Lorsque Karine raconte son divorce, qu’elle a réglé à l’amiable en 2014 avec le père de son fils, les bons et les mauvais souvenirs s’entremêlent. « J’ai beaucoup pris sur moi, mais cela valait la peine pour avoir de bonnes relations au bout du compte », confie cette jeune professionnelle de 36 ans au regard pétillant.
En plus d’avoir dû partager avec son ex-époux une bonne part de ses économies personnelles, qu’elle conservait jusque-là dans leur compte conjoint, Karine a refinancé son hypothèque pour lui racheter sa moitié de la maison familiale. Elle a également pris à sa charge ses dettes personnelles à lui, afin qu’il puisse repartir sur de bonnes bases financières. Pour y parvenir, elle a dû cumuler deux emplois, faire des heures supplémentaires et avoir recours à plusieurs outils de crédit: sa marge de crédit hypothécaire en premier lieu, puis des transferts de solde sur des cartes de crédit offrant des périodes promotionnelles sans intérêts. « J’ai aussi racheté des meubles avec des plans sur 36 mois, de façon à pouvoir échelonner les paiements », se souvient-elle.
Si la situation de Karine semble extrême, de nombreuses femmes s’y reconnaîtront, car, que l’on soit mariée ou conjointe de fait, le choc financier d’une séparation peut être brutal. Alors qu’un mariage sur deux se termine par un divorce et que les séparations sont tout aussi nombreuses pour les conjoints de fait, il est prudent de réfléchir à un éventuel après. Et ce d’autant que dans un couple, le patrimoine des hommes est encore supérieur de 80 % à celui des femmes, s’établissant à 271 955 $, comparativement à 151 895 $ pour les femmes, selon la Chaire de recherche du Canada en expériences financières des familles et inégalités de patrimoine. C’est au début de l’union, quand tout va bien, qu’il faut se préparer au pire, disent les spécialistes interviewées pour ce reportage. Voici comment assurer vos arrières.
Le Québec est le champion de l’union libre, puisque 42 % des couples qui y résident ne sont pas mariés. Or, la loi actuelle ne prévoit aucune protection pour les conjoints en cas de séparation, même pas un partage du patrimoine familial. Adopté en juin 2024, le projet de loi 56 a créé un nouveau régime d’union parentale. Il inclut bel et bien un partage, mais seulement pour les résidences familiales, les meubles et les véhicules utilisés par le ménage. Par ailleurs, ce nouveau régime s’appliquera uniquement aux couples ayant eu des enfants après l’entrée en vigueur de la loi, soit à partir du 30 juin 2025 ; il ne changera donc rien pour la plupart des familles existantes.
Étonnamment, une bonne proportion des conjoints de fait ignorent toujours qu’ils ne sont pas protégés, même plus d’une décennie après le verdict dans la célèbre affaire Éric c. Lola. À preuve: selon la Chambre des notaires du Québec, les contrats de vie commune sont encore rares et, en général, les couples n’en signent un que lorsque leurs membres deviennent copropriétaires de la maison familiale.
Or, seul un contrat de vie commune peut prévoir un partage équitable des biens de deux conjoints de fait en cas de séparation. « Le contrat de vie commune est essentiel pour tous les couples, notamment pour les familles recomposées. On peut y indiquer comment se fera le partage des dépenses pendant la vie commune, ce qui facilitera les choses si les conjoints ont des enfants d’une union précédente. On peut également prévoir de quelle façon les biens seront partagés en cas de rupture », explique Me Elysabeth Lessis, avocate en droit familial et médiatrice.
En cas d’investissement réalisé en commun, l’achat d’une propriété par exemple, si les apports financiers respectifs – pour la mise de fonds – des membres du couple sont différents, il est possible de le stipuler dans le contrat d’achat notarié.
Pour les couples qui ont opté pour le mariage, il faut savoir qu’il existe deux régimes matrimoniaux: la société d’acquêts et la séparation de biens. Par défaut, c’est le premier qui s’applique. « En vertu de ce régime, en plus du patrimoine familial qui est systématiquement partagé entre les époux – résidence familiale et mobilier qui la garnit, chalet, voiture, REER, fonds de pension, etc. –, on divise aussi en parts égales les biens acquis durant l’union, comme les actions, placements, immeubles, une entreprise, etc. », souligne Me Elysabeth Lessis.
Pour choisir le régime de la séparation de biens, il faut l’indiquer clairement dans un contrat de mariage, le fameux contrat prénuptial. Au terme de l’union, le patrimoine familial sera alors partagé entre les époux, mais chacun conservera ses autres biens, y compris ceux acquis durant l’union.
