Société

Ferme familiale: quand c’est la fille qui prend le relais

À seulement 33 ans, Caroline Allard possède sa propre ferme laitière, à Notre-Dame-du-Bon-Conseil, dans le Centre-du-Québec. Elle vient d’acheter les dernières parts de son père et assure sa relève avec fierté. Pourtant, elle n’était pas du tout destinée à diriger un jour l’entreprise familiale.

En partenariat avec Les producteurs de lait du Québec

Photo: Louise Savoie

Bottes aux pieds, cheveux remontés sous sa casquette, Caroline Allard caresse la tête d’un chaton ronronnant, lové dans ses bras. «J’espère qu’il sera un aussi bon chasseur que sa mère, qu’elle lui montrera bien», dit la productrice laitière et mère de deux garçons de 7 et 9 ans. À la ferme Gerluda, fondée par son grand-père il y a 73 ans, la transmission est une valeur primordiale.

Petite, elle ne s’intéressait guère à l’élevage, préférant de loin chausser les talons hauts de sa mère et jouer à l’école. Prendre soin des vaches, très peu pour elle!

Mais quand son frère aîné est décédé dans un accident de voiture, à 16 ans, la vie de Caroline a pris une toute nouvelle direction. Ce grand frère qui assistait son père dans les travaux agricoles, qui savait tout faire, c’était lui, la relève. Le lendemain de ce tragique événement, l’adolescente de 14 ans s’est pointée à l’étable pour offrir son aide. Puis, elle y est retournée chaque jour, avant et après l’école, apprenant les différentes tâches une à une.

Une relation unique

«Il ne le dira probablement jamais, mais je pense que c’est ce qui a aidé mon père à faire son deuil», confie-t‑elle. Quelques mois plus tard, sa voie est toute trouvée. Elle sera productrice laitière, comme son père.

Après une formation collégiale en technologie des productions animales à Saint-Hyacinthe, Caroline est revenue à la ferme, la tête pleine de nouvelles connaissances. Au début, elle a acheté la moitié des parts de son père, Daniel, dont l’exploitation de 350 acres compte aujourd’hui une centaine de vaches, taures et veaux compris. Ce dernier lui passe volontiers le relais, bien content de se décharger de certaines tâches, comme la comptabilité ou la génétique. C’est elle qui choisit les taureaux pour les inséminations. «Je n’ai jamais été bien bon là-dedans. Elle, elle a le tour», dit-il, posant un regard fier sur Caroline.

Quant à Germaine, la mère de Caroline, elle a profité de l’occasion pour se retirer des travaux de la ferme… et pour s’occuper de ses petits-enfants.

Daniel est encore loin de la retraite, même s’il a maintenant vendu toutes ses parts à sa fille. «Le travail, ce n’est pas ça qui tue», lance l’homme de 61 ans, de retour d’un avant-midi entier à niveler un champ.

Chaque jour, père et fille travaillent ensemble, se répartissant la besogne, prenant à deux les décisions importantes, échangeant sur tout. Une relation privilégiée à laquelle Caroline attache un grand prix. «Je suis chanceuse de partager ça avec lui, qu’on soit aussi proches. Les jours où on est vraiment fatigués, où ça va moins bien, je m’arrête parfois pour aller lui faire un gros câlin. Ça le fait rire», dit-elle.

Quand Daniel souhaitera délaisser les rudes travaux de la ferme, le conjoint de Caroline, Sébastien, y prendra peut-être une place plus importante. Ayant un diplôme professionnel en production laitière, ce dernier connaît déjà bien le fonctionnement de l’entreprise. Il donne un coup de main à l’occasion, mais se consacre à son emploi d’opérateur de machinerie lourde.

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Ferme techno

En entrant dans l’étable, on ne perçoit pas tout de suite ce qui la distingue. Les odeurs sont les mêmes que partout, celle presque sucrée du foin, celle plus fermentée de la moulée, les effluves musqués des animaux et ceux, un peu moins agréables, du fumier. Mais quelques bruits mécaniques intriguent.

Dans l’espace principal où se trouvent les 70 holsteins noir et blanc en production – celles qui sont en lactation –, 3 semblent faire la queue devant un genre de cubicule rouge. «C’est le robot-trayeur, explique Caroline. Les bêtes vont elles-mêmes se faire traire quand elles en sentent le besoin. Tu veux voir?» Il faut savoir qu’à la ferme Gerluda les vaches sont en «stabulation libre», donc elles circulent librement dans l’étable.

