Culture

Karine Gonthier-Hyndman: l’ascension d’une grande actrice

Pendant près de huit ans, la comédienne Karine Gonthier-Hyndman a vivoté d’un petit contrat à l’autre, travaillant d’arrache-pied pour se faire connaître. En 2015, c’est la révélation. Elle séduit le Québec avec ses interprétations hilarantes dans la comédie à sketchs Like-moi! Depuis, les rôles s’enchaînent. Des Simone aux Invisibles, elle incarne des personnages complexes qui lui permettent de bâtir une carrière à son image: intègre, audacieuse, forte.

Haut et jupe: Eliza Faulkner, Bijoux: Laura Lombardi chez Les Étoffes. (Photo: Andréanne Gauthier)

Dans son CV, outre la liste des personnages qu’elle a joués au cours des dernières années, Karine Gonthier-Hyndman indique avoir un grand talent pour… le yoga et la relaxation. Quand elle m’ouvre la porte de son appartement du quartier Rosemont, à Montréal, je n’ai aucune difficulté à comprendre pourquoi.

Avec son décor moderne et minimaliste, le logis pourrait aisément se retrouver dans les comptes Pinterest des adeptes de méditation.

Pendant qu’elle se prépare un bol de soupe, elle m’invite à faire le tour. «Ça ne te dérange pas que je dîne?» demande-t-elle. Les lieux reflètent ce que Karine dégage avec son jean taille haute et son court chemisier jaune, son chignon négligemment remonté sur la tête et son visage fin et impassible: une élégance chic et un brin désordonnée.

Dans chaque pièce, des tableaux et photographies d’artistes contemporains choisis avec soin. À l’entrée, des magazines, recueils de poésie et cahiers de notes s’étalent, pêle-mêle, sur une grande table de travail blanche, à côté d’un ensemble de peinture à numéros. Oui, de la peinture à numéros…

«Même quand je veux mettre mon cerveau sur pause, je dois absolument faire quelque chose. Il y a un aspect méditatif à ce type de peinture qui me permet de décrocher», lâche-t-elle.

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Tourbillon professionnel

Le lit encore défait dans la chambre témoigne de l’horaire chargé de la comédienne. Sur l’îlot de la cuisine, les textes d’Atteintes à sa vie, son prochain projet théâtral, sont déposés près d’un ordinateur portable. «Ça faisait longtemps que je voulais travailler avec le metteur en scène Philippe Cyr. Lorsqu’on m’a proposé un rôle dans cette pièce, j’ai dit oui immédiatement, sans même avoir lu une ligne! C’est dense, très intellectuel. J’ai hâte de voir comment Philippe va s’y prendre pour rendre ce texte accessible. Un beau défi.»

La soupe est prête. Karine s’assoit au comptoir avec son bol fumant, du fromage et un morceau de pain. «J’habite dans cet appart le temps de terminer les rénovations de la maison que j’ai achetée dans le Mile-Ex», précise-t-elle. Même s’il est temporaire, son lieu de vie devait lui ressembler. La comédienne y tenait.

«Je suis attirée par la beauté. J’ai besoin que l’espace dans lequel j’évolue m’apaise.» Et les arts visuels constituent une grande source d’inspiration. «Je peux passer des heures sur Instagram ou dans les musées à chercher une couleur, une texture ou une forme qui m’interpelle.» Sur le célèbre réseau social, sa page compte 22 000 abonnés avec qui elle partage photos de voyage, souvenirs de tournage et trouvailles de toutes sortes.

Son besoin de paix grandit depuis que sa carrière a pris l’allure d’un exaltant tourbillon grâce au succès de la série Like-moi!, diffusée à Télé-Québec. Dire que la comédienne de 35 ans a failli ne jamais se présenter aux auditions! «Lorsque mon agente, Karine Lapierre, m’a appelée pour me parler du projet, j’étais tétanisée.» Étonnant, pour une femme qui dégage autant d’assurance.

«Marc Brunet, le scénariste, est un génie de la comédie, mais ses textes peuvent parfois être de véritables vomis verbaux, qui exigent une technique et un rythme parfaits. Marc se fie beaucoup à son instinct, et il voulait voir qui le ferait rire avec une seule lecture en audition. J’étais certaine que j’allais me ridiculiser.»

