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Société

À l’aide, je ne comprends plus mon ado!

Mensonges, délinquance, drogues, pensées suicidaires… votre petit poussin s’est-il perdu, en route vers l’âge adulte ? Plus que tout, cherchez à maintenir un lien fort avec votre enfant, conseille la docteure en psychologie Kaïla Rodrigue, qui cosigne l’ouvrage Quand mon ado dérape.
À l’aide, je ne comprends plus mon ado!

Photo: Unsplash

« J’ai vraiment le sentiment d’avoir perdu ma fille, et je crains de ne jamais pouvoir la retrouver », écrit Aurélie, dont l’adolescente a vécu des épisodes de psychose. 

« La souffrance qui m’habite est insoutenable », avoue Benoît, qui n’arrive plus à entrer en contact avec ses trois enfants. 

« Je m’inquiète pour elle, mais aussi pour moi », dit Lisette, dont la fille de 24 ans souffre d’un TDAH, d’anxiété sévère et d’un trouble de personnalité limite.

Ces trois puissants témoignages figurent parmi la quinzaine d’histoires bouleversantes qui forment la colonne vertébrale du livre Quand mon ado dérape: Guide de survie pour parents démunis (Les Éditions de l'Homme, 2025), de Valérie Guibbaud. Des parents, une grand-mère et un oncle y racontent, dans le détail, ce qui s’est mal passé avec un ou des enfants de leur famille et ce qu’ils ont tenté de faire pour redresser la situation. 

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Relation parents ados Livre Quand mon ado dérape

Ce sont toutefois les explications concrètes de la docteure en psychologie Kaïla Rodrigue qui permettent le mieux de comprendre ce qui se passe dans la tête d’un ado en crise et comment réagir pour l’aider à aller mieux. Châtelaine l’a rencontrée pour parler de parentalité, de communication et d’entraide.

Le livre rapporte les propos d’une pédopsychiatre qui dit qu’en surprotégeant nos enfants, on risque de mal les préparer pour la vie en société. Je me surprends d’ailleurs, comme mère, à essayer d’empêcher ma fille de vivre certaines émotions négatives que j’ai ressenties à son âge. Ça pourrait donc être un peu de ma faute si, plus tard, elle « dérape » ?

Bien sûr. On a tous des blessures, on a des croyances, puis de façon naturelle, on les projette sur nos enfants. 

Je travaille avec le terme « parent conscient ». Si on prend conscience de nos blessures, de nos croyances, on peut comprendre ce qui nous fait intervenir. Est-ce que c'est notre propre peur, liée à notre vécu, qui nous dit de protéger l’enfant ? Si ça vient de ta peur, de tes blessures, de tes croyances, ce n'est pas la bonne façon d'intervenir.

Mais en même temps, c'est naturel et on le fait tous. Donc il faut juste le savoir, puis se dire, « oh, ça, ça m'appartient, ça vient de ma peur, de ma croyance. Comment intervenir ? Comment accompagner ma fille dans ce qu'elle vit, dans ses défis, dans son essence, à sa façon ? » Ça demande beaucoup de travail sur soi.

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C'est pour ça qu'on s’adresse aux parents, dans le livre. Parce que oui, l'enfant va faire son propre cheminement, il va avoir ses propres blessures. Il a son bagage, ses difficultés.

Ma propre fille est venue au monde avec des défenses. Je dois l’accompagner là-dedans. Mais pour savoir comment l'accompagner, je dois tracer la limite entre elle et moi.

Ça doit être très difficile, non ?

C'est le travail du parent, dès la naissance. C'est pour ça qu'on dit que le parent ne connaît pas toutes les solutions aux problèmes de son enfant, mais que son attitude peut faire la différence. Pour y arriver, il faut passer du mode réactif au mode conscient.

