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Santé

Prenez-vous trop de médicaments?

Les Québécois vivent en moyenne 25 ans de plus qu'en 1920. Une bonne nouvelle ? Oui, à condition de vieillir en santé, ce qui n’est pas toujours le cas. En cause : de nombreuses maladies… et les médicaments pour les traiter.
Prenez-vous trop de médicaments?

Photo: Canva / Kaboompics

Caroline Sirois, professeure de pharmacie à l’Université Laval, sonne l’alarme : au Québec, les personnes âgées de 65 ans et plus prennent beaucoup de médicaments. Les trois quarts d’entre elles prennent au moins cinq médicaments prescrits chaque année, et une sur huit en prend plus de quinze, selon ses recherches menées en collaboration avec l’Institut national de santé publique du Québec. Bonjour les effets secondaires et les risques pour la santé ! Et si le moment était venu de passer en mode « déprescription » ?

En vieillissant, quels problèmes de santé nous guettent ?

Le diabète, l’hypertension, l’arthrite, les problèmes respiratoires, la dépression, pour ne nommer que ceux-là. Vers l’âge de 80 ans, presque 90 % des gens ont au moins une maladie chronique, et 10 % en ont huit ou plus.

La consommation de médicaments augmente donc en conséquence…

Aujourd’hui, certaines personnes âgées prennent plus de 15 médicaments prescrits chaque année. Une personne sur deux en prend au moins cinq par jour. C’est ce qu’on appelle la polypharmacie. La plupart du temps, cela s’installe progressivement. On commence un antihypertenseur à 50 ans, suivi de statines contre le cholestérol à 55 ans, suivies à leur tour d’un médicament contre les douleurs arthritiques, puis de somnifères parce qu’on dort moins bien, etc.

Tous ces médicaments servent à soigner des problèmes de santé, non ?

Oui, ils permettent de traiter des maladies et de soulager des douleurs, et ils peuvent même éviter des chirurgies. De plus, c’est souvent vrai qu’ils sauvent des vies. Les médicaments sont donc généralement prescrits pour une bonne raison au départ.

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Généralement, donc pas toujours ?

Il existe certains produits dont on sait que les bénéfices sont moins grands que les risques. Je pense par exemple aux médicaments pour dormir. Oui, on veut aider la personne à mieux dormir, mais ce n’est pas ce qu’on va faire au bout du compte parce que ces médicaments ne procurent pas un sommeil réparateur. En plus, ces produits créent des dépendances physiques et psychologiques.

Que voulez-vous dire ?

Tous les médicaments ont des effets secondaires, car ils n’agissent pas à un seul endroit dans le corps. Plus on en prend, plus on risque de souffrir des effets secondaires de l’un ou de l’autre. Sans compter qu’il peut aussi y avoir des interactions entre les médicaments et certains aliments ou produits naturels, ou entre les médicaments eux-mêmes.

Que dit la polypharmacie sur notre système de santé ?

D’abord, ça nous permet de constater qu’on a accès à beaucoup de médicaments. C’est un bon point. Mais cela met aussi en lumière la façon dont notre système de santé fonctionne, c’est-à-dire en fournissant un traitement pour chacune de nos maladies. On perd de vue la personne dans son
ensemble. On traite un diabète avec une série de médicaments, une hypertension avec d’autres médicaments, jusqu’à ce qu’on finisse par se rendre compte qu’un patient prend 20 médicaments par jour ! Dans ces conditions, on ne peut pas savoir exactement ce qui se passe dans son organisme.

Quelles autres conséquences peut avoir la polypharmacie sur la santé ?

Beaucoup de médicaments augmentent le risque de chute parce qu’ils rendent somnolents ou confus, ou parce qu’ils provoquent des baisses soudaines de pression. Or, quand une personne âgée tombe, elle est à risque de blessure en raison de la diminution de sa densité osseuse. Les conséquences peuvent être graves ; par exemple, des commotions cérébrales, des séquelles psychologiques handicapantes et des fractures.

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Y a-t-il des médicaments dont les personnes âgées devraient se méfier ?

Oui. Il y a plusieurs années, un gériatre américain, Mark Beers, en a dressé une liste, mise à jour depuis. On y trouve des dizaines de « médicaments potentiellement inappropriés », dont plusieurs sont prescrits pour lutter contre l’anxiété et l’insomnie, comme l’Ativan, le Serax, le Valium… Leurs effets s’apparentent
à ceux de l’alcool : somnolence, vertiges, diminution de l’acuité cognitive, réduction de la coordination motrice… Certains médicaments en vente libre peuvent aussi avoir des effets nocifs, comme le Benadryl, un antihistaminique que les gens prennent plutôt comme somnifère. Chez les personnes âgées, cette catégorie de médicaments – avec des effets anticholinergiques – peut aussi provoquer de la somnolence, de la confusion et des chutes de pression, ce qui peut entraîner ce que j’appelle une cascade médicamenteuse.

