Nutrition

Buvons-nous trop, nous, les femmes ?

Prendre un verre, parfois même un de trop, est devenu banal. « Deux consommations pour les femmes, trois pour les hommes, et on ne boit pas tous les jours » : on connaît la chanson, mais sait-on vraiment combien d’alcool on avale en une semaine ?

Photo: Stocksy/Viktor Solomin

«Vindredi », 5 à 7, sortie de filles, rien de mal à prendre un verre… Un peu comme si la liberté avait un petit goût de Cosmopolitan, depuis la série Sex and the City. Et les fabricants l’ont compris. L’arrivée chez les détaillants de boissons aromatisées aux fruits ou de vins au nom coquet – Cupcake, Ladybug – le prouve. Le marketing vise les femmes, c’est évident, selon Catherine Paradis, analyste principale au Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances, organisme qui étudie la consommation d’alcool et de drogues des Canadiens. « Je n’ai rien contre le fait que les produits soient adaptés de cette façon. Ce qui me vexe, c’est quand des publicités utilisent le prétexte de l’égalité des sexes pour nous inciter à boire comme des hommes. Là, c’est pervers et non éthique. »

Résultat : nous buvons trop, et de plus en plus. La proportion de Québécoises d’au moins 18 ans qui ont déclaré avoir consommé plus de cinq verres en une seule occasion au cours d’une année est passée de 7,7 % en 2000-2001 à 11 % en 2009-2010.

L’inégalité expliquée

Les limites de consommation établies par Éduc’alcool ont été fixées par un comité de scientifiques, qui a pris 98 études en considération. Rien à voir avec le sexisme, donc, et tout avec la biologie.

Les femmes ne métabolisent pas l’alcool de la même manière que les hommes. Elles sont en moyenne plus petites, et leur foie l’est aussi. Il y a également une différence dans la composition de leur corps : il contient proportionnellement plus de gras et moins d’eau. Une quantité équivalente d’alcool ingurgitée entraîne par conséquent une alcoolémie plus élevée pour elles.

Et on aurait tort de croire que le fait de « bien porter l’alcool » y change quoi que ce soit. « Si une personne boit beaucoup sans que cela perturbe son comportement, c’est que son corps est devenu plus efficace pour dégrader l’alcool. Cela provoque néanmoins une grosse surcharge de travail pour son foie », explique l’hépatologue Catherine Vincent.

Catherine Vincent, médecin spécialiste des maladies du foie, constate les ravages de ce changement. « Quand j’ai commencé ma pratique il y a 15 ans, les femmes hospitalisées pour des problèmes liés à l’alcool étaient rarissimes. Maintenant, c’est courant », dit-elle.

Qu’est-ce qui nous pousse à boire plus qu’avant ? Des chercheurs ont d’abord avancé que c’étaient notre entrée sur le marché du travail et la multiplication de nos rôles qui avaient engendré notre goût accru pour l’alcool. Bien sûr, l’appel du gin tonique se fait peut-être entendre un peu plus fort lorsqu’on a passé sa journée à gérer des dossiers stressants, puis sa soirée à jongler avec la marmaille…

Les données les plus récentes tendent toutefois à prouver que la conciliation travail-famille n’est pas en cause. « Une mère de deux jeunes enfants ne va pas se saouler dans son salon un mercredi soir, explique Catherine Paradis. Par contre, dans un bar, avec ses amies et un DJ qui hurle que les shooters sont à 2 $, il est possible qu’elle dépasse la limite. » Trop boire serait donc une question de contexte. Et ce n’est pas sans impacts sur notre santé.

Les décès attribuables à l’alcool ont augmenté de 26 % chez les femmes depuis 2001 au pays. Et le nombre d’hospitalisations qui y sont liées a atteint 25 000 en 2017, soit 3 % de plus que l’année précédente. 

Pourtant, lorsqu’on parle d’excès, les Québécois ne s’inquiètent que de deux choses : l’alcoolisme et la conduite avec facultés affaiblies, estime Hubert Sacy, directeur général d’Éduc’-alcool, organisme qui prône la modération. Il existe pourtant bien d’autres risques, dont l’augmentation des probabilités de cancer de la cavité buccale, de l’œsophage, du côlon, du rectum, du foie et du sein…

Pour les femmes, les écueils sont plus nombreux. Cardiopathie, AVC, hépatite… Elles sont plus susceptibles de développer ces maladies que les hommes si elles ne respectent pas la limite de deux verres quotidiens, et pas tous les jours. De quoi y songer avant de se servir un troisième verre ! 

 

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