Ça prend un travail intense, mais j’apporte un petit bémol à l’affirmation selon laquelle on ne laisse pas les enfants assez vivre leurs émotions. Le but n’est pas d'être au-devant de l'enfant et de l'empêcher de vivre ses émotions, mais il ne faut pas non plus rester loin derrière en lui disant « vas-y, vis ta vie, il faut que tu vives tes affaires difficiles ». Je ne veux pas aller jusque-là parce que ça crée d'autres problèmes. 

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On doit être à côté de lui. « Maman est là, papa est là, on va passer au travers ensemble. Tu vas le vivre, mais je suis là avec toi. »

Au fond, on doit lui faire confiance pour régler une partie de la chose par lui-même ?

C'est ça, on lui fait confiance et on lui donne un espace sécuritaire où il est accueilli dans ses émotions, pour l’aider à comprendre qu'il va être capable de vivre la situation sans s'écrouler.

Comme on l'explique dans le livre, une des clés pour que l'enfant puisse relever les défis de la vie, c'est qu’il ait accès à sa vulnérabilité. Est-ce qu'il est capable de parler de ce qu’il trouve difficile, ou s’il dit juste « non, je m'en fous, ce n'est pas grave, laisse faire » ?

S'il a accès à la vulnérabilité, s’il est capable de parler de ce qui lui fait peur, de ce qui le déçoit, de ce qui le rend triste, c’est ce qui va l’aider. Sauf que souvent, en tant que parent, on est mal à l'aise avec ça et on cherche à trouver des solutions pour que l’enfant se sente mieux, pour que le bonheur revienne. Alors que là, ce qu’il vaudrait mieux faire, c’est juste accueillir la tristesse et la normaliser. 

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Une fois que l’enfant a pris le bon réflexe de s’ouvrir à propos de ce qui le tracasse, comment maintenir cette habitude à l'adolescence ? 

À l'adolescence, pour des raisons psychologiques et biologiques, l'attachement va être mis à l’épreuve.

Qu'est-ce qui fait que l'attachement demeure ou s’effrite ? Si le parent est réactif, qu’il dit des choses comme « qu'est-ce que tu fais ? Je ne te reconnais plus, je ne sais plus quoi faire avec toi », il met de l'huile sur le feu parce qu'il a peur, parce qu'il se questionne. 

Ce n'est pas pour être méchant, ça n’en fait pas un mauvais parent, sauf que si on embarque dans cette voie-là, l'enfant entend : « je suis mauvais, mon parent ne me comprend pas, est-ce que j’ai un problème ? » L’enfant ne se sent plus en sécurité comme avant et il développe des mécanismes de défense. 

Le parent qui constate que son enfant vient de lui mentir peut, par exemple, essayer de saisir la raison derrière le comportement. Il va aborder la question et mettre des limites, mais de manière à comprendre les motivations de l’enfant : « est-ce que ça se peut que tu n'osais pas me le dire parce que tu avais peur de ma réaction ? »

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L'adolescent ne va pas sentir qu’il doit se défendre contre le parent. Oui, la distance va être encore là, mais le lien de confiance va rester. C'est juste que la relation va changer et c'est ça que le parent doit comprendre aussi. Avant 12 ans, l'enfant se laisse guider, se laisse influencer plus directement par le parent, alors qu'à l'adolescence, l’influence est indirecte.

L’ado va questionner, parce que ce qui est important pour lui, c'est qu’il pense. Il valorise ce qui se passe à l’intérieur de lui. Le parent ne peut plus dire « fais-ci, fais ça », mais plutôt « qu'est-ce que tu en penses, qu'est-ce qu'il y a à l'intérieur de toi ? » 

On va vraiment partir de l'enfant et c’est ce qui va faire la différence. Avec ceux qui ont une bonne base et déjà une bonne maturité émotionnelle, souvent, ça passe bien.

Dans le livre, on donne l’exemple des ados qui semblent paresseux, mais qui parfois vivent plutôt une grande anxiété paralysante. Comment voir la différence ?

Ce n'est peut-être pas de la paresse, c'est peut-être qu'il ne se sent pas capable d'aller de l'avant. Donc, il faut maintenir la confiance, puis essayer de voir les choses du point de vue de l'enfant. 

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Peu importe ce qui arrive, l’idée est de se mettre en mode « connexion », de connecter avec notre enfant. Je donne plusieurs exemples concrets dans le livre.

Donc, si on trouve notre ado « paresseux », déjà, c'est un jugement. Notre objectif ultime, ça serait qu'il se remette en mouvement puis qu'il nous aide, sauf qu'il y a deux façons d’y arriver, soit qu'on va le confronter, soit qu'on va essayer d'aller le comprendre en disant par exemple « je remarque que ces temps-ci, tu as l’air moins motivé, tu ne te lèves plus pour faire telle ou telle activité… Qu'est-ce qui se passe, ça se peut-tu que… ? »

Si on le comprend vraiment, on va avoir accès à son monde intérieur et on va découvrir des choses qui vont nous aider à trouver les bonnes stratégies. Peut-être qu’il ne se remettra pas à aider tout de suite, mais on va comprendre qu'il a besoin de sa bulle, on va mieux l'accepter et il n’y aura pas d’escalade.


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À vous écouter, on dirait que c’est un job à temps partiel, communiquer avec son ado !

Effectivement, ça demande quand même un effort. Dans les premiers temps, il faut faire un effort conscient pour s'observer et détecter nos patterns parce qu'on est tout le temps en mode réactif.

Mais après avoir observé et compris nos réactions, ça s’allège. Il faut un temps d’adaptation, comme quand on recommence à faire de l'exercice ou qu’on commence un nouvel emploi.

Notre instinct, automatiquement, c'est d'être en mode réactif parce que ça soulage, ça nous fait du bien, ça nous donne de la dopamine, de crier à notre enfant : « qu'est-ce que tu fais là ? Arrête ça ! » Pour ne plus le faire, il faut changer un pattern, reconnaître les situations où on a peur, où on a juste envie de crier, mais ne pas le faire.

Souvent, on va se mettre en mode victime ou en mode autoritaire. Ça insécurise les enfants, ce qui déclenche des défenses et des problèmes. Il faut essayer le plus possible de trouver son équilibre. 

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Est-ce que ça marche pour tout le monde ?

Non, et c’est pour ça qu'on parle aussi d’une autre approche, à la fin du livre. Certains parents ont besoin du 9-1-1, du CLSC, des programmes qui aident à gérer les feux au quotidien. C'est bon pour régler des feux, mais ce n’est pas ce qui va transformer la relation. C'est pour ça que dans le livre, j’ai voulu donner accès à des renseignements qui visent un changement profond et à long terme.

Tout le long du livre, les témoignages de parents sont traversés d’un sentiment de culpabilité. J’imagine que c’est normal, mais comment peut-on passer par-dessus ?

C'est vrai que Valérie [Guibbaud] parle souvent de culpabilité, elle en vit encore, comme parent. Je pense qu’il faut comprendre ce que c’est, la culpabilité. Ça vient souvent d'une frustration, quand on constate que les choses ne se passent pas comme on aurait voulu qu'elles se passent. 

Quand on en prend conscience, il faut se demander « qu’est-ce que j'aurais voulu qu'il se passe ? » Le parent aurait peut-être préféré que son divorce se règle différemment, ou même ne pas divorcer, par exemple. Ou il aurait voulu que son enfant prenne une autre voie. Une partie de lui est déçue.

Ensuite, il faut vivre le deuil de cette situation. Une fois qu'on s’est conscientisé, qu'on a vécu le deuil, il faut s’assumer et toujours faire de notre mieux comme parent. 

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Moi, je ne vis presque plus de culpabilité comme parent parce que je suis capable de faire ce travail-là sur moi, parce que je me connais.

La solitude des parents est aussi criante, dans les témoignages. En tant que sœur, qu'amie, qu'est-ce que je peux faire pour aider une personne de mon entourage qui vit ce genre de situation ? 