Le potentiel comique de l’actrice ne demandait toutefois qu’à être révélé. Après huit années de disette, les étoiles s’alignaient enfin.

«Quand je suis sortie du programme de théâtre du cégep de Saint-Hyacinthe, je me donnais jusqu’à 34 ans pour réussir… Une limite d’âge totalement aléatoire, pour garder bonne conscience! lance-t-elle en pouffant de rire. Je me suis toujours dit que je finirais par vivre de ma passion.»

Pendant ces années difficiles, elle reste active, monte sur les planches «dans des pièces que personne n’a vues», multiplie les ateliers de jeu et les cours de doublage. Discipline est son mot d’ordre.

«Plusieurs personnes m’ont aidée à tenir bon. Mon chum de l’époque et ma coach de théâtre, l’actrice Dominique Pétin, m’ont permis de me découvrir comme artiste, de faire confiance à mon talent et de pousser la réflexion sur mon travail. C’est grâce à eux que j’ai pu décrocher tous ces merveilleux rôles.»

La première fois qu’elle a vu Karine jouer, sa mentore a réalisé en quelques instants l’étendue de ses capacités. «Je n’ai eu qu’à faire un boulot d’archéologue, dit Dominique Pétin. J’ai pris mon plumeau, j’ai dépoussiéré quelques trucs et le diamant s’est dévoilé dans toute sa splendeur. Depuis, Karine pense que je suis son porte-bonheur et qu’elle ne peut plus passer d’audition sans moi. C’est faux, évidemment.»

Leur collaboration est pour le moins fructueuse. Après Like-moi!, Karine a préparé des auditions avec Dominique Pétin pour six autres rôles… qu’elle a tous obtenus!

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Robe: Gianni à la Baie d’Hudson. (Photo: Andréanne Gauthier)

Il faut que ça bouge

Karine n’a que 14 ans lorsqu’elle quitte son Ottawa natal pour aller vivre à Montréal, chez son père, le frère du comédien James Hyndman. La cohue urbaine – «j’adore le son des sirènes!» – et l’effervescence culturelle la séduisent immédiatement. Elle dévore tout ce qui se fait en théâtre, en cinéma et en danse. «J’ai eu l’impression de renaître en arrivant ici. Je ne le savais pas à ce moment-là, mais j’avais besoin d’être en contact avec le monde des arts.»

Lorsqu’elle parle à ses parents de son désir de devenir comédienne, ils ne tentent pas de la dissuader. Son père, spécialiste en développement international, a étudié le piano au Conservatoire de musique de Montréal. C’est aussi un passionné de cinéma et de photographie. Sa mère, née à Rabat, au Maroc, de parents d’origine française, italienne et espagnole, est traductrice. Elle peint et écrit pour le plaisir et a été en lice pour le Prix du récit de Radio-Canada à quelques reprises. Pour la première fois depuis mon arrivée, Karine s’anime, le visage empreint de fierté et de reconnaissance. «Ils m’ont toujours appuyée, même quand j’avais de la difficulté à percer. Je leur dois beaucoup.»

Un nouveau projet

Ces jours-ci, on peut continuer à savourer les interprétations de Karine dans la quatrième saison de Like-moi!. Par contre, la comédienne a dû dire adieu au personnage d’Alexandra dans Les invisibles, cette adaptation du succès français Dix pour cent n’ayant pas suscité l’intérêt escompté au Québec. Une fin douce-amère pour elle. «J’ai de la peine, j’adorais ce personnage. On voit tellement peu de ces femmes absorbées par leur travail, qui sont plus dans l’ambition que dans les émotions», dit Karine en déposant sa vaisselle dans l’évier. Elle prend un temps de réflexion avant de se rasseoir. «Cela dit, c’était un tournage exigeant, avec beaucoup de textes, de longs plans-séquences, et je me rends compte que j’étais fatiguée.»

La bonne nouvelle, c’est que cette fin prématurée lui a permis de se joindre à la belle gang de C’est comme ça que je t’aime (sur ICI Tou.tv Extra), la nouvelle série très attendue de François Létourneau et Jean-François Rivard, tandem derrière les succès télévisés Les invincibles et Série noire. «C’est une comédie dramatique absurde et réjouissante dont l’action se passe dans les années 1970. Ça amène un vent de fraîcheur dans ma trajectoire. Je tripe!»

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Le scénariste François Létourneau ne connaissait pas la comédienne avant de la voir en audition. «En lisant les textes, plusieurs personnes me disaient que ce rôle avait été écrit pour Karine Gonthier-Hyndman, dit-il. Elles avaient vu juste. Karine s’est tout de suite démarquée. Non seulement elle est talentueuse et drôle, mais elle a un côté étourdi qui nous fait tous rigoler sur le plateau.»

La série raconte les aventures de deux couples en déroute qui, pour raviver la flamme, deviendront les plus grands meurtriers de l’histoire du crime organisé de la région de Québec. Karine y campe une femme qui cherchera par tous les moyens à sortir de la cage dans laquelle sont confinées les mères au foyer de l’époque.

«Mon personnnage est une femme instruite, professeure à l’université, très en avance sur son temps. Cette féministe a un point de vue avant-gardiste sur la place des femmes dans la société. La criminalité va lui permettre d’aller au bout de ses désirs et de s’émanciper. Elle part sur une balloune et dérape complètement. C’est hilarant!»

Des femmes à part entière

Les femmes fortes, Karine connaît. Des Simone à O’, ses personnages font un pied de nez aux stéréotypes, récoltant souvent des insultes au passage sur les réseaux sociaux – «hypocrite», «vache», « briseuse de couple»… Pour elle, il est hors de question de jouer les potiches de service, qui ne sont là que pour mettre en valeur les héros masculins. «C’est de mieux en mieux, mais à la télé, une femme est nécessairement mère, putain, névrosée ou soumise. J’entends rarement d’un homme que son personnage est névrosé. Qu’est-ce que ça veut dire?»

La comédienne réfléchit beaucoup au féminisme. Sur sa page Facebook, quelques jours avant notre rencontre, elle a d’ailleurs partagé un article du webzine français Slate intitulé «Comment l’impératif écologique aliène les femmes». On y traite de la charge mentale supplémentaire qui incombe à celles qui ont à cœur l’environnement.

«Tellement intéressant! J’essaie d’être en phase avec ma conscience, mais quand tu es dans le jus, c’est compliqué de fabriquer ses propres produits, de toujours acheter en vrac. Je n’ai pas fait de lavage depuis une semaine, car je refuse de me procurer mon savon à lessive à la pharmacie. Pour que ça fonctionne, il faut un mouvement collectif. Il faut nous aider, parce que, individuellement, c’est trop difficile», s’enflamme-t-elle.

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Le privilège de choisir

Son entourage admire sa franchise et son intégrité. «Avec Karine, on peut toujours avoir l’heure juste», souligne Marie-Soleil Dion, sa bonne amie et collègue dans Like-moi!. «Elle est entière, sans demi-mesure, vraie. Elle n’a pas peur de donner son opinion ou de s’imposer quand quelque chose la rend mal à l’aise. C’est rafraîchissant.»

Très au fait des risques que comporte sa profession, Karine Gonthier-Hyndman mène sa carrière avec discernement. «Tu ne peux pas pratiquer ce métier sans avoir conscience d’une fin possible et imminente. C’est comme la vie. On sait que ça va se terminer un jour. J’utilise cette urgence comme moteur pour rester créative et curieuse.»

Elle ne cherche pas à participer à des jeux télévisés ou à faire la première page des magazines (sauf exception!). «Cela dit, je ne juge absolument pas les acteurs polyvalents qui aiment multiplier les apparitions. Mais ce n’est pas pour moi. Je sais que c’est un privilège, mais je suis rendue à une place dans ma vie où la qualité m’importe plus que la quantité.»

Loin d’être tombée du ciel, cette façon de penser est grandement inspirée de son oncle, l’acteur James Hyndman. «Il est plus dans la démarche que dans le résultat, et il a parfois fait des choix qui l’ont éloigné des projecteurs, par exemple en se concentrant sur la mise en scène ou l’écriture.»

Comme lui, Karine est très prudente dans sa manière d’aborder la notoriété. «Je n’ai pas envie que ma vie privée soit étalée dans les journaux. Je préfère garder une part de mystère et mettre en avant mon travail et mon talent.»

Robe: Éditions de Robes, Chaussures: Zara. (Photo: Andréanne Gauthier)

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