Une vache vient d’entrer dans l’espace robot. Aussitôt, de petites brosses rotatives lavent son pis, stimulant du même coup les glandes mammaires. Un laser localise ensuite chaque trayon afin d’y installer les manchons. Pendant ce temps, dans une auge, tombe une portion de moulée, à la disposition de l’animal.

Un grand enclos occupe presque tout l’espace, divisé en sections: une pour manger, une pour se reposer et, bien sûr, une pour se faire traire. C’est là que se trouvent les deux robots de traite. Il y a même aussi un robot-brosseur pour la toilette des bêtes. Quelques jours suffisent pour qu’une vache qui se joint au troupeau comprenne comment tout cet équipement fonctionne. «Ce sont des animaux beaucoup plus intelligents qu’on pourrait le croire», dit Caroline.

Le confort avant tout

Le nouveau système a changé la façon de travailler de la famille Allard, mais aussi la vie des principales intéressées. «Les vaches sont beaucoup plus calmes depuis qu’on l’a installé», indique la productrice laitière. En effet, en y prêtant attention, on remarque que les ruminantes sont bien silencieuses. Aucun beuglement, ou presque. «Même quand il y a quatre ou cinq enfants qui courent et crient dans l’étable, les vaches restent couchées sans s’énerver. Avant ça, quand elles étaient attachées, elles se seraient toutes levées d’un bond.»

Cette tranquillité a amélioré leur production, elle le voit bien à l’écran de son ordinateur. Chaque animal y est représenté par un graphique semblable à la jauge d’essence du tableau de bord des voitures. «Mon ordinateur est devenu mon outil de travail principal», dit Caroline.

Elle y suit, pour chaque vache, la quantité de lait fournie, le niveau d’activité et la nourriture consommée. «Grâce à toutes ces données, je peux savoir plus rapidement quand l’une d’elles est mal en point. Si une vache ne va pas se faire traire ou mange moins, c’est souvent un signe que quelque chose ne va pas.»

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Équilibre ferme-famille

La décision d’automatiser la ferme, en 2014, découlait en partie du manque de main-d’œuvre, mais surtout de la nécessité pour Caroline Allard d’être plus présente pour ses fils, sur le point d’entrer à l’école. «Avant, je rentrais souper vers 17 h et je retournais à l’étable pour la traite du soir. La journée ne finissait jamais avant 19 h 30. Je savais que, avec les devoirs, ça n’allait pas fonctionner, malgré tous les efforts de mon conjoint», explique-t-elle.

Même allégée, sa routine n’est pas de tout repos. Debout à 5 h 30 pour aller nourrir et soigner les animaux, elle revient à la maison à 7 h pour préparer le déjeuner et le lunch. Ensuite, elle travaille jusqu’à ce que les enfants reviennent de l’école, à 15 h 20. Enfin, un dernier tour à la ferme de 16 h 30 à 18 h, avant qu’elle puisse s’asseoir pour le repas… sauf s’il y a une réunion de parents à l’école!

«Je sens bien que mes garçons aimeraient que je sois davantage à la maison, mais je crois qu’ils comprennent ce que j’ai à faire», se console Caroline. Et puis, si leur mère ne vient pas à eux, les deux gamins, Jean-Félix et Gabriel, peuvent très bien aller à elle, comme en témoignent leurs petits camions John Deere, stationnés le long de l’étable réservée aux taures, les vaches qui n’ont pas commencé à produire du lait. «Ils nous imitent, leur grand-père et moi. Quand l’aîné tond la pelouse, le plus jeune passe derrière lui avec un râteau pour faire des rangs, un peu comme quand on fait les foins», raconte-t-elle en souriant.

Caroline aimerait bien inspirer à au moins un de ses fils la passion pour la production laitière, afin que la ferme soit transmise à une quatrième génération. Mais il est hors de question de les pousser dans cette direction. «Ce sera peut-être même ma nièce de huit ans [la fille de l’une de ses deux jeunes sœurs] qui me succédera, qui sait? Chaque fois qu’elle est à l’étable, elle me suit partout et participe avec enthousiasme à toutes les tâches. Elle adore ça», confie Caroline, bien consciente que la relève ne vient pas toujours d’où on l’attend…

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