C'est vrai que souvent, les parents sont seuls, ils n'ont pas de réseau. En coaching, c'est une des choses que je travaille, surtout quand il y a des comportements violents. Je commence avec le parent, et s’il est épuisé, il faut constituer un réseau. Ce n'est pas évident. Les parents ont de la difficulté à sortir du silence, à oser parler. 

En tant que personne de l'extérieur, que ce soit l’autre parent, un coach, une amie, un membre de la famille, il faut évaluer de quelle manière on peut soutenir le parent, mais l'enfant également, en se mettant en mode écoute. Pas en mode solution. 

Dans ma pratique de coach, je fais avec les parents ce que je leur suggère de faire avec leurs enfants: créer une connexion. Je leur donne une rétroaction, un reflet de ce qu'ils vivent. Je pense que c'est ce qui est bien dans un premier temps. Tendre la main pour dire : « regarde, je suis là si tu as besoin de parler ». 

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C'est sûr qu'on dit tout le temps « appelle-moi si tu as besoin ». Mais si l’appel ne vient jamais, si on voit que la personne a vraiment besoin, est-ce qu'on peut prendre le téléphone, passer un coup de fil, aller cogner chez elle et lui demander comment ça se passe réellement ? C’est ça, ouvrir un canal de communication.

Pourquoi faut-il se retenir de tomber dans les pistes de solutions ?

Ce qu'on constate, c’est que ça coupe la conversation. Le parent va répondre « ah oui, oui, merci, merci », mais il ne fera pas ce qu’on suggère. Avec les enfants non plus, être en mode solution ne fonctionne pas parce que ce n’est pas une vraie connexion.

Nos solutions sont sûrement bonnes, mais elles ne répondent pas au besoin de l’autre personne. Elle a besoin de se décharger de ce qu’elle vit. Elle est en zone rouge. Une fois en zone verte, elle va être ouverte aux solutions et elle va peut-être se rappeler de ce qu’on lui avait proposé. Elle va l’essayer ou pas. Mais souvent, on ne prend pas le temps d’écouter parce que ce n'est pas dans notre nature.

Le livre se termine sur une phrase qui m'a marquée : « Rappelez-vous, toute tempête finit par se calmer ». Je constate toutefois qu’il y a des histoires qui finissent bien, d’autres qui finissent mal, et que les crises peuvent durer longtemps. Comment passer à travers cette étape, au jour le jour ?

La parentalité consciente, c'est un travail qui nous amène à être un guide sans avoir d'attente de résultat.

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C'est hyper difficile, mais c'est en faisant ce cheminement-là que je deviens le meilleur parent, le meilleur guide que je peux être pour mon enfant. Parce que j'ai travaillé sur moi, j'ai compris la situation, je sais comment l'accompagner, mais j'essaie de ne pas m'accrocher aux attentes. 

La tempête peut continuer, ça peut rester difficile pour le jeune, mais en même temps, je sais que moi, je lui offre mon accompagnement sur son chemin à lui. 

J'explique aux parents que j'accompagne que, durant la tempête, le seul objectif n’est pas de mettre un terme à la crise, mais de préserver leur lien avec leur enfant. Il faut penser au lien, toujours. 

Avec ce livre, je voudrais que les parents en viennent à comprendre ce qui se passe et quoi faire avec ça. Comprendre l'attitude de l’autre, ça change les choses, ça relativise, ça normalise.

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Mon autre objectif est de donner un nouvel espoir aux parents parce que tant qu'il y a un lien, il y a de l'espoir.


À l’aide, je ne comprends plus mon ado!

Quand mon ado dérape: Guide de survie pour parents démunis, de Valérie Guibbaud, en collaboration avec Kaïla Rodrigue.

Les Éditions de l’homme, 2025, 208 p., 29,95 $.

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Julie est rédactrice en chef de Châtelaine et signe l’infolettre gourmande C’est exquis. Elle baigne dans l’univers du magazine depuis plus de 25 ans, ayant notamment été à l’emploi de Protégez-Vous et de L’actualité. Sa plus grande passion? La cuisine. Elle est même allée jusqu’en Italie pour apprendre à confectionner des pâtes comme les nonnas.

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