Société

«J’ai mené ma barque tambour battant, en marge des conventions de l’époque.»
– Janine Sutto

Au revoir, madame Sutto! Nous saluons le départ de cette grande dame avec la dernière interview qu’elle nous a accordée en compagnie de Lisa LeBlanc.

Photo: Maude Chauvin

Photo: Maude Chauvin

L’une a fait du théâtre et vécu ses amours à sa guise à l’époque où les femmes restaient aux cuisines. L’autre décoiffe avec ses « tounes » crues et ses accords de banjo. Deux esprits affranchis que 70 ans séparent. Elles causent ici de ce qui fait une vie réussie.

Janine Sutto : Comment je te dirais ça, Lisa ? Quand je fais le bilan de mes 91 ans, le mot réussite ne me vient pas en tête. Je ne suis pas fière de moi. Oui, – Mais ce n’était pas un choix conscient. J’étais gouvernée par ma passion pour le théâtre. Au point, peut-être, d’avoir raté des choses. Je n’ai pas été une mère modèle, par exemple. Aussi, j’aurais pu mieux interpréter certains rôles. Toi, tu as 22 ans, tu com­mences dans le métier. Déjà, tu as beaucoup de succès. Tu vis ça comment ?

Lisa LeBlanc : C’est vrai que mon affaire a décollé vite. Je rêvais de jouer au Club Soda et de participer au Festival western de Saint-Tite. Et ça m’arrive ! Fou raide. Je me fais même reconnaître dans la rue. C’est un chamboulement. Mais de là à dire que je réussis ma vie… C’est un peu fort ! Comme beaucoup d’artistes, je me remets souvent en question. Une journée, on est fier de son coup, et le lendemain, on « crashe » complètement. Il y a des jours où je ferais autre chose, où je rêve d’une vie « normale ». L’été, je donne près de 50 spectacles. Vers la fin, j’enverrais tout promener, je suis tannée de mes chansons… Mais je reviens tout le temps à la musique. Tout le temps.

J.S. : Tu es donc, toi aussi, dirigée par une passion ?

L.L. : Ah oui ! J’ai commencé à écrire des histoires et des poèmes quand j’étais toute petite. Il n’y avait pas grand-chose à faire à Rosaireville, mon village au Nouveau-Brunswick. Ça développe la créativité ! J’ai composé ma première toune à 14 ans… Et je n’ai pas arrêté depuis. Je suis contente de constater que ça peut durer toute une vie, comme pour vous. Vous êtes restée sincère et généreuse.

J.S. : Oui, merci mon Dieu… Tu sais, on est chanceuses d’avoir une passion. Ce n’est pas donné à tous. Moi, c’était de vivre des personnages. Ton art, c’est une bouée à laquelle tu pourras t’accrocher pendant les traversées du désert. Il y a des aventures tellement douloureuses. Des deuils, des séparations. Et, parfois aussi, des échecs artistiques. Ce n’est pas parce que tu passes à la télé que ton avenir est fait. C’est toujours à recommencer.

L.L. : Je vais me planter un jour, c’est sûr. Là, j’ai de super bonnes critiques. Mais mon deuxième disque, il sera reçu comment ? The pressure is on ! Surtout que j’ai le goût de faire complètement autre chose sur le plan musical. Un son plus électrique. Je vais peut-être perdre des fans… Quand j’ai ces inquiétudes, je retourne aux sources, dans ma famille. Ça m’empêche de virer folle. J’ai vécu certains des plus beaux moments de ma vie autour d’un feu de camp, avec mes oncles et mes amis. On jouait de la guitare, on reprenait les chansons de CCR et d’Elvis.

J.S. : C’est archi-important de retrouver les gens qui t’aiment et que tu aimes, qui ont été ta vie. J’allais justement te demander si tu restais la même fille quand tu reviens dans ton village. Parce que dans notre univers, somme toute assez superficiel, il faut bien l’admettre, c’est fondamental de respecter son essence. Pour ma part, j’ai toujours eu quelques amis qui n’étaient pas du milieu, en qui j’avais confiance. Ça m’a permis de garder l’équilibre. Leurs commentaires sur mes performances au théâtre étaient cruciaux. On est souvent mauvais juge de soi. Alors quand ils me disaient : « Ce n’est pas nécessaire d’en faire autant dans telle scène », ça m’aidait à devenir une meilleure artiste.

L.L. : C’est vrai que notre milieu peut être très flafla – et même phoney. Quand tu es reconnue par tes pairs et que le public t’apprécie, des gens qui ne t’auraient jamais parlé avant deviennent tout à coup tes grands chums… Moi, je veux continuer ma carrière sans me perdre. Quand je débarque dans ma famille, ça prend pas deux secondes que j’ai déjà le nez dans le frigo, comme avant. Je me laisse aller, ça me « grounde ». Mes parents sont fiers de ce qui m’arrive, mais je suis d’abord leur fille. Dernièrement, j’ai appelé ma mère pour lui apprendre que j’avais reçu un disque d’or. Elle m’a répondu : « Ah ben, c’est l’fun. Mais as-tu pensé à faire renouveler tes plaques d’auto ? »

Lire la suite du dossier
Selon Alexandre Jardin
Selon Isabelle Richer
Selon Denis Coderre et Josélito Michaud
Selon Marie-Claire Blais
Selon Charles Lafortune et Vincent Vallières
Selon Boucar Diouf
6 femmes se confient

POUR TOUT SAVOIR EN PRIMEUR

Inscrivez-vous aux infolettres de Châtelaine
  • En vous inscrivant, vous acceptez nos conditions d'utilisation et politique de confidentialité. Vous pouvez vous désinscrire à tout moment.

DÉPOSÉ SOUS: