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Qui n’a jamais fréquenté une personne « narcissique » ? Ou jugé en silence un couple d’amis manifestement « dysfonctionnel » ? Ou fait un autodiagnostic de dépression ? À l’heure actuelle, on emploie un peu à tort et à travers des termes complexes du domaine de la santé mentale qui deviennent partie intégrante de notre lexique sur internet et dans la vie de tous les jours. Le nombre de recherches Google de termes tels que « traumatisme » et « détournement cognitif » n’a cessé d’augmenter au cours de la dernière décennie, atteignant des niveaux records au début de l’année 2022.
C’est un phénomène que la psychologue Hillary McBride attribue en partie aux médias sociaux et au fait que l’information s’obtient et se diffuse vite. Elle relie également le phénomène à l’essor de la culture de l’accompagnement, dans laquelle des vedettes et des influenceuses se sentent obligées de distiller « de petits éléments d’information très digestes en vue d’aider les gens ».
Quoi qu’il en soit, le jargon de la santé mentale est devenu un moyen de se comprendre soi-même et de comprendre ses expériences, que l’on range par la suite dans des catégories bien définies, concises et faciles à identifier. « Des gens emploient dans la langue courante des diagnostics cliniques extrêmement précis, dit la psychologue. Des choses comme “le temps est bipolaire” ou “j’ai un vrai TOC, j’ai passé la journée à frotter dans la maison”. »
Il faut aborder ouvertement le sujet de la santé mentale, c’est certain. Mais pour Hillary McBride, il y a un risque à utiliser ces concepts dans la langue courante : on peut les vider de leur sens ou, pire, les employer pour décrire des réactions ou tendances tout à fait normales comme les sautes d’humeur ou un penchant naturel pour l’ordre.
Les professionnels formés au diagnostic de ces pathologies distinguent nettement les phénomènes cliniquement significatifs, qui nécessitent une intervention et un traitement particuliers, des événements quotidiens qui font partie de l’expérience humaine.
Prenons par exemple l’emploi du mot « narcissisme ». Le narcissisme, diagnostiqué comme trouble de la personnalité, peut prendre la forme d’une extrême suffisance, d’un manque d’empathie, et à l’extrémité du spectre, de l’agressivité et de la manipulation. Or, la plupart des gens présentent des traits narcissiques à un moment ou à un autre de leur vie. Cela ne justifie pas pour autant un diagnostic. « Le trouble de la personnalité narcissique est un trouble très rare, peu fréquent dans la population typique », commente Hillary McBride.
Lorsqu’un professionnel non spécialiste de la santé mentale pose un « diagnostic de salon », il minimise à la fois la souffrance de la personne concernée et celle des personnes qui répondent réellement aux critères du diagnostic.
Par ailleurs, selon la Dre Saunia Ahmad, directrice et psychologue clinicienne à la Toronto Psychology Clinic, le fait pour une personne d’être étiquetée à tort peut entraîner pour elle des conséquences affectives à long terme. « Cela peut amplifier la stigmatisation et la honte, particulièrement dans une société où on ne traite pas vraiment la maladie mentale comme les problèmes de santé de nature physique », explique-t-elle.
Certes, il faut utiliser le jargon de la santé mentale à bon escient, mais il est tout aussi important que ces termes demeurent dans notre vocabulaire, estime Hillary McBride. Le fait d’en parler ouvertement, en ligne ou hors ligne, implique que de plus en plus de gens ont accès à cette information. Reste que nous devons mieux comprendre les concepts pour les employer correctement.
Si ces termes sont plus accessibles, selon elle, les gens seront peut-être plus enclins et plus aptes à reconnaître leurs expériences, et donc, à aller chercher de l’aide. Quand on est en mesure de parler de santé mentale ouvertement, on peut commencer à poser des questions et à rechercher des moyens d’aller mieux et de se soutenir mutuellement.
Châtelaine a demandé à Hillary McBride et à la Dre Ahmad de choisir quelques termes souvent mal utilisés du domaine de la santé mentale pour en préciser la véritable signification.
Dans la langue courante : Perception différente de la réalité par deux personnes.
Pour les spécialistes : Abus de type précis visant à donner à la victime l’impression qu’elle est « folle », en créant un environnement interpersonnel surréaliste où elle est sans cesse amenée à se méfier d’elle-même et de la violence qu’elle subit, et ce, afin de lui faire subir davantage de violence encore.
Dans la langue courante : Lien observé entre des personnes qui ont vécu un traumatisme ensemble.
Pour les spécialistes : Attachement profond, d’origine neurobiologique, entre un agresseur et sa victime. Par exemple, une victime de trafic sexuel entretient souvent la relation d’exploitation et de protection avec la personne qui l’exploite, car cette relation dysfonctionnelle lui donne l’impression que cette personne répond à ses besoins physiques et affectifs alors même qu’elle lui faire subir des abus.
Dans la langue courante : Sentiment de ne pas s’être remis d’un événement effrayant ou important, ou réaction disproportionnée à un événement.
Pour les spécialistes : Changement d’humeur important, présence de retours en arrière ou de cauchemars, réaction d’évitement ou hypervigilance résultant de l’exposition, réelle ou redoutée, à la mort, à des blessures graves ou à des violences sexuelles.]
Dans la langue courante : Propreté excessive ou goût immodéré pour l’ordre.
Pour les spécialistes : Trouble de la santé mentale caractérisé par des obsessions ou des compulsions ou les deux à la fois. Les obsessions sont des pensées, des images ou des pulsions indésirables et considérées comme pénibles que l’on tente d’ignorer ou de supprimer. Les compulsions sont des comportements répétitifs que l’on adopte en réponse à une obsession ou selon un ensemble de règles qui doivent être appliquées de manière rigide et qui sont destinées à éloigner un événement ou une situation redoutés.
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