Qu’entendez-vous par là ?

C’est une série de symptômes et d’effets secondaires qui s’enchaînent. Par exemple, vous prenez un médicament qui a un effet anticholinergique, donc plusieurs effets secondaires. Au fil du temps, il vous constipe. Alors, vous prenez un laxatif, un autre médicament. Mais quand le laxatif fait effet, vous vous levez rapidement pour aller aux toilettes, et un autre effet secondaire de l’anticholinergique vous frappe : la chute de tension. Du coup, vous trébuchez, vous vous fracturez un os et devez être opéré. À l’hôpital, vous avez du mal à dormir ? On vous donne un calmant, et vous voilà à nouveau constipé… C’est un cercle vicieux.

La « déprescription » est un rempart contre ce phénomène ?

Oui. Quand un problème de santé survient chez une personne âgée, le réflexe est d’ajouter un médicament pour le traiter. Sauf que dans bien des cas, c’est plutôt l’inverse qu’il faudrait faire : enlever un médicament parce qu’il n’est peut-être plus nécessaire et qu’il cause possiblement un nouveau problème de santé. C’est ça, la déprescription. Elle peut être amorcée lorsqu’un nouveau problème de santé survient, mais elle peut aussi se faire n’importe quand, après qu’on a vérifié que tous vos médicaments sont encore nécessaires.

Il faudrait donc revoir notre liste de médicaments régulièrement ?

Oui, idéalement chaque année, ou chaque fois qu’un nouveau médicament est prescrit. Les pharmaciens sont bien placés pour faire cette révision.

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Qui peut prendre la décision de déprescrire un médicament ?

Votre médecin traitant, bien sûr, mais aussi votre pharmacien. Ce dernier peut modifier les dosages et même retirer un médicament s’il le juge nécessaire. Évidemment, la déprescription se fait dans une perspective de collaboration. Donc, le médecin devrait participer à la prise de décision.

Si un médicament me cause trop d’effets secondaires, puis-je me le déprescrire moi-même, en cessant de le prendre ?

Non. Il faut toujours faire très attention quand on arrête de prendre un médicament, car cela risque de
provoquer des effets transitoires qui peuvent être dangereux. Il est possible que même si vous prenez un médicament potentiellement inapproprié, ce soit quand même moins risqué pour vous de continuer à le
prendre que de l’arrêter. Il faut donc impérativement parler à son médecin ou à son pharmacien avant de faire quoi que ce soit.

Concrètement, comment se passe la déprescription ?

Il existe depuis quelques années des protocoles qui suggèrent aux cliniciens des façons sûres de procéder. Si, d’un commun accord avec vous, votre médecin cesse de vous prescrire un médicament, il doit vous faire part du protocole de cessation qui vous dira comment diminuer les risques et les inconforts, et il surveillera avec vous la réaction de votre métabolisme. Chaque personne est unique ; on ne peut jamais prévoir à 100 % ce qui va se passer. Parfois, c’est très facile, et la personne se sent immédiatement mieux. D’autres fois, il faut passer par une phase de sevrage qui demande du courage, mais qui en vaut vraiment la peine.

Renoncer à prendre certains médicaments, c’est difficile à envisager, non ?

En fait, les gens sont ambivalents face à la déprescription. Nous l’avons constaté dans une étude menée en 2018 et en 2019 avec des collègues européens auprès de personnes âgées de 65 ans et plus au Québec, en France, en Suisse et en Belgique. On leur a demandé si elles accepteraient d’abandonner un médicament si leur médecin le leur recommandait : 88 % des participants ont répondu oui. Mais quand on leur a demandé s’ils étaient satisfaits de leurs médicaments, ils ont aussi répondu oui, et ont même affirmé que cela les dérangerait de laisser tomber un médicament qu’ils prennent depuis longtemps. En d’autres mots, les gens font confiance à la fois à leur médecin et aux médicaments qu’ils prennent, et n’ont pas le réflexe de penser qu’ils en prennent trop.

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Cet entretien est inspiré d’une conférence que la professeure de pharmacie Caroline Sirois présente avec le Centre Déclic. Cet organisme à but non lucratif facilite le dialogue entre les scientifiques et le public en organisant des conférences participatives dans des bibliothèques et des organismes communautaires, et lors d’événements publics comme des festivals. Le Centre Déclic est principalement soutenu par les Fonds de recherche du Québec.

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Journaliste depuis plus de 30 ans, Daniel Chrétien se passionne pour les magazines. Il a notamment mis sa plume au service de Québec Science, de L'actualité et de Châtelaine, où il a travaillé comme rédacteur en chef adjoint pendant cinq ans. Au cours de sa carrière, il a remporté une dizaine de prix de journalisme, dont le prix Jean-Paré, remis au journaliste magazine de l'année au Québec. Aujourd'hui journaliste indépendant, il continue à collaborer avec Châtelaine sur une base régulière, en signant des reportages culturels ou traitant de sujets sociaux qui touchent les femmes.

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