Seule une personne mariée peut recevoir une pension pour elle-même après le divorce. La pension sera calculée au cas par cas, en fonction de différents facteurs, notamment la durée du mariage, le rôle de chacun dans le ménage et la situation économique des conjoints. Autrement dit, celui qui gagne le plus pourrait se voir réclamer un montant. « Le gouvernement fédéral met à la disposition des Canadiens des lignes directrices qui sont facultatives, mais permettent d’avoir une estimation, car les juges en tiennent compte », indique Me Elysabeth Lessis. Par ailleurs, la pension est déductible d’impôt pour la personne qui la verse, mais imposable pour celle qui la perçoit.
Pour leur part, les conjoints de fait (qu’ils soient concernés par l’union parentale ou pas) ne peuvent réclamer une prestation compensatoire en cour que si leur situation répond à des critères bien précis.
Les enfants nés d’une union qui se termine ont droit à une pension, que leurs parents aient été mariés ou pas. Cette pension est non imposable et non déductible. « Le principe général est qu’ils puissent vivre dans un milieu similaire à celui qui prévalait durant l’union. Il existe une table de fixation de la pension alimentaire de base, à laquelle s’ajoutent les frais particuliers partagés au prorata des revenus, comme les frais de garde, les médicaments, la scolarité, les activités parascolaires, etc. », précise Me Lessis.
Le parent qui a la garde recevra une pension même s’il a des revenus plus élevés que l’autre, et il est possible d’avoir à en verser une même lorsque la garde est partagée. Le gouvernement du Québec a créé un outil de calcul qui permet d’avoir une idée préalable du montant.
Après plusieurs années d’efforts soutenus, Karine est finalement parvenue à un équilibre financier. Elle a bien l’intention de préserver ses actifs lorsque l’amour cognera à sa porte de nouveau. « Je ne veux plus mêler mon argent avec celui de mon conjoint, nous aurons chacun notre compte bancaire », dit-elle. Le compte conjoint demeure très utile durant la vie commune, lorsque chacun y verse un montant convenu d’avance pour payer les dépenses du ménage, mais il est déconseillé d’y laisser ses économies, comme Karine l’a appris à ses dépens… En cas de séparation, l’idéal est de vite fermer le compte ou, à tout le moins, de cesser les virements.
Peu importe la façon dont s’effectue le partage des biens, budget post-séparation rime presque toujours avec privations. Surtout s’il faut se reloger et payer les factures en solo. Isabelle Bérard, planificatrice financière chez Gestion financière Assante Ltée, Major Gestion Privée, propose un plan de match. « Je constate bien souvent qu’après une séparation, les gens essayent à tout prix de conserver le même mode de vie. Ce n’est pas réaliste. On doit absolument réviser les différents postes budgétaires », avertit-elle.
La meilleure stratégie consiste à passer au crible les relevés de comptes bancaires et de cartes de crédit des six mois précédents, puis à réfléchir aux dépenses qui peuvent être réduites, comme celles qui concernent les loisirs, les abonnements et les vêtements.
Consulter un professionnel – planificateur financier, conseiller en services financiers, comptable, par exemple – est essentiel pour éviter de mauvaises décisions, comme de retirer des fonds de ses REER s’il y a une meilleure solution, dit Isabelle Bérard. Cet expert pourra aussi vous expliquer comment aviser les autorités gouvernementales (Revenu Québec, Agence du revenu du Canada, Retraite Québec, etc.) de votre changement de statut pour vous assurer de bénéficier de tous les crédits et allocations auxquels vous avez droit, comme l’Allocation famille et l’Allocation canadienne pour enfants. Le crédit pour la TPS et le crédit d’impôt pour solidarité pourraient aussi être bonifiés. Bon à savoir: certains frais juridiques sont déductibles d’impôt, en particulier ceux versés relativement à une pension alimentaire.
Comment traverser au mieux cette période de montagnes russes ? « Consultez un avocat, ne serait-ce qu’une heure, pour vous assurer de ne rien manquer! Les émotions et parfois la culpabilité peuvent inciter à faire davantage de concessions, et on en ressort perdant », mentionne Elysabeth Lessis. Le service Info-Séparation, offert gratuitement par les Centres de justice de proximité, est lui aussi utile pour orienter les démarches.
« Gardez en tête que vous ne repartez pas de zéro; vous avez quand même accumulé certains actifs. Prenez le temps de faire votre bilan; cela aide à apaiser les angoisses et permet d’y voir plus clair », conclut Isabelle Bérard.
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Emmanuelle Gril est journaliste pigiste pour plusieurs médias, notamment Protégez-vous, Le Bel Âge, la section économique du Journal de Montréal, la revue Gestion et le magazine Châtelaine. Les finances personnelles : budget, épargne, cartes de crédit, hypothèque n’ont plus de secret pour elle. En 2021, elle a d’ailleurs publié l’ouvrage «99 trucs pour réduire l’endettement». Adepte de jardinage, dès le printemps vous la trouverez sûrement dans sa cour en train de planter des fleurs.
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