Le matin suivant la naissance de ma première fille, en 2017, je me suis levée du lit en douceur et j’ai senti un afflux soudain de liquide. J’ai paniqué. Je suis obstétricienne-gynécologue, et ma première pensée a été que je faisais une hémorragie du post-partum. Cela pouvait être fatal. Je pouvais me vider de mon sang.
Je me suis précipitée dans la salle de bains, en m’attendant à voir une flaque de sang dans ma couche, mais celle-ci était plutôt remplie d’un liquide incolore. Mystifiée par l’absence de rouge, j’ai scruté le tout. Puis j’ai compris ce qui s’était passé: ma vessie s’était complètement vidée sans avertissement et je n’avais pas pu l’arrêter. J’avais officiellement rejoint le groupe des femmes (une sur trois) qui souffrent d’incontinence après l’accouchement.
Ma grossesse et mon accouchement ont été relativement simples: j’ai accouché par voie vaginale et ma fille pesait moins de 7 livres. L’incontinence ne faisait même pas partie de mes préoccupations. Pourtant, dans les semaines qui ont suivi mon accouchement, j’ai continué à avoir des fuites urinaires.
Je me suis dit que c’était normal. J’ai veillé à ce que ma vessie ne soit jamais trop pleine, en allant fréquemment aux toilettes, et j’ai essayé de faire des exercices du plancher pelvien (ils sont faciles à trouver en ligne en ligne). Ma nouvelle vie était occupée par le chaos du début de la maternité et j’avais du mal à prendre du temps pour moi et me prioriser. Je me disais que les choses allaient s’améliorer. Mais, même en tant qu’obstétricienne-gynécologue, je ne savais pas vraiment à quoi m’attendre.
Trois mois après l’accouchement, j’ai remarqué une amélioration significative de mes symptômes et, après six mois, j’étais capable de faire la plupart des exercices sans avoir de fuites (même si je ne crois pas retenter un jour de faire des jumpings jacks). Comme beaucoup de femmes, les choses ne sont plus ce qu’elles étaient avant l’accouchement et je m’inquiète de ce qui va m’arriver en vieillissant.
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Le dysfonctionnement du plancher pelvien est incroyablement courant: une femme sur deux en souffrira au cours de sa vie, selon la Fédération internationale de gynécologie et d’obstétrique. Une femme sur trois souffrira de fuites urinaires et une sur dix de fuites de selles. De plus, une femme sur trois qui a eu un enfant sera affectée par un prolapsus des organes pelviens, une condition qui se traduit par la descente d’un ou de plusieurs organes de leur position normale et par leur renflement à l’intérieur ou à l’extérieur du vagin.
Malgré la fréquence de ces affections, elles sont rarement évoquées. D’ailleurs, le nerf pudendal, l’un des principaux nerfs du plancher pelvien, dérive du mot latin pudendum, qui signifiait « parties dont il faut avoir honte ».
Voici ce qu’il faut savoir sur ce sujet.
Qu’est-ce que le dysfonctionnement du plancher pelvien?
Le plancher pelvien est un réseau dynamique de ligaments, de tissus conjonctifs, de muscles et de nerfs situé au fond du bassin, qui soutient les organes pelviens, à savoir l’utérus, les intestins et la vessie.
Un étirement ou une lésion de l’une de ces parties peut entraîner des symptômes tels que l’incontinence (perte involontaire d’urine ou de selles), l’incapacité à vider complètement l’intestin ou la vessie, ou un prolapsus des organes pelviens. De nombreuses femmes présentent également des symptômes de dysfonctionnement sexuel (douleurs lors des rapports sexuels, baisse du désir sexuel et de l’excitation, difficultés à atteindre l’orgasme) et des douleurs pelviennes.
La docteure Roxana Geoffrion, urogynécologue (gynécologue spécialiste des problèmes du plancher pelvien) de Vancouver et présidente de la Société canadienne de médecine pelvienne, désigne cette constellation de symptômes par l’expression « troubles du plancher pelvien ». « Il est rare que les symptômes soient isolés, explique-t-elle. Les recherches montrent que 80% des femmes qui présentent des symptômes souffrent de plus d’un trouble du plancher pelvien à la fois. »
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Comment reconnaître un prolapsus des organes pelviens ?
Le prolapsus des organes pelviens est classé en fonction de l’organe – vessie, rectum ou utérus – qui descend dans le vagin ou à l’extérieur du vagin. De nombreuses femmes présentent plusieurs types de prolapsus à la fois.
«Les patientes remarquent souvent les symptômes pour la première fois sous la douche», indique la docteure May Sanaee, urogynécologue à Edmonton. «Certaines ont l’impression d’être assises sur une balle ou un œuf, d’autres ont la sensation constante d’avoir quelque chose d’irritant dans le vagin, comme un tampon sec», poursuit-elle.
Bien que la plupart des femmes ne décrivent pas la sensation comme douloureuse, certaines trouvent les rapports sexuels inconfortables et d’autres consultent leur médecin parce qu’elles craignent d’avoir une tumeur, selon la spécialiste.
Dans les cas extrêmes, le vagin entier se retourne sur lui-même (la partie supérieure glisse vers la partie inférieure) et l’utérus, le vagin, le rectum ou les intestins peuvent sortir de l’ouverture vaginale et être visibles, explique Dre May Sanaee. Ces cas graves peuvent entraîner des frottements et des saignements, ainsi que l’incapacité d’uriner. Il est important de savoir que même dans ces cas, le prolapsus ne se transformera pas en cancer et le vagin ou l’utérus ne tomberont pas du corps.
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Chez la plupart des femmes, la descente d’organes se produit lentement. L’étirement initial des ligaments a souvent lieu pendant la grossesse ou l’accouchement et, avec le temps, des conditions telles que l’obésité, la toux ou la constipation chronique ainsi que le fait de soulever des charges lourdes ou d’effectuer des efforts importants à répétition peuvent affaiblir davantage ces ligaments.
Jusqu’à 40 % des femmes souffrent d’un prolapsus léger, avec des symptômes minimes ou inexistants, et il n’est constaté qu’à l’examen. Les exercices du plancher pelvien et la physiothérapie peuvent souvent contribuer à prévenir et à améliorer les symptômes et, dans certains cas, à empêcher la progression du trouble.
Un pessaire (petit dispositif en silicone de différentes formes et tailles qui se place dans le vagin pour soutenir l’utérus, la vessie ou le rectum et/ou prévenir l’incontinence) ou une intervention chirurgicale peuvent être proposés afin d’améliorer la qualité de vie et prévenir les complications telles que les frottements, qui risquenr d’entraîner des saignements ou des infections.
Plus rarement, les symptômes apparaissent soudainement. Cela peut se produire lorsque la personne s’accroupit pour ramasser quelque chose de lourd, ce qui provoque une traction brutale sur des tissus déjà étirés. Un affaissement des tissus, imperceptible avant, pourrait être remarqué ou ressenti.
Qui est à risque de troubles du plancher pelvien?
La grossesse et l’accouchement par voie vaginale restent les facteurs de risque les plus courants du dysfonctionnement du plancher pelvien, mais celui-ci peut également survenir chez les femmes qui n’ont pas accouché. Le vieillissement, les antécédents familiaux, le tabagisme et l’obésité sont également des facteurs de risque.
Les femmes qui accouchent plus tard dans leur vie reproductive présentent également un risque accru, de même que les femmes qui donnent naissance à de gros bébés, à des jumeaux ou des triplés et celles qui sont assistées par ventouse ou par forceps.
Les femmes souffrant de troubles du tissu conjonctif, tels que le syndrome de Marfan et le syndrome d’Ehlers-Danlos, présentent également un risque accru de prolapsus génital.
Certaines manœuvres peuvent être utilisées pendant l’accouchement pour protéger le périnée et prévenir les lésions à la naissance, ce qui peut également contribuer à prévenir les dysfonctionnements du plancher pelvien.
Quand consulter pour un dysfonctionnement du plancher pelvien?
Si vous avez récemment eu des enfants, vous pouvez notamment consulter le Pelvic Floor Health Index (en anglais seulement), un outil de dépistage créé par la Dre Roxana Geoffrion à l’intention des femmes et des médecins. Cet outil, disponible sur le site web de la spécialiste – Be Pelvic Health Aware –, et publié dans la revue médicale Le médecin de famille canadien, énumère dix symptômes que les femmes ressentent couramment après l’accouchement. Dre Roxana Geoffrion suggère aux femmes de consulter un professionnel de la santé si elles répondent «oui» à l’une des questions plus de six mois après l’accouchement.
«La clé est de reconnaître la différence entre le dysfonctionnement et la détresse», dit-elle. Si vous avez des symptômes mais qu’ils ne vous dérangent pas, vous n’avez peut-être pas besoin de traitement. Mais si les symptômes deviennent pénibles, affectent votre qualité de vie ou provoquent des problèmes tels qu’une incapacité à vider la vessie ou des infections urinaires récurrentes, il est alors temps d’obtenir de l’aide, selon la spécialiste.
La prévention, comme pour la plupart des problèmes de santé, est essentielle. Connaître les facteurs de risque et reconnaître les symptômes à un stade précoce signifie qu’il n’est pas trop tard pour modifier ses habitudes de vie, pour perdre du poids ou arrêter de fumer par exemple, et miser sur des interventions telles que la physiothérapie en rééducation périnéale et pelvienne. Il a été démontré que la physiothérapie réduit la probabilité d’avoir recours à une intervention chirurgicale.
Les médecins de famille, les infirmières praticiennes et les physiothérapeutes spécialisés sont tous d’excellentes ressources pour évaluer les symptômes et déterminer si d’autres expertises sont nécessaires.
Comment soigner les troubles du plancher pelvien?
Les exercices de Kegel sont souvent la première chose qui vient à l’esprit lorsqu’on pense au prolapsus génital et à l’incontinence. Or, si les exercices de Kegel peuvent être bénéfiques pour certaines femmes, ils peuvent aggraver la situation pour d’autres, en particulier celles dont les muscles du plancher pelvien sont surdéveloppés et sensibles, selon Dre May Sanaee. Elle recommande de consulter un physiothérapeute spécialisé en rééducation périnéale et pelvienne pour identifier et traiter correctement le problème.
Les thérapeutes utilisent une variété de techniques, à l’extérieur et à l’intérieur du vagin. Ils apprennent aussi à leurs patientes à faire des exercices spécifiques à la maison. Même une seule séance peut être bénéfique, affirme Dre May Sanaee.
Bien que certains régimes privés d’assurance-maladie couvrent la physiothérapie en rééducation périnéale et pelvienne, Dre May Sanaee et Dre Roxana Geoffrion aimeraient que les régimes publics provinciaux en couvrent aussi une partie, en particulier après l’accouchement et après une intervention chirurgicale. Au Québec comme dans de nombreuses provinces, le gouvernement couvre un certain nombre de séances de physiothérapie après des interventions orthopédiques telles que le remplacement du genou. « Nous faisons des démarches pour que ce soit aussi offert à toutes les femmes qui souffrent d’incontinence après l’accouchement ou après une intervention chirurgicale pour un prolapsus », affirme le gynécologue Dr Dominique Tremblay, aussi président de l’Association des obstétriciens gynécologues du Québec.
L’utilisation d’un pessaire peut également être utile. Pour le prolapsus génital, les pessaires sont posés dans les cabinets de médecins ou de physiothérapeutes, tandis que d’autres pour l’incontinence peuvent être commandés en ligne sans avoir à consulter un professionnel de la santé. (Il est toutefois conseillé de parler d’abord à un médecin pour s’assurer qu’un pessaire peut résoudre votre problème spécifique.)
Certaines femmes qui souffrent d’une descente d’organes peuvent avoir besoin d’une intervention chirurgicale. Cela peut impliquer l’ablation de l’utérus ou une suspension des organes pour maintenir le prolapsus en place. Il est possible que le problème réapparaisse et qu’une seconde intervention soit nécessaire.
En cas de récidive, votre chirurgien peut envisager l’utilisation d’un treillis chirurgical vaginal. Celui-ci est placé à l’intérieur de l’abdomen pour empêcher le prolapsus de retomber. Pour les femmes souffrant d’incontinence, un autre type de treillis – appelé bandelette sous-urétrale – est parfois placé sous l’urètre pour empêcher les fuites d’urine. (Chez certaines patientes, le treillis peut entraîner d’autres problèmes; il est donc important de parler à votre médecin des avantages et des risques.)
Si une patiente souffre d’un prolapsus très grave et qu’elle n’est plus active sexuellement et ne compte plus l’être ou qu’elle n’est pas une bonne candidate pour une chirurgie abdominale, le médecin peut proposer une chirurgie d’occlusion vaginale, une intervention qui vise à fermer le vagin en cousant les côtés ensemble, appelée colpocléisis. «Ça demeure une intervention rare. On ne procède que sur des femmes très âgées qui ont plusieurs problèmes de santé et qui ne pourraient se remettre d’une reconstruction entière du plancher pelvien », précise Dr Dominique Tremblay. L’opération peut être pratiquée par un gynécologue ou un urologue, mais les cas récurrents ou les cas impliquant un treillis sont plus susceptibles de nécessiter l’intervention d’un spécialiste en urogynécologie. Le Québec en compte une trentaine.
Laser vaginal et chaises d’exercices de Kegel
Dre May Sanaee reconnaît qu’il peut être difficile de trouver les soins appropriés en cas de prolapsus génital ou d’autres formes de dysfonctionnement pelvien. Longtemps, la santé des femmes n’a pas été une priorité pour la médecine, et il existe des entreprises privées qui tentent d’exploiter ce vide en proposant des produits discutables aux bienfaits non prouvés par la science.
L’un de ceux-là est la thérapie vaginale au laser, commercialisée pour son potentiel de «rajeunissement vaginal». Mais certaines entreprises affirment qu’elle traite également l’incontinence urinaire. Au Canada, des études contrôlées ne sont pas exigées pour l’approbation réglementaire de nombreux nouveaux dispositifs médicaux et des experts médicaux défenseurs de la santé des femmes affirment que des études randomisées et contrôlées récentes n’ont pas démontré que les lasers vaginaux sont efficaces pour prévenir et traiter l’incontinence à long terme.
D’autres dispositifs, comme les chaises d’entraînement musculaire du plancher pelvien, utilisent de l’énergie électromagnétique pour stimuler les muscles du périnée afin de traiter les dysfonctionnements de ce dernier. Un traitement complet de six séances peut coûter près de 2000$ en centre médico-esthétique, avec des séances d’entretien entre 200$ et 300$. Comme pour le laser vaginal, il n’existe pas encore d’essais randomisés sur les avantages à long terme. Pour certaines femmes, en particulier celles qui souffrent d’une hyperactivité du plancher pelvien, ce dispositif pourrait aggraver les symptômes. « Avant de l’essayer, consultez un médecin », conseille Dr Dominique Tremblay.
Les manifestations du dysfonctionnement du plancher pelvien sont pénibles et il est naturel de chercher désespérément une solution. Cela dit, Dre May Sanaee encourage les femmes à consulter un professionnel de la santé de confiance pour obtenir une évaluation adéquate avant d’essayer des produits dont le prix est élevé, et à utiliser des ressources telles que Voices for PFD et Your Pelvic Floor (en anglais) pour trouver des informations fiables sur le sujet.
«Nous sommes là pour vous», affirme Dre May Sanaee. Les spécialistes de tout le pays travaillent ensemble pour normaliser les soins, s’assurer que cet aspect de la santé des femmes fasse partie de toutes les formations médicales et que les soins soient accessibles à toutes les Canadiennes.
Lorsque je repense à ma propre expérience, je suis encouragée par les nombreux médecins, infirmières et physiothérapeutes passionnés qui travaillent dans ce domaine, qui veulent faire la différence et qui comprennent que le plancher pelvien est bien plus qu’une «partie dont il faut avoir honte».
La version originale (en anglais) de cet article a été publiée sur chatelaine.com. Elle a été traduite et adaptée par l’équipe de Châtelaine en août 2024.