Ils vivent dans des univers complètement différents et ne se connaissaient pas. Mais la photographe était à peine installée qu’ils avaient l’air de deux vieux chums… Leur rencontre a fait des étincelles.
Josélito Michaud : Quand Châtelaine m’a appelé, je me suis dit : « Pas question de manquer ça ! Il faut que je le voie. » J’ai fait de la place dans mon agenda.
Denis Coderre : Moi aussi ! On a une certaine exubérance tous les deux, on se ressemble (même si je danse mieux que toi !). J’aime l’émission On prend toujours un train. Et j’ai tripé sur Passages obligés. Ce livre, c’est une réussite extraordinaire…
J.M. : Oui, c’est une réussite. Mais, souvent, les meilleures choses arrivent sans avoir été planifiées. J’ai écrit Passages obligés pendant une sabbatique de deux ans après une émission qui n’avait pas eu le succès escompté [Devine qui vient ce soir, TVA, 2004-2005]. Selon les bouddhistes, tout sert dans la vie, rien n’est perdu. Je suis comme toi, je pense. J’ai de l’ambition, mais pas beaucoup d’ego.
D.C. : J’ai perdu le mien après mes troisièmes élections. J’en ai vécu neuf, j’ai perdu les trois premières, la première fois, par 13 000 voix, la troisième, par 53. Je me suis alors dit : « La prochaine va être la bonne. Plus jamais je ne vais perdre. » Bon, c’est sûr que ça peut m’arriver encore. Mais j’ai appris à gérer mes échecs.
J.M. : Ce qui m’a aidé, c’est que, avant de me trouver dans la lumière, j’ai longtemps été dans l’ombre de chanteurs, chanteuses, humoristes. Et je sais qu’un jour, je vais quitter la lumière. Je n’en ai pas besoin pour être utile. Toi, tu peux te voir autrement que sur le devant de la scène ?
D.C. : C’est sûr que j’ai un besoin d’affection, un besoin d’amour très grands. Pour moi, réussir sa vie, c’est faire ce qu’on aime. Dans mon cas, c’était servir les gens ; j’ai dit tout de go que j’allais faire de la politique toute ma vie. Toi, tu travailles pour aider les gens à mieux se comprendre. Tu as tes livres, ton Train… tu es un peu une courroie de transmission. Ma courroie de transmission personnelle, c’est d’être une voix pour ceux qui n’en ont pas. Est-ce que je pourrais faire autre chose ? Je suis maniaque de cinéma, je rêve d’être à la fois devant et derrière la caméra. Je pourrais retourner à la radio ou animer à la télé. Quoique la télé te fait paraître 20 livres de plus…
J.M. : Tu parles beaucoup de ton poids. Est-ce un combat pour toi ? Moi, il faut que j’y travaille sans arrêt. J’ai déjà pesé 80 livres de plus. Et j’avais l’impression que dans « réussir ma vie », il y avait « réussir à maintenir un poids santé ».
D.C. : Mais j’ai un poids santé… pour un gars de 6 pieds 8 ! Disons que ça me donne un air plus jovial. Ça me rapproche du monde. Réussir, ça veut dire assumer, être près des gens, dire les vraies affaires.
J.M. : Je cherche beaucoup l’authenticité chez les gens. On peut être ce qu’on veut dans la vie, si on est authentique, on vient de gagner 80 % de mon respect. C’est ce que j’ai mentionné quand je t’ai vu la première fois tout à l’heure : « On ne peut pas dire qu’il ne dit pas ce qu’il pense, lui… »
D.C. : Donc, pour toi, réussir, c’est être authentique ? Pour moi, c’est pouvoir affirmer : « Je suis ce que je suis, je l’accepte, je l’assume. » J’aime mieux me tromper que ne rien faire, j’ai pas le problème du « J’aurais donc dû ». J’essaie, puis je me pète la gueule, bang. La différence entre quelqu’un qui peut réussir et quelqu’un qui va réussir, c’est le Rubicon que tu franchis ou pas. L’accomplissement, c’est 10 % d’inspiration et 90 % de transpiration. Alors, si tu n’accomplis pas le geste jusqu’au bout, ça fait toute la différence.
J.M. : Je vais te contredire là-dessus : il y a des gens qui ne sont malheureusement pas outillés pour ça. Moi, je me porterai toujours à la défense de ceux-là. Et il y a aussi le fait d’arriver au bon moment. Il y a une part de chance là-dedans. Des fois, ce n’est pas toi qui décides. Sinon, tout le monde serait rendu au sommet.
D.C. : Mais un échec, ça ne veut pas dire que tu n’as pas réussi. Réussir, ce n’est pas que gagner. Ça peut être « faire une différence ». Prends Stéphane Dion… Il n’avait pas l’étoffe d’un chef, mais regarde comment il est retombé sur ses pieds. C’est un extraordinaire conseiller en environnement et on l’invite partout dans le monde. Il apporte beaucoup. Il a réussi dans sa défaite.
J.M. : Oui. Maintenant, ma réussite, ça se passe beaucoup à l’intérieur de moi. Il faut que je sois en paix. Et, à 47 ans, pour la première fois, je suis en paix avec moi-même. Si tu m’avais appelé il y a six mois, je n’aurais pas dit ça. Pourquoi je suis en paix ? Parce que j’ai arrêté. Je me suis posé des questions : « S’il te restait un an à vivre, tu ferais quoi ? Quand tu regardes tes enfants, as-tu réussi ? Tu es allé chercher ces enfants-là au Vietnam, t’en occupes-tu vraiment ? En plus de ta vie professionnelle, tu as une vie familiale, une vie personnelle, une vie sociale à réussir. » Il faut que tous les plans soient équilibrés. II faut que Véronique et les enfants soient bien, ce n’est même plus négociable. Je ne sais pas si je crois en Dieu, mais j’ai toujours eu l’impression qu’au final on a des comptes à rendre. Qu’on va se faire demander : « Puis, qu’est-ce que tu as fait, mon grand ? »
D.C. : Quel âge ils ont, tes enfants ?
J.M. : Ils ont 10 et 11 ans. Les tiens ?
D.C. : Mon gars va avoir 17 ans, ma fille, 20. Comment équilibrer tout ça ?
J.M. : Es-tu encore à la recherche de l’équilibre parfait ?
D.C. : On ne l’atteindra jamais. Réussir, ce n’est pas l’équilibre, c’est la quête de l’équilibre.
J.M. : La réussite, c’est se coucher le soir avec le sentiment d’avoir fait tout son possible. Et en essayant de te frapper le moins possible, en disant : « Demain est un autre jour. »
Châtelaine : J’ai l’impression que pour toi, Denis, réussir sa vie, c’est faire quelque chose, et que pour toi, Josélito, c’est être quelque chose…
D.C. : Ce n’est pas du paraître, c’est se réaliser, c’est réussir à « faire une différence ». Faire quelque chose, c’est être quelque chose.
J.M. : On a tous les deux de l’ambition. La nuance entre toi et moi, je pense… c’est que, dans ton cas, c’est affirmé, alors que moi je n’ose pas me l’avouer. Parce que j’ai géré la carrière des autres toute ma vie, peut-être. C’est la première fois que je me pose des questions sur ma propre carrière.
D.C. : Moi, j’ai réussi ma vie parce que, même si je n’ai malheureusement pas pris son fameux train, j’aurai au moins pris un verre d’eau avec Josélito Michaud…
Lire la suite du dossier
Selon Janine Sutto et Lisa Leblanc
Selon Alexandre Jardin
Selon Isabelle Richer
Selon Marie-Claire Blais
Selon Charles Lafortune et Vincent Vallières
Selon Boucar Diouf
6 femmes se confient