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Culture

Plage Laval: l’art de trouver son petit bout d’horizon

Le nouveau roman de Rafaële Germain met en scène une femme de 48 ans qui doit, du jour au lendemain, redéfinir ce qui la rend heureuse. Entretien avec une romancière fort inspirée qui ne connaît pas le syndrome de la page blanche.
Plage Laval: l’art de trouver son petit bout d’horizon

Photo: Julien Faugère

N’en déplaise à Laurence, Stéphane s’en va. Et il lui « laisse » la maison familiale, sachant qu’elle devra se dépatouiller avec la réaction de leur fille si elle décide de vendre. S’ensuit la belle (quoique dépaysante) histoire d’une redécouverte de soi vécue avec un certain sens de l’aventure. Un projet de réno, une nouvelle famille choisie, quelques adorables chatons et même un séducteur scandinave : tous les éléments sont réunis pour que débute un nouveau chapitre de vie exaltant.

Rafaële, votre roman met en scène une femme de 48 ans qui se retrouve célibataire, ce qui déclenche chez elle une grande remise en question. D’où vous est venue l’idée de ce personnage qui cherche sa nouvelle place dans le monde ?

Je voulais raconter une histoire de communauté, mais en ce qui concerne le personnage, c'est que je me suis demandé où je me placerais, moi, dans le monde si, à mon âge, je me retrouvais célibataire. Ce n’est pas la même chose à 25 ans.

Les autres livres que j'ai écrits mettent en scène des filles qui sont dans la vingtaine ou le début de la trentaine. À 48 ans, c'est complètement différent. Donc, je me demandais où est-ce qu’on se retrouverait, moi ou les filles de mon âge, si ça nous arrivait ? 

Je trouvais que c'était une façon d'aborder ce que c’est qu’être libre, d'être heureuse, de s'épanouir. Au départ, la narratrice a cette espèce d'idée qu'il faut que la liberté soit totale et absolue. Elle s'en rend compte que, finalement, ce n'est pas ce qui lui convient, à elle.

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Je sais que ça m'habite, ce désir de liberté radicale. Je voulais trouver une situation où un personnage pourrait penser comme ça, mais choisir autre chose.

Vous mentionnez l'idée de communauté, et elle est très forte dans le roman. Laurence se rebâtit une famille d'adoption composée principalement d’hommes qui deviennent des amis et des protecteurs. Pourquoi avoir fait ce choix ?

 Je voulais vraiment raconter l’histoire d’une communauté choisie, en quelque sorte. Dans sa famille, Laurence est entourée de femmes. Elle a sa fille, sa mère, sa meilleure amie.

Je voulais l’entourer de figures ayant différentes opinions, différentes inclinaisons, différentes énergies. Je trouve ça le fun que des personnages masculins soient positifs, mais qu’ils ne sortent pas tous du même moule.

J'ai Marcus et Norm [NDLR un couple gai], j'ai Jean-Christophe [NDLR : un enseignant, père d’un adolescent]. Même le personnage de Leif [NDLR : le fameux séducteur scandinave], a des côtés positifs, lui aussi. Je voulais vraiment montrer comment on choisit une communauté et qu’il faut de tout dans le groupe. La diversité est souvent représentée comme quelque chose qui n'est pas vraiment nuancé, mais je trouve que ça peut l'être aussi.

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Lorsque Laurence prend sa décision d’aller vivre dans une maison qu’elle devra retaper, sur le bord de l’eau, c’est pour se trouver « un petit bout d’horizon ».  Sentez-vous que c’est ce qui nous manque, un petit bout d’horizon, dans nos vies bien remplies ?

Oui, c'est sûr. Je pense qu'en fait, j’y reviens souvent dans mes réflexions. Je trouve qu'on manque de nuances, de perspectives, de recul dans notre discours collectif, dans nos vies personnelles.

Là, c'est comme si j'avais fait une espèce de transposition littérale de cette idée-là, avec une véritable vue et de l'espace. Laurence a besoin de tout ça, et ça se manifeste par « j'ai besoin de voir loin ». 

D’ailleurs, c'est vrai que ça fait du bien. Chez moi, on voit loin. Je trouve que c'est sain, mais je sais que tout le monde ne peut pas s'acheter un bout d'horizon. Mais ça m'aide, moi, d'en avoir un vrai.


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Dans le roman, j’ai trouvé que l’héroïne avait beaucoup besoin de se justifier. Son ex, son amie et même son agent immobilier remettent en question sa décision. Trouvez-vous que les femmes doivent vraiment se justifier plus que les hommes, encore de nos jours ?

Oui, nos décisions suscitent beaucoup de critiques. Dans le livre, les proches de Laurence le font de manière, je pense, à la protéger. J'hésite toujours à généraliser, mais disons qu'il y a certainement [une]

Surtout quand une fille part toute seule, comme le personnage du roman. C’est plus confrontant, je pense, pour les gens. Si c’est un gars qui décide d’aller vivre tout seul, tout le monde va l’encourager. Pour une fille, ce sera : « oui, mais, es-tu sûre ? Qu'est-ce que tu fais ? C'est donc bien bizarre. » De la même manière qu'une fille qui dit ne pas vouloir d'enfant, ça passe plus difficilement qu’un gars qui dit la même chose.

Je voulais trouver une façon d'en parler sans être moralisatrice. C'est correct de le dire sans tomber dans l'apitoiement. Je ne pense pas que Laurence s'apitoie pas sur son sort, mais elle remarque quand même [qu’on remet en question ses désirs].

En effet, on la sent solide, malgré le grand bouleversement, et ses valeurs sont assez affirmées. Mais même si sa fille Mathilde est grande, Laurence la place au centre de sa décision.

Tu sais, tu es d'abord une maman. Ton choix de vie, qu'est-ce qu'il va faire à ta fille ? C’est sûr qu’on y pense, peu importe si les enfants sont adultes.

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Moi, j'ai une fille biologique, et mon chum a deux grands enfants que je connais depuis qu'ils sont petits. Ça rentre encore en ligne de compte. À 25 ans et 22 ans, ils font encore partie du calcul. 

Je voulais aussi mettre en scène des personnages de jeunes adultes parce que je trouve que c'est une génération qui est très inspirante. Ils sont très ouverts, plus qu’on l’était. 

Je trouve ça confrontant, mais dans le bon sens du terme. Je trouve ça très sain d'en avoir autour de moi.

Dans le roman, la personnalité affirmée de Laurence se manifeste lorsqu’elle se retrouve « féministe de service » sur un panel, dans une conférence de traducteurs. Vis-tu parfois ce genre de situation, où on essaie de te caser quelque part parce que tu es une fille ?

Moins maintenant parce que je suis entourée d’autres femmes, mais quand j’ai commencé à écrire pour la télévision, il y a 25 ans, il n’y en avait pas tant, donc je me retrouvais souvent comme la fille de service, celle qu'on engage dans l’équipe du Bye-bye pour pouvoir dire « Heille, on a une fille qui fait le Bye-bye ! »

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La narratrice a de réelles convictions, qu’elle exprime dans ses discussions avec son éditeur, mais sur le panel elle se sent obligée de défendre des idées qui ne sont pas les siennes [NDLR : sur la liberté des traductrices de changer des éléments sexistes dans les textes]. Donc, c'est sûr que ça devient moins naturel.

C'est un petit clin d'œil au fait qu'on nous demande souvent de résumer nos opinions en deux lignes, sans déborder de la marge, alors qu’on est à l’âge où les avis sont plus riches et nuancés.

Écrire un roman de 430 pages, ça demande du souffle. Comment vous êtes-vous replongée dans l’état d’esprit pour y arriver ?

Je n'ai jamais vraiment arrêté. J’écris un peu tout le temps. C’est tellement plus confortable d’écrire un roman qu’un essai. Il y a beaucoup de dialogues, et c’est du feel good. Je prépare un plan avant de commencer. Une fois que je sais où je m'en vais, je comparerais ça à une promenade.

Oui, c'est du travail, mais il se fait dans le plaisir et dans la fluidité. Pour moi, ce n'est pas exigeant. Une fois que j’ai mon plan, il suffit de le suivre. Certains auteurs disent qu’ils suivent les personnages, et c'est vrai: tu commences à écrire puis tu entends leurs voix.

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Avez-vous de nouveaux projets d’écriture en cours ? 

Pas pour le moment, mais j'aimerais ça. Ça faisait longtemps que je n’avais pas écrit un roman [NDLR Volte-face et malaises est sorti en 2012], mais en écrivant Plage Laval, je me suis dit : « Mon Dieu, j'aimerais faire juste ça, des livres ! »


Plage Laval, de Rafaële Germain, Libre Expression, 2025, 430 p.

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Julie est rédactrice en chef de Châtelaine et signe l’infolettre gourmande C’est exquis. Elle baigne dans l’univers du magazine depuis plus de 25 ans, ayant notamment été à l’emploi de Protégez-Vous et de L’actualité. Sa plus grande passion? La cuisine. Elle est même allée jusqu’en Italie pour apprendre à confectionner des pâtes comme les nonnas.

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