteux, obligées de se taper une douzaine d’hommes par jour, souvent sans condom. Des histoires à faire pleurer.

Pour les aider à s’en sortir, elles ont mis sur pied il y a six ans Les Survivantes – SPVM, un programme unique de prévention et d’intervention qui met en lien d’ex-prostituées et de jeunes délinquantes. « Les premières racontent comment ça se passe dans le milieu pour que celles qui sont en train de tomber dans la criminalité prennent conscience des risques », explique Diane Veillette.

Diane et Josée ne se positionnent ni pour ni contre la prostitution. Ce n’est pas leur rôle. Mais elles s’élèvent contre l’exploitation. « Près de 8 femmes sur 10 sont sous l’emprise d’un souteneur à qui elles versent l’argent récolté dans les bars de danseuses, les salons de massage, par l’intermédiaire des agences d’escortes, des films pornos et des petites annonces. »

Les pimps s’en donnent à cœur joie : après le trafic de stupéfiants, l’exploitation sexuelle est le commerce illicite le plus payant. Et le crime qui connaît la progression la plus rapide, au pays comme partout ailleurs.

Déjà en 2008, l’équipe d’enquête spécialisée dans la lutte contre la prostitution et la traite de personnes sonnait l’alarme. Pour que tous se mobilisent et travaillent de concert, on a demandé à Diane et à Josée d’élaborer un projet dans lequel des victimes pourraient en aider d’autres.

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Les deux policières ont ratissé large. Elles ont, entre autres, consulté l’anthropologue Rose Dufour, fondatrice de La Maison de Marthe, à Québec, qui aide les femmes à se sortir de la prostitution.

Elles ont aussi rencontré des courageuses qui souhaitaient témoigner de leur pénible expérience. « Beaucoup étaient prêtes à parler de leur enfer pour ne pas l’avoir vécu en vain », disent-elles. Elles en ont recruté quelques-unes pour se faire seconder pendant les séances d’information destinées aux policiers et aux intervenants, et pour faire le suivi auprès des victimes. « L’idée de collaborer avec d’anciennes travailleuses du sexe n’a pas été facile à vendre. On nous prenait pour deux hurluberlues ! » se souvient Josée Mensales en riant.

Les « survivantes » retenues ont toutes porté plainte et expédié leur agresseur derrière les barreaux. Elles ont suivi une thérapie et établi un projet de vie – études, famille, emploi… Et aucune n’a de casier judiciaire.

On ne voit pas ces femmes s’exprimer dans les médias : le SPVM refuse de les exposer de peur de les fragiliser. Plusieurs souffrent de stress post-traumatique. Mais six d’entre elles ont accepté que leur histoire soit publiée dans le livre Pour l’amour de mon pimp… Un excellent outil pour comprendre le cercle vicieux de la prostitution et lancer la discussion avec les jeunes.

Des résultats encourageants

Jusqu’ici, Josée et Diane se sont adressées à des milliers d’intervenants et de policiers à Montréal, en banlieue et à Toronto. Beaucoup voudraient reproduire leur modèle.

D’ailleurs, à partir du moment où elles ont commencé à parler de « victime » et non plus de « prostituée », les perceptions ont changé. Le SPVM a envoyé un communiqué à l’ensemble de son personnel pour que le vocabulaire soit modifié. Trois ans après l’implantation du programme, les plaintes avaient quintuplé. « Le phénomène est mieux compris et le dépistage, plus efficace. C’est encourageant. »

L’argent reste bien sûr le nerf de la guerre. « ON A BESOIN DE RESSOURCES, écrivez-le en grosses lettres ! Beaucoup d’argent va à la lutte contre les gangs de rue, les stupéfiants. Et les victimes ?
Il est urgent de s’en occuper. Ça coûte pas mal plus cher de sortir quelqu’un de la prostitution que de faire de la prévention ! »

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Informer, sensibiliser, intervenir

Lancé en 2010, le programme Les Survivantes – SPVM œuvre sur plusieurs fronts.

Les filles vulnérables (envoyées par les Centres jeunesse, les enquêteurs, les parents). La rencontre se fait toujours sur une base volontaire. « On jumelle une victime à une survivante au parcours similaire, dit l’agent Veillette. On s’assoit en retrait avec une intervenante. Le but est d’amener la jeune à y voir plus clair en soulignant l’incohérence de ses propos : “Tu dis garder ton argent, tu as de beaux cheveux, de beaux ongles. C’est pas pour toi, c’est pour danser !” »

Peu à peu, la survivante fait réaliser à la jeune fille que celle-ci est sous l’emprise d’un pimp. Sa carapace finit par craquer. L’objectif n’est pas tant de diriger la victime vers le système judiciaire que de l’accompagner et de la protéger. Plusieurs refusent de porter plainte. « Il faut trouver des solutions avec elle pour l’aider à reprendre le contrôle de sa vie, dit Josée Mensales. C’est un long processus, mais qui porte ses fruits. On a sorti une bonne dizaine de filles de la prostitution. » Ça semble peu, mais c’est un travail qui demande doigté et patience.

Les policiers. On leur enseigne la meilleure façon d’intervenir face à une victime d’exploitation sexuelle. « Avant, les agents traitaient ce genre de dossier comme des cas de violence conjugale, relate Diane Veillette. Le suspect était arrêté, comparaissait en cour et était libéré le lendemain. La fille mangeait une volée. Aujourd’hui, ils posent des questions : “Tu fais quoi dans la vie ?
Et lui ? Est-ce qu’il gère ton argent ?” Ils cherchent des indices dans le non-verbal : fuir le regard ou chercher l’approbation du proxénète avant de parler, par exemple. »

Les intervenants (hospitaliers, communautaires, scolaires). « On ne veut pas leur dire comment faire leur boulot, plutôt leur montrer comment travailler tous ensemble », dit Diane Veillette.
Les policières conseillent aux médecins, par exemple, de porter attention aux marques visibles (tags, blessures) que présente une fille admise à l’urgence pour des problèmes gynécologiques.

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Petit guide à l’intention des parents

Comment reconnaître les signaux d’alarme et interagir avec sa fille si elle se prostitue ? Les conseils des policières Diane Veillette et Josée Mensales.

Surveiller tout changement radical. Comportement, amis, endroits fréquentés, façon de s’habiller. Arbore-t-elle un nouveau tatouage ? Des marques de brûlure entre les doigts ? Ce sont des signes.

Aborder la question de front. Peu importe si la jeune se montre réfractaire, on doit trouver le bon moment pour lui parler, sans attendre une situation de crise. Tout peut être prétexte à discussion – les paroles d’une chanson, un vidéoclip, l’actualité. Certaines fuguent pour attirer l’attention. « Elles ont beau avoir la plus belle chambre, étudier dans les meilleurs collèges, les jeunes ont besoin de balises et de sentir qu’on s’intéresse à elles. »

L’informer des dangers des réseaux sociaux. « Les jeunes y exposent trop d’informations – intérêts, émotions, ruptures… C’est comme un journal intime livré à tout vent. Les trafiquants vont consulter leur profil et établir des liens avec leurs amis et leur famille pour s’en servir contre elles. »

Ne pas juger son enfant. « Dites-lui que vous savez qu’elle se prostitue, que vous n’êtes pas d’accord avec ses choix, mais que vous êtes là pour elle. Même si la situation vous dépasse. »

Ne jamais la lâcher. « La plupart des victimes ont honte et cachent la vérité à leurs proches de peur que le proxénète ne s’en prenne à eux. Si votre fille est en danger, c’est important qu’elle se sente protégée. »

Observer son petit ami. Le proxénète veut éviter à tout prix de se faire prendre avec une mineure. Il va donc « préparer le terrain » – déceler les points faibles de la jeune fille, prétendre l’amour fou et lui promettre la lune. « Tu n’auras pas besoin de travailler longtemps, notre maison sera vite payée, je vais te protéger. On forme un team ! » Il va faire le vide autour d’elle, lui proposer de travailler incognito à Ottawa, Toronto, Calgary… Une survivante a raconté aux agentes comment elle s’est fait piéger à 16 ans par un gars rencontré dans la rue : « Salut ! T’es belle ! Je t’invite dans un party. » Pendant deux ans, il lui a présenté des danseuses. À sa majorité, elle lui a dit : « J’vais m’essayer », convaincue que c’était sa propre décision…

Accepter de se sentir impuissant. « On suggère souvent aux parents d’aller chercher du soutien psychologique. Une personne à bout de nerfs ne sera d’aucun secours. »

Pour joindre les policières Diane Veillette et Josée Mensales : 514 280-0085. Si votre enfant disparaît ou que vous craignez pour sa sécurité, composez le 911.

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Qui est le proxénète type ?

Narcissique, il a une grande soif de pouvoir et d’argent. Il croit que tout lui est permis. Les remords ? Connaît pas ! Il y a celui qui se promène en Maserati et fraye avec le crime organisé. Il prend part à des fêtes VIP et a l’air hot. Et il y a l’autre qui se déplace en autobus, souvent un ex-dealer qui veut faire un coup d’argent.

Plusieurs sont passés du statut de victime à celui d’agresseur. Certains ont des problèmes de santé mentale. Mais quel que soit leur type, ils ont un point en commun : ils savent reconnaître la faille chez leur proie et l’appâter en lui faisant miroiter le rêve. « Pourquoi attendre quand tu peux tout avoir, tout de suite ? »

Le pimp est rusé : il peut encourager sa victime à aller à l’université… tout en la faisant travailler sept jours sur sept. Or les recherches le prouvent : celles qui s’adonnent à ce genre d’activité abandonnent leurs études.

Il n’a rien à son nom de façon à ne pas laisser de trace. Il fabrique de faux papiers à la mineure et lui confisque ses cartes d’identité – une tactique pour contourner le système de santé. Et lui refile ses dettes, alors qu’il mène le gros train de vie. « C’est un crime d’opportunité ! Celles qui s’en sortent sont souvent obligées de déclarer faillite », déplorent Diane Veillette et Josée Mensales.

Il ne faut jamais sous-estimer le pouvoir des mots : pimp ma cabane, pimp my car, pimp my garage… On utilise ce terme à toutes les sauces. En oubliant sa signification : Person In charge of the Money from the Prostitutes.

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Pour l’amour de mon pimp… par Josée Mensales, Diane Veillette et Guillaume Corbeil, Les Éditions Publistar, 2